La loi d’orientation pour les mobilités (LOM) du 24 décembre 2019 a fortement modifié les outils à disposition des collectivités locales. Pendant longtemps, pour être « autorités organisatrices de transport urbain », les groupements de communes devaient offrir un service régulier de transport collectif de voyageurs.
Depuis quelques années, on ne parle plus « d’autorités organisatrices de transport urbain », mais d’« autorités organisatrices de la mobilité ».
Cela signifie que ces autorités organisatrices n’ont pas seulement à leur charge de proposer un service de transport public. Selon les termes de la LOM, ces autorités peuvent également organiser des services de transport à la demande, de transport scolaire, mais aussi des services pour les mobilités actives ou les mobilités partagées comme le covoiturage, l’autopartage ou encore la location de vélo.
Ces autorités peuvent aussi proposer des services de conseil en mobilité, notamment auprès des personnes vulnérables, ainsi que des services de transport de marchandises. Plus de 900 communautés de communes, sur le millier existant, n’étaient pas autorités organisatrices en 2020. Elles devront délibérer d’ici le 31 mars 2021 pour se saisir ou non de la compétence. Si elles ne la prennent pas, la Région exerce cette compétence. Cela doit permettre, selon l’exposé des motifs de la loi, d’instaurer des politiques locales sur tout le territoire parce que « quand, sur 80 % du territoire, aucune autorité organisatrice ne met en place de services de mobilité, par exemple, laissant la population sans autre réponse que la dépendance à la voiture individuelle, c’est le sentiment d’une assignation à résidence qui s’installe, et même d’abandon pour beaucoup de territoires ».
Cela remet-il en cause la place historique qu’ont jouée les transports publics dans la structuration de la compétence locale en matière de mobilité ? Rien n’est moins sûr ! En effet, il est prévu que les autorités organisatrices ne pourront percevoir de ressources fiscales nouvelles à travers le versement mobilité qu’à la condition de fournir un service régulier de transport collectif. Autrement dit, la mobilité, ce ne sont pas que des trams et des autobus ; mais sans eux, pas de ressources nouvelles pour mettre en place une politique de mobilité ! Ceci est l’effet conjoint de l’intense lobbying du secteur des transports publics, qui craint de devoir partager une ressource qui lui est aujourd’hui presque exclusivement consacrée, et du patronat, qui redoute toujours toute nouvelle taxe et ne souhaite donc pas que les entreprises du monde rural aient également à contribuer au versement mobilité.
Qu’attendre de ces nouvelles possibilités locales ? Comme toujours, l’action politique ne pourra avoir d’effet que si elle entre en convergence avec l’évolution de la société. Pour cela, nous nous permettons de formuler ici une recommandation et une proposition.
La recommandation est de ne pas imiter, dans les territoires ruraux, la manière avec laquelle sont construits les mots d’ordre et les actions dans les villes. Un objectif tel que « limiter la circulation automobile » a‑t-il la même pertinence dans les territoires ruraux que dans les centres des grandes villes ? Dans les zones rurales, la résolution de nombreux problèmes de mobilité, notamment pour les plus pauvres, passe certainement moins par une réduction de l’automobilité que par l’encouragement à une diversification des engins motorisés, pour éviter que l’automobile de plus d’une tonne qui peut atteindre plus de 150 km/h soit quasiment le seul objet proposé à ceux qui souhaitent ne pas utiliser la force musculaire pour se déplacer. Objectifs sociaux, grâce à des véhicules moins coûteux, et objectifs environnementaux, grâce à des véhicules plus légers et moins énergivores, pourraient ici se rejoindre. Avec ce type de véhicules, moins larges et moins rapides, il est plus aisé de prévoir un partage de la route. La place des véhicules légers au Japon (les keijid-osha) peut inspirer. Une politique industrielle ne pourrait-elle pas venir ici accompagner le changement souhaité des mobilités dans les zones rurales ?
La proposition est de provoquer rapidement une mutation importante des pratiques de mobilité qui démontrent l’ouverture du champ des possibles. Pourquoi ne pas offrir ou prêter sur la longue durée à tous les élèves qui entrent en sixième un vélo, éventuellement à assistance électrique pour ceux qui vivent dans les zones les moins denses ou les plus montagneuses ?
Plusieurs gains pourraient en être attendus. À court terme, cela favoriserait les activités physiques. C’est un enjeu de santé publique majeur.
Ensuite, les demandes des usagers pour une amélioration des infrastructures afin d’utiliser de manière efficace et sûre ces vélos seraient importantes. Il ne suffit pas d’un vélo pour le pratiquer quotidiennement : il faut pouvoir le stationner de manière sécurisée et circuler sereinement, notamment grâce à l’éclairage et l’entretien approprié des chaussées, pouvoir le réparer aisément, etc. On peut donc en attendre des effets importants à moyen terme sur l’urbanisme et l’espace public.
Dans les années 1950, on offrait un verre de lait chaque jour aux écoliers. Aujourd’hui, ne faut-il pas adjoindre à la tablette numérique un vélo ?
Développement des nouvelles technologies, changement des valeurs sociales, cadre de l’action locale : les ferments d’une bifurcation dans les mobilités locales dans les espaces peu denses sont plus nombreux. Face à l’ampleur des contraintes existantes, une chose est sûre, les changements à venir ne pourront être que progressifs et exigeront, peut-être plus qu’ailleurs, de l’imagination.
Photo : Vélo électrique, Home Park, Londres, hiver 2020 (détail) © Javier Garcia/Shutterstock/SIPA
Xavier Desjardins, professeur Sorbonne Université, laboratoire Médiations – Sciences des lieux, sciences des liens