Rarement, les paradigmes de la mobilité auront été autant bousculés. L’année 2020 s’est ouverte sur l’adoption de la loi d’orientation des mobilités (LOM) au moment même où les réseaux de transport étaient paralysés par un mouvement social et où la protestation des « gilets jaunes » lancée contre la taxe carbone s’essoufflait. La LOM s’organise autour des objectifs du Plan climat, de la nécessité de développer des solutions nouvelles de mobilité, ainsi que des offres multimodales pour tous et pour tous les territoires.
Pourtant, explique Jean-Marc Offner, les politiques publiques des mobilités restent inopérantes, toujours plus attachées à développer une offre de transport qu’à répondre à la demande : « Ce qui fait l’essentiel des déplacements, la voiture et la marche, est hors de contrôle des vraies fausses AOM. » S’intéressant aux mobilités dans les territoires peu denses, Xavier Desjardins pointe lui aussi les ambiguïtés de la LOM qui, certes, s’appuie sur ces « autorités organisatrices de la mobilité », mais les prive de ressources si elles ne fournissent pas un service régulier de transport public.
Une lame imprévue a accéléré violemment la prise de conscience
Pourtant, des besoins se font jour, les représentations se transforment, les présupposés traditionnels sont percutés par des vagues de fond, malgré la persistance des habitudes. Une lame imprévue a accéléré violemment la prise de conscience. Si elle aura heureusement une fin, ses effets seront durables : c’est le facteur Covid. Jean-Pierre Orfeuil montre à quel point ce moment affecte en profondeur le transport public, même s’il rappelle l’inertie du système de mobilité : la part de la voiture dans les déplacements quotidiens représente toujours 63 % contre 9 % pour les transports urbains.
Thierry Mallet, PDG du groupe Transdev, confirme les difficultés d’un grand transporteur et la remise en cause du modèle économique des réseaux ; pourtant, il veut voir dans ce moment difficile une occasion de redéploiement de l’offre, notamment vers des territoires mal desservis.
Sortir de la crise
Il n’est pas simple de dessiner le paysage qui sortira de la crise. Difficile, par exemple, d’évaluer les impacts du développement accéléré du télétravail, expliquent Anne Aguiléra et Laurent Terral. Et pourtant une deuxième vague va transformer encore plus en profondeur les mobilités : l’obligation de décarbonation. On comprend en lisant Jérémie Almosni, chef du service Transport et mobilité de l’Ademe, que les solutions devront être multimodales et ne feront pas l’économie d’une réflexion sur les besoins. Pourtant, une étude de chercheurs pour le Forum Vies Mobiles, rendue publique en octobre 2020, montre que la voie française privilégie l’innovation technologique et l’automobilité « au détriment de l’évitement des mobilités ». Le constat est lucide : la France est en retard et il n’y a pas de dynamique permettant d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Pourtant, des métropoles comme Rouen actionnent tous les leviers et privilégient les expérimentations. Une voie à suivre ?
Après d’autres villes comme Dunkerque, le nouveau maire de Montpellier explique sa décision d’aller vers la gratuité des transports publics comme le moyen de s’engager dans la transition écologique. Les questions soulevées dépassent le seul secteur du transport public. Elles mettent en jeu les modes de vie, l’organisation du travail autant que les modes de déplacement et plus encore les contraintes liées à l’espace : l’organisation urbaine elle-même, les conflits d’usage engendrés par le développement du vélo (Frédéric Héran), l’offre de stationnement ou le renouvellement des pratiques mobilitaires dans les territoires peu denses (Céline Burger). Elles interrogent aussi l’ancienne injonction de vitesse (Emmanuel Munch et Léa Zachariou) et le principe d’une « ville du quart d’heure » (Emre Korsu). Entre la nécessité, le besoin et le droit de bouger, et l’impératif de réduire les mobilités et de ralentir les rythmes urbains, le temps du compromis est peut-être venu, l’heure aussi de mettre en route et de réussir la « ville relationnelle » (Sonia Lavadinho).
Jean-Michel Mestres
Photo : © Riccardo Milani/Hans Lucas
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