Utopie ou révélation ? Paul Virilio, révolutionnaire catholique
Retour sur la pensée de l’urbaniste Paul Virilio, connu pour ses écrits sur la vitesse, la technologie et la tyrannie de l’instantanéité qui en découle, et qui pressentait au siècle dernier la transformation de nos habitats en « terriers connectés ».
S’il y eut une manière bien particulière de s’inscrire dans le grand débat modernité/postmodernité qui monopolisa la fin du XXe siècle, ce fut bien celle de Paul Virilio (1932–2018) qui opta très tôt pour la « déréalisation ». En intellectuel «révélationnaire», tel qu’il se dénomma lui-même, il nous avait dit : «J’annonce l’inertie du moment de l’inertie qui remplacera la sédentarité de l’inertie du lieu.» Et d’ajouter : «La révélation est fondamentale et je préfère toujours le révélé au révolu. L’ère des révolutions est désormais achevée. Il faut relire Eric Hobsbawm à ce sujet. Le dépassement du révolu appartient à notre histoire anthropostatique, reliée à l’inertie du lieu. Or nous entrons dans le moment de l’inertie du lien, et c’est une révélation unique.» Pendant que l’architecture s’envoyait encore en l’air, cette vigie catholique regardait, inquiète autant que passionnée, nos espaces à la fois s’élargir, sous les auspices d’une révolution de l’« emport », incarnée par l’avion et surtout le navire porte-conteneurs (d’où sa passion pour le littoral où il a terminé sa vie), et tout autant se rétrécir, sous l’effet, d’abord, des écrans, puis du numérique.
Accélérer ou diverger ?
La fin du lieu et l’accélération des flux, par ce prisme, Virilio avait en chemin dévisagé un pan du futur auquel nous sommes aujourd’hui astreints, conjuguant sur un mode alternatif et incertain le lieu d’élection et le lieu d’éjection. Monde fini, fin de la géographie, mais comment donc reconfigurer l’espace pour calmer les flux ? La passion contemporaine pour l’édification de murs témoigne de cette ambivalence jouant simultanément sur la fermeture et l’ouverture entre un pouvoir de plus en plus virtuel et d’imposantes barrières physiques, barricades aussi bien que corridors. Variante américaine radicale prônant la relocalisation brutale, les « survivalistes » préparent eux aussi leur retraite clan- destine face aux hordes affamées de l’après‑pétrole. Bâtir des murs autour des fermes bio : quand les survivalistes du XXe siècle faisaient face à l’apocalypse nucléaire, ceux du début du XXIe se préparent à l’effondrement environnemental. Décroissance ou barbarie ?
« Peut-on encore écouter et surtout entendre les bâtisseurs, alors même que les démolisseurs se recrutent partout »? Paul Virilio s’était plu à le rappeler dans la préface qu’il donna en 2004 à Une occupation civile, la traduction de l’ouvrage d’Eyal Weizman et Rafi Segal, sur la politique architecturale israélienne. Troublé par les fausses proximités issues de la mondialisation, le philosophe confessait dans ce texte son inquiétude en voyant vaciller quelques-uns des repères qu’il s’était jusqu’ici solidement construits, au moins depuis L’Espace critique, paru en 1984.
Jean-Louis Violeau
Paul Virilio (en 1992). © Fondation Horst Tappe/Keystone Suisse/Roger-Viollet
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