L’atelier d’urbanisme « De la cité portuaire à la métropole côtière ? », qui s’est déroulé en mars 2021 à San Pedro, atteste du dynamisme retrouvé de la Côte d’Ivoire sur la scène africaine, après une décennie de troubles politiques. Il met aussi en exergue les grands choix auxquels sont confrontés les pouvoirs publics pour accompagner la croissance des villes africaines.
Située au sud-ouest du pays, au contact du Liberia, San Pedro, 6e ville de Côte d’Ivoire avec une population estimée à environ 260 000 habitants (130 000 hab., selon le dernier recensement disponible, datant de 1998), illustre plusieurs caractéristiques des mécanismes de croissance des grandes villes africaines contemporaines.
D’abord, une croissance, qui s’est faite majoritairement par des quartiers non lotis, dont le plus grand d’entre eux, le Bardot, constitue aujourd’hui le lieu principal d’animation urbaine autour du grand marché.
Ensuite, un processus de métropolisation, provoqué par le choix de construire de grands équipements – centre hospitalier, université, nouveau stade de football pour la Coupe d’Afrique des nations, tous construits par des entreprises Chinoises – en périphérie de la ville existante, ce qui de fait encourage l’étalement urbain et accélère l’intégration des villages ruraux.
Enfin, une prise en compte des enjeux environnementaux (recul du trait de côte, protection des forêts, régulation du système lagunaire…) qui progresse, mais peine encore à se traduire en actes concrets structurants.
Habitat précaire dans le quartier du Bardot © Les Ateliers de Cergy, 2021
Mais l’originalité de cette ville se situe d’abord dans sa relation de dépendance à son port et dans sa difficulté à penser sa centralité. San Pedro est en effet une ville créée de toutes pièces à partir des années 1960 par décision planificatrice de l’État ivoirien de construire un port dédié à l’exportation des productions vivrières et agricoles (fruits, café, cacao, hévéa…), l’un des piliers du développement économique du pays, et de désenclaver cette région un peu excentrée.
Le programme Arso (Autorité pour l’aménagement de la région du Sud-Ouest), mis en place entre les années 1970 et 1980, avait deux grands objectifs : créer un outil industriel et commercial performant et aménager une ville nouvelle à côté. Dès le départ le volet urbain a manqué d’ambition et n’a pas été suffisamment dimensionné. Les quelques quartiers lotis (Poro, Cité, Séweké, Sonougo, Lac) n’ont absorbé qu’une toute petite partie de l’afflux de populations des pays limitrophes attirées par les emplois portuaires. La croissance de la ville s’est donc faite principalement sous la forme de quartiers non lotis.
© Conseil régional de San Pedro
Ces dernières années, avec une dynamique économique nationale retrouvée, le port s’est engagé dans une nouvelle étape de développement et s’est vu attribuer par l’État une zone de 500 ha pour y développer ses propres activités et accueillir des industries de transformations agricoles et de matières premières. La ville, quant à elle, outre ses extensions peu maîtrisées, a vu ses infrastructures routières se dégrader. Et elle peine à fixer sur place une population de cadres, en raison de la faiblesse de l’offre de services urbains (commerces, lieux de détente et de culture…).
Une ambition urbaine et portuaire
L’enjeu actuel pour la ville est donc de relancer une ambition urbaine, permettant d’accompagner la poursuite du développement portuaire et industriel, mais aussi d’établir un dialogue plus équitable avec le port, entité autonome, gérée par un Établissement contrôlé par l’État ivoirien. Le maire-ministre de San Pedro (ministre de la Promotion des PME, de l’Artisanat et de la Transformation du secteur informel), Felix Anoblé, a engagé une démarche volontariste – avec en particulier l’adoption en 2016 d’un plan d’urbanisme directeur (PDU) – et établi une longue liste de projets qui, s’ils étaient financés, permettraient de remettre à niveau la ville. Un certain nombre sont déjà engagés.
Il lui faut maintenant exprimer plus clairement des demandes et des exigences concernant l’organisation du port, dont l’accès principal passe par le centre-ville. Or, la création de nouveaux accès directs à la zone portuaire sans passer par le centre-ville apparaît comme une condition pour ne pas bloquer la ville par de trop nombreux flux de camions et d’activités liées au trafic automobile (garages, zones de stationnement…).
La difficulté à penser la centralité de San Pedro par les élus locaux résulte donc d’abord de la place dominante occupée par le port dans la ville et de son poids économique. Mais il provient également d’une opposition entre deux visions différentes de la ville existante. Le maire porte le projet d’un centre moderne et commercial, qui nécessite le déguerpissement de l’un des plus anciens quartiers (Séweké, environ 15 000 habitants).
Mais cette approche radicale est contestée par les représentants de la société civile et a été globalement peu soutenue par les organismes partenaires lors de la restitution des travaux de l’atelier, qui ont proposé une vision de la ville contemporaine intégrant la conservation de ces vieux quartiers, au titre d’une démarche plus respectueuse des habitants actuels, mais aussi intégrant une dimension patrimoniale, celle de la mémoire de la ville et de ses lieux.
À San Pedro, l’objectif de la ville africaine durable se confronte donc concrètement à la prise en compte du « déjà-là », des espaces déjà constitués et habités, et plus généralement à la construction d’une appartenance commune à un même espace de vie urbaine.
Vincent Bourjaillat