« Reconquérir le fonctionnement naturel du sol »

Geoffroy Séré, professeur au Laboratoire Sols et Environnement (LSE) de l’université de Lorraine, et Sébastien Maire, délégué général de l’association France Villes et territoires Durables (FVD), évoquent ensemble l’évolution des connaissances sur les sols urbains et les outils pour y parvenir.
Geof­froy Séré
Sebas­tien Maire

Pou­vez-vous nous expli­quer la nature de vos tra­vaux por­tant sur l’évaluation et l’optimisation des ser­vices écosystémiques ren­dus par les sols très anthropisés ?

Geof­froy Séré : Le point de départ est d’affirmer que les sols anthropisés nous ren­voient une image négative. Un sol urbain ou indus­triel nous apparaît forcément dégradé, voire pol­lué. Donc, dans le pro­ces­sus d’aménagement, l’une des premières étapes est de se débarrasser du sol déjà en place et de le sub­sti­tuer – car on a quand même besoin de sols fonc­tion­nels pour assu­rer la végétalisation des espaces urbains, que ce soit à voca­tion esthétique ou pour pro­duire de la bio­masse. Cela entraîne alors un balai qui, d’un côté, envoie les sols urbains dans des centres de sto­ckage de déchets à l’extérieur des villes et, de l’autre, ramène des sols issus de l’étalement urbain, notam­ment de par­celles agri­coles, pour végétaliser les villes. Nous avons donc considéré qu’il exis­tait un besoin de reconnaître la valeur de cer­tains sols de milieux urbains non dégradés, afin d’en tirer profit.

C’est pour­quoi, dans le cadre d’un pro­jet bap­tisé Des­ti­sol, financé par l’Ademe [Agence de la tran­si­tion écologique, ndlr], nous avons développé une étape de diag­nos­tic des sols en place, à l’échelle d’un pro­jet d’aménagement. Celui-ci est basé, après un découpage en zones de sols homogènes, sur des obser­va­tions, des prélèvements, des des­crip­tions…, autant d’éléments que nous fai­sons ensuite « tour­ner » dans notre outil pour obte­nir deux types de réponses. Le pre­mier diag­nos­tic révèle les usages actuel­le­ment pos­sibles pour ces sols. Cer­tains peuvent accueillir un jar­din pota­ger, un bâtiment, un par­king, etc.

Le second, plus utile encore, nous per­met d’évaluer de manière semi-quan­ti­ta­tive, selon un barème allant de zéro à trois, les ser­vices écosystémiques four­nis par le sol, en plus de son occu­pa­tion. Ce peut être le niveau de ser­vice d’un espace vert en termes d’infiltration de l’eau, de régulation des inon­da­tions, de sto­ckage de car­bone, de régulation du cli­mat… L’objectif est double : limi­ter la consom­ma­tion et le trans­port de terres natu­relles venant de l’extérieur de la ville et ame­ner les aménageurs à réfléchir sous l’angle des ser­vices écosystémiques dont ils ont besoin pour un projet.

Sébastien Maire : C’est extrêmement per­ti­nent, car nous tou­chons, ici, à la fois au low-tech, à la sobriété maxi­male, et à la réduction du gaz à effet de serre lié aux trans­ports. Toutes les opérations d’aménagement à venir devront bientôt faire obli­ga­toi­re­ment avec l’existant, ce qui change forcément la donne du diagnostic.

Sur une opération d’aménagement, jusqu’ici, on réalisait un plan-masse basé sur la charge foncière et les droits à construire. Les seules ques­tions à se poser étaient : com­bien a coûté le mètre carré ? Com­bien peut-on construire ? Et, avec ça, est-ce qu’on va pou­voir faire des bénéfices? Une fois qu’on a mis les gros plots sur le plan-masse et les voi­ries, on s’attache à mettre du vert dans les espaces vides, parce qu’il y a le réchauffement cli­ma­tique, les îlots de cha­leur, etc. Or, ça ne marche pas, car ces îlots d’espaces verts sont connectés à l’arrosage auto­ma­tique qui sera bientôt de l’histoire ancienne. C’est pour­quoi nous affir­mons que le tout pre­mier sujet d’une opération d’aménagement est l’eau. La ques­tion à se poser est donc : quel est le plan-masse des espaces verts, qui peuvent sur­vivre d’eux-mêmes, basé sur la cir­cu­la­tion exis­tante de l’eau ? Ce qui peut même conduire à gar­der un peu de bitume lorsqu’il per­met d’acheminer l’eau de ruis­sel­le­ment aux endroits utiles.

Mais cette approche reste trop rare aujourd’hui. Pour­tant, nous allons abso­lu­ment avoir besoin de cette finesse pour dres­ser, d’abord, le plan-masse du vivant. À par­tir de là, on met les bâtiments dans les espaces vides. Et si ça ne cadre pas d’un point de vue économique, on renonce. Le critère est alors : est-ce que les immeubles vont être vivables et assu­rables jusqu’à leur fin de vie, malgré les conséquences – connues et modélisables – du dérèglement climatique ?

Pro­pos receuillis par Rodolphe Casso. 

Extrait de la bande dessinée Les super pou­voirs des sols, éditée par le Cere­ma (2019), illustrée par Mathieu Ughetti.

© D. R. 

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