Un rapport du think tank Terra Nova propose plusieurs pistes pour refonder l’action territoriale afin d’amorcer un « changement de paradigme » de la décentralisation.
La « géographisation » du débat public
Rédigé par Daniel Béhar (Professeur à l’École d’urbanisme de Paris) et Aurélien Delpirou (Maître de conférences à l’École d’urbanisme de Paris), le rapport remet en question la notion de « territoire » en tant que maître-mot de la pensée politique en matière d’action publique. Pour les auteurs, il est vain de penser que l’on pourrait trouver un nouvel équilibre territorial satisfaisant en cherchant à contenir nos espaces de vie dans un seul périmètre, gouverné par une seule autorité, dotée de compétences exclusives. Ils réfutent également le divorce entre les métropoles et la France périphérique qu’aurait montré la crise des gilets jaunes ou encore la crise sanitaire. Les inégalités concernent tous les territoires : les villes sont à la fois des lieux privilégiés et des points de fixation de la pauvreté ; les villes moyennes vivent des situations contrastées alors que certains territoires ruraux sont plutôt privilégiés, avec des taux de chômage bas. Pour les auteurs, « l’État n’a jamais abandonné les campagnes et les villes petites et moyennes au profit des métropoles ». Ainsi, « en matière de dotations par habitant, la banlieue lyonnaise est nettement moins bien lotie que la Haute-Loire, alors que les difficultés sociales y sont autrement plus intenses ».
Le territoire français ne doit plus être pensé comme un simple jeu d’emboîtement d’échelles, du niveau local au national. L’espace vécu dépend toujours plus de systèmes de connexions, qui démultiplient les espaces d’appartenance et d’exploration. Ainsi, pour les auteurs, « Action cœur de ville » est-elle trop limitée par la notion de périmètre – les cœurs de villes moyennes étant « à la fois multiples et multiscalaires » – qui ne permet pas de prendre suffisamment en compte la concurrence fiscale, résidentielle et commerciale entre centres et périphéries. D’une manière générale, ils fustigent le zonage, « insubmersible et inefficace ».
La situation contrastée des villes moyennes
© CGET (2018)
https://www.cget.gouv.fr/actualites/regards-croises-sur-les-villes-moyennes
Plutôt qu’un énième acte de décentralisation, refonder l’action territoriale
Le rapport propose de « prendre acte du caractère généralisé de la métropolisation, un processus qui disloque les ordonnancements territoriaux et crée des inégalités partout et à toutes les échelles, au sein des métropoles comme en dehors d’elles ». Il appelle à refonder le projet décentralisateur au travers de 15 propositions poursuivant 5 objectifs :
Politiser la décentralisation : organiser deux blocs de collectivités avec le bloc de niveau intermédiaire (départements et régions) et le bloc local (communes et intercommunalités ; supprimer toutes les règles nationales de partage des compétences au sein de ces blocs ; synchroniser les mandats régionaux, départementaux et locaux et rendre obligatoire au début de chacun d’entre eux la définition d’un « contrat de territoire » programmatique.
Démocratiser la décentralisation : différencier les responsabilités politiques de la commune (liens sociaux) de celles de l’intercommunalité (liens territoriaux) ; différencier les deux registres de la légitimité intercommunale avec un organe exécutif et un organe délibératif ; différencier les modalités et les fonctions électives des maires de celles des exécutifs intercommunaux.
Distinguer les interventions territoriales de l’État de celles des collectivités : mettre fin à la politique de la ville et aux CPER, confiés aux collectivités ; conditionner tout financement d’État à une coopération entre territoires.
Recentrer et renforcer l’État sur ses missions de solidarité et de régulation nationales : recentrer l’État sur la mise en œuvre de programmes sectoriels renforcés (éducation, santé, emploi, sécurité) ; renforcer les fonctions de régulation nationale en matière de transition écologique ; refonder la solidarité financière à l’échelle nationale, exiger une solidarité fiscale locale ; garantir l’accès à un « panier de services au public » ; créer une Cour d’équité territoriale.
Faire des collectivités les garantes de la solidarisation des territoires en développant la coopération : généraliser la réciprocité ; mutualiser les ingénieries.
Pour les auteurs, avec la loi 4D, c’est au mieux le statu quo – et au pire, un pas en arrière – qui est à l’ordre du jour, le « brutal » retour en force du niveau départemental étant, pour eux, un indicateur significatif. C’est davantage la conception des politiques publiques et leur mode de pilotage qui doivent être profondément transformés.
Thierry Lemant
Pour en savoir plus : « Après la décentralisation : 15 propositions pour refonder l’action territoriale », par Daniel Béhar et Aurélien Delpirou, Terra Nova, 13 janvier 2021