Face aux situations hydriques de plus en plus tendues, les besoins en planification des ressources en eau apparaissent de plus en plus criants, mais les outils pour y répondre se révèlent toujours trop peu opérants. Comment y remédier ?
Depuis quelques mois, la fragilité de la ressource en eau est devenue une préoccupation majeure pour l’ensemble de la société française. Elle n’est plus circonscrite à certaines régions ou certaines activités qui pouvaient souffrir d’un excès ou manque d’eau. Cette prise de conscience tardive de l’épuisement du bien le plus vital est révélée par des impacts socio‑économiques majeurs : perte alimentaire, hydroélectricité, centrale nucléaire, industrie, etc. Les conflits d’usage sont maintenant visibles et fragmentent la population. Sur le bassin Adour-Garonne, considéré comme le plus vulnérable face au changement climatique, les impacts se font déjà sentir : il manque 200 à 250 millions de m3 pour couvrir les besoins des usages. Le changement climatique va encore accentuer la forte tension sur les ressources en période d’étiage et le déséquilibre hydrologique pourrait atteindre entre 1 et 1,2 milliard de m3 en 2050.
Une ressource doublement menacée
Mais l’enjeu n’est pas uniquement quantitatif. La baisse des débits moyens annuels des cours d’eau et celle de la recharge des aquifères ont aussi un impact sur la qualité de l’eau, souvent liée à un manque de dilution. A contrario, la fréquence des évènements pluvieux intenses augmente le lessivage des polluants vers les milieux récepteurs. Le ruissellement accentue l’érosion des sols et contribue aussi à une moindre dilution des polluants, rapidement charriés vers les cours d’eau, ce qui contribue à la dégradation de l’état chimique des eaux superficielles. L’édition de février 2022 du bulletin Rapportage de la directive-cadre européenne sur l’eau (DCE) dénombre (référence 2019) 11407 masses d’eau de surface, dont 51,5 % sont affectées par des pressions hydro- morphologiques (modification de la morphologie des milieux) et 43,3 % par des pollutions diffuses (pollution des eaux par les nitrates et les pesticides issus de l’agriculture, notamment). C’est donc l’accès à l’eau, mais aussi à une eau de qualité qui est en jeu aujourd’hui. À l’instar de la consommation de l’espace (l’artificialisation des sols augmente quatre fois plus vite que la population), la consommation en eau a évolué au cours des dernières décennies de manière exponentielle et décorrélée de l’augmentation de la population. Ce qui témoigne d’une croyance globale en des ressources inépuisables que l’on pourra, à l’appui de solutions techniques, toujours mobiliser. Nos modèles de développement, de l’artificialisation des sols à l’hyper consommation des sols et ressources, ont contribué à briser le cycle de l’eau, comme l’a rappelé le secrétaire général de l’ONU le 22 mars dernier.
Le dérèglement climatique pose la double problématique de gestion de la pénurie et de l’excès d’eau, dont la consommation d’espaces et l’artificialisation des sols, principalement liées à l’étalement urbain, sont les causes premières. Du reste, la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (loi climat et résilience), au-delà de viser l’atteinte du « zéro artificialisation nette » (ZAN) à 2050, a mis en avant le fait que la qualité de l’eau fait « partie du patrimoine commun de la nation », en l’inscrivant dans les grands principes régissant la protection de l’environnement (à l’article L110‑1 du Code de l’environnement).
Le rôle majeur du sol
L’altération de la ressource sol a conduit à une réduction des services de régulation (protection contre les inondations, l’érosion des sols, la régulation du climat local et global, etc.). Le sol joue un rôle majeur dans la régulation du cycle de l’eau, assurant le partage entre infiltration et ruissellement. Ainsi, la préservation de la qualité des sols peut apporter plusieurs réponses aux enjeux de la ressource en eau. Les sécheresses plus fréquentes et intenses auxquelles le pays fait face entraînent une diminution de la « pluie efficace », c’est‑à-dire de la part des précipitations qui recharge réellement les nappes par infiltration ou qui ruisselle jusqu’aux cours d’eau et aux lacs. Selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), les nappes phréatiques restent sous les normales avec 80 % des niveaux modérément bas à très bas ; et la situation s’est dégradée du fait de l’absence de préci- pitations efficaces en février 2023 (au 1er mars 2023). Sur ce plan, les pratiques agricoles peuvent jouer un rôle fondamental dans le cycle de l’eau. On parle de « l’eau verte », soit l’eau stockée dans les sols et la biomasse. Il faut aborder la continuité des sols et de l’eau de manière systémique, et donc promouvoir les sols vivants dans l’agriculture permettant de jouer un rôle d’éponge, retenant l’eau, utile en période de sécheresse ou de fortes pluies.
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Audrey Guiraud et Roxane Benedetti
Cours d’eau et biotope en Guadeloupe. ©Filo gèn’/CC-BY-SA