Les acteurs de la fabrique urbaine n’intègrent pas encore suffisamment la connaissance des sols urbains, qui restent à leurs yeux une réserve foncière avant tout. Des efforts doivent être faits pour développer une vision systémique de cette ressource capable d’apporter des réponses aux défis environnementaux.
L’aménagement du territoire et l’urbanisme opérationnel présentent des enjeux environnementaux communs (préservation des sols agricoles et naturels, développement de la nature en ville, régulation des émissions de gaz à effet de serre) qui questionnent l’objet «sol urbain». Pourtant, l’impression est donnée, encore aujourd’hui, que la fabrique urbaine considère majoritairement les sols urbains comme une réserve foncière, prenant rarement en compte leur troisième dimension, ou sous le biais de la contrainte, pour des enjeux relatifs à l’infiltration de l’eau, à la portance ou à la pollution.
Au cours de mon doctorat mené à l’université de Lorraine, j’ai pu réaliser une analyse lexicale d’une centaine de documents d’urbanisme, allant du plan local d’urbanisme (PLU) au schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), en passant par le plan local de l’habitat (PLH), le plan de déplacement urbain (PDU), le schéma de cohérence territoriale (SCoT) et le schéma régional du climat, de l’air, et de l’énergie (SRCAE). Cette analyse a permis d’appréhender la considération quantitative et qualitative (sol-surface/foncier ou sol-volume/ressource) du terme « sol » à l’échelle de la planification territoriale. Il en résulte qu’une occurrence sur deux renvoie au « sol-ressource » et considère donc l’épaisseur, la troisième dimension et ainsi les bienfaits (fonctions et services écosystémiques) fournis par les sols.
Cependant, cette considération volumique prend place principalement dans les documents d’urbanisme qui traitent principa- lement des sols agricoles, forestiers et naturels (SCoT, SRCAE ou SDAGE). Les documents de planification ayant trait à la planification locale (PLU), et donc aux sols urbains, appréhendent majoritairement le sol comme une surface foncière. En effet, les résultats de cette étude indiquent que dans les PLU, l’indice d’occurrences de « sol-ressource » représente 1/5 des occurrences de « sol », tandis que dans le SDAGE, cet indice représente 4/5 des occurrences de « sol ».
Ces résultats sont consolidés par les entretiens effectués auprès des acteurs de l’urbanisme opérationnel, menés en 2017, indiquant que les acteurs de la fabrique urbaine n’intègrent pas, ou peu, les connaissances relatives aux bénéfices que pourraient apporter les sols urbains dans la réponse aux défis environnementaux, principalement en tant que supports de bio- diversité et de végétation. Une illustration de la faible considération apportée aux bienfaits potentiels offerts par les sols urbains s’illustre par le recours quasi systématique à des apports de terre végétale issue de milieux naturels ou agricoles pour l’implanta- tion de végétaux en milieu urbain.
De la définition du sol
Toutefois, compte tenu des enjeux environnementaux et sociétaux auxquels se confronte aujourd’hui l’aménagement des villes et, plus largement, du territoire, la place des sols urbains dans les stratégies de développement de la fabrique urbaine mérite d’être discutée. Il s’avère à ce titre que les connaissances développées en agronomie et pédologie urbaine contribueraient à accroître la connaissance de ces systèmes majoritairement anthropisés (genèse, état, fonctionnement, etc.).
Mais, force est de constater que cette considération induit certaines complexités: la méthodologie technique requise pour l’évaluation de la qualité des sols urbains, l’importante diversité de ces systèmes en milieu urbain (couvertures de sol et usages très divers, plus qu’en milieu agricole) et champ sémantique associé à cette considération.
À ce titre, une différence significative doit être faite entre un sol « urbain », qui renverra plutôt à une définition géographique, et un sol « anthropisé », dont la définition est davantage en lien avec les caractéristiques pédologiques, intrinsèques de ces sols.
Anne Blanchart
Les fonctions des sols d’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
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