La guerre des âges aura-t-elle lieu ?

Alors que les lieux où les enfants n’ont pas droit de cité se multiplient, certains s’inquiètent d’un risque d’exclusion d’autres tranches d’âge, comme c’est le cas en Corée du Sud ou en Grande-Bretagne. Simple désir de tranquillité ou une rupture avec la notion même de « faire société » ?

 

Qui n’a pas déjà pes­té ou enten­du quelqu’un se plaindre du « vacarme » cau­sé par « les » enfants « trop nom­breux et bruyants » dans le train ? Du « bruit » de ces ado­les­cents en bas d’un immeuble. Du bal­lon qui résonne un peu trop fort ou de ces per­sonnes âgées trop lentes à la caisse de l’hypermarché.

L’espace urbain, par ses pra­tiques, est sou­vent inter­gé­né­ra­tion­nel, avec des per­sonnes de tranches d’âge dif­fé­rentes qui se croisent, échangent, cocons­truisent… Mais il est aus­si un lieu du conflit où ces mêmes per­sonnes peuvent ne pas se com­prendre ou se sen­tir atteintes dans leurs espaces et volon­té de l’instant.

L’échelle de l’individu se croise avec l’échelle du col­lec­tif et l’argument des géné­ra­tions d’âges dif­fé­rents (et de la manière dont on pra­tique et consi­dère l’espace qui nous entoure) peut être source de conflit. Cet aga­ce­ment ne semble pas nouveau.

En témoigne cet extrait de la série à suc­cès Sex and the City, miroir gros­sis­sant et caus­tique de notre socié­té dif­fu­sée en 2003 : « J’en ai tel­le­ment marre de ces gens avec leurs enfants », dit Saman­tha, cin­glante. « Je vous le dis, ils sont par­tout. Assis à côté de moi en pre­mière classe, man­geant à la table d’à côté chez Jean-Georges. Cet endroit est pour les cap­puc­ci­nos doubles, pas pour les pous­settes doubles. »

Vingt ans plus tard, que ce soit dans la sphère publique ou pri­vée, l’opposition géné­ra­tion­nelle n’a jamais sem­blé aus­si forte. De nom­breux lieux dis­cri­minent l’usager par son âge déter­mi­nant (de manière consciente ou non) l’accès ou le non-accès, le degré d’expérience (pos­si­bi­li­té de se sen­tir à l’aise, de se mou­voir, de s’occuper), le niveau d’attachement et de recon­nais­sance à cet espace.

Les « points de contact » entre per­sonnes d’âges dif­fé­rents peuvent être rugueux, allant, dans cer­taines situa­tions, jusqu’à l’invisibilisation ou l’exclusion. Car, les inté­rêts de cha­cun sont diver­gents, les pos­si­bi­li­tés de se mélan­ger sont de moins en moins là et l’aménagement urbain ne s’y prête pas réellement.

 

Les enfants d’intérieurs

Les enfants, par exemple, ont, en quelque sorte, dis­pa­ru de l’espace public. En croi­ser un non accom­pa­gné devient rare. Dès 2006, les géo­graphes Lia Kars­ten et Willem van Vliet parlent d’« enfants d’intérieurs ». En France, nos enfants passent en moyenne seule­ment sept heures par semaine dehors. Loin de nous l’époque ou « aller jouer dehors » était une acti­vi­té du quo­ti­dien, syno­nyme de liber­té, de décou­verte et de sociabilisation.

Les rai­sons, lar­ge­ment docu­men­tées en socio­lo­gie, sont mul­ti­fac­to­rielles : prise de conscience des dan­gers encou­rus, télé­phones et réseaux sociaux qui mono­po­lisent l’attention et bou­le­versent les moyens de com­mu­ni­quer, recon­fi­gu­ra­tion du rap­port à la chambre avec l’arrivée d’Internet, mul­ti­pli­ca­tion des acti­vi­tés en inté­rieur… L’urbanisme et la manière d’aménager l’espace public doivent prendre éga­le­ment toute leur part de responsabilités.

Pour Clé­ment Rivière, maître de confé­rences à l’université de Lille : « Les niveaux de mobi­li­té auto­nome sont en recul par­tout en Europe, même si de fortes dif­fé­rences sub­sistent entre pays et entre villes. Par­mi les fac­teurs qui contri­buent à cette évo­lu­tion, il faut tout d’abord sou­li­gner le rôle cen­tral joué par la dif­fu­sion mas­sive de l’automobile au cours de la seconde moi­tié du XXe siècle. Les voi­tures indi­vi­duelles prennent de la place dans la ville, ce qui réduit l’espace dis­po­nible pour le jeu, elles consti­tuent un risque majeur pour l’intégrité phy­sique des enfants et contri­buent, par ailleurs, à la pol­lu­tion atmo­sphé­rique. Last but not least, les enfants sont trans­por­tés en voi­ture pour un cer­tain nombre de tra­jets – même si c’est moins vrai à Paris que dans d’autres villes moins denses –, au point que des géo­graphes anglo-saxons ont par­lé d’une “back­seat chil­dren gene­ra­tion”. »

 

Elias Sou­gra­ti

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Pho­to de cou­ver­ture : Le vil­lage du Bois Bou­chaud, à Nantes, ensemble médi­co-social inter­gé­né­ra­tion­nel de la Croix-Rouge. © Tho­mas Louapre / Divergence

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