« La loi Climat et résilience pose problème par son extrême précision »

La révision du SCoT (schéma de cohérence territoriale) Métropole Savoie, approuvée en 2020, est considérée comme pionnière en matière de mise en œuvre de la réduction de l’artificialisation des sols et des objectifs ZAN (« zéro artificialisation nette »). Entretien avec Thibaut Guigue, président du syndicat mixte de la Métropole Savoie.

Pou­vez-vous reve­nir sur la genèse du SCoT de la Métro­pole Savoie ?

Il faut repla­cer ce ter­ri­toire dans un contexte plus large, entre Aix-les-Bains, Cham­bé­ry et le début de la combe de Savoie. Cette zone concentre 60 % de la popu­la­tion dépar­te­men­tale, sans pour autant repré­sen­ter le cœur de l’image savoyarde tra­di­tion­nelle. C’est un espace géo­gra­phique remar­quable qui peut atteindre 3 000 mètres d’altitude, avec deux sta­tions de ski de basse alti­tude. Le lien prin­ci­pal avec l’économie de haute mon­tagne réside dans la pré­sence de l’aéroport, véri­table porte d’entrée des grandes sta­tions tou­ris­tiques. Des col­la­bo­ra­tions ter­ri­to­riales entre com­munes existent, dès les années 1970, notam­ment autour de la ges­tion de l’eau et des bas­sins-ver­sants d’assainissement. Dans les années 1990, des acteurs poli­tiques vision­naires comme Roger Rin­chet, maire de Mont­mé­lian, et Louis Bes­son, ancien ministre et maire de Cham­bé­ry, per­çoivent la néces­si­té de tra­vailler ensemble sur l’aménagement ter­ri­to­rial. Le syn­di­cat mixte est ain­si créé en 1991, fruit d’une volon­té poli­tique par­ta­gée mal­gré des his­toires poli­tiques dif­fé­rentes. À l’époque, les ques­tions de mobi­li­té, d’économie et d’urbanisme émergent. Le syn­di­cat s’inscrit rapi­de­ment dans une démarche d’études pros­pec­tives, à moyen et long terme, sur le ter­ri­toire. Avec l’avènement des SCoT, le syn­di­cat devient natu­rel­le­ment le réci­pien­daire de ce dis­po­si­tif de poli­tique publique. La période 2000–2005 et le SCoT de 2005 sont par­ti­cu­liè­re­ment enga­gés sur les ques­tions de pla­ni­fi­ca­tion et de réduc­tion de la consom­ma­tion fon­cière. Dans ce contexte de moyenne mon­tagne, cette réduc­tion paraît plus acces­sible que dans les ter­ri­toires de plaine.

Com­ment l’expliquez-vous ?

Les trames vertes et bleues, ain­si que le grand pay­sage, sont les prin­ci­paux atouts à pré­ser­ver sur notre ter­ri­toire. L’urbanisme concerne cha­cun d’entre nous. Dans notre région, un immeuble de six étages a un impact visuel impor­tant en rai­son de la topo­gra­phie variée. Qu’il soit construit sur les hau­teurs ou en plaine, il devient un élé­ment mar­quant du pay­sage. Cette par­ti­cu­la­ri­té influence l’urbanisation et nous pousse, habi­tants comme élus, à pro­té­ger notre cadre de vie excep­tion­nel. L’engagement du ter­ri­toire en faveur de la pré­ser­va­tion est étroi­te­ment lié à sa géo­gra­phie unique, un fait qu’il convient de gar­der à l’esprit.

Quels ont été les prin­ci­paux points de ten­sion et de négo­cia­tion entre les communes ?

Pour com­prendre le prin­ci­pal point de ten­sion, exa­mi­nons les chiffres. Sur 255 000 habi­tants répar­tis dans 107 com­munes, les deux plus grandes comptent 60 000 et 30 000 rési­dents. Les 105 autres com­munes accueillent donc 165 000 habi­tants, soit une moyenne de 1 500 par com­mune. Les com­munes rurales proches d’Aix-les-Bains et Cham­bé­ry ont connu une den­si­fi­ca­tion rapide. Cer­taines sont deve­nues des centres secon­daires, tota­li­sant aujourd’hui 45 000 habi­tants. La pres­sion s’est d’abord concen­trée sur la den­si­fi­ca­tion rurale, créant une oppo­si­tion clas­sique face aux régle­men­ta­tions et à la pla­ni­fi­ca­tion. Contrai­re­ment au SCoT de 2005, bien accueilli mal­gré ses objec­tifs de réduc­tion, c’est la révi­sion de 2020 qui a sus­ci­té des ten­sions. Ce nou­veau plan s’inscrit dans un cadre régle­men­taire dif­fé­rent, où les com­munes per­çoivent un trans­fert de pou­voir vers les inter­com­mu­na­li­tés et les docu­ments supra-com­mu­naux comme le Sdage [sché­ma direc­teur d’aménagement et de ges­tion des eaux, ndlr]et le SCoT. Les com­munes rurales com­prennent que l’atteinte des objec­tifs fixés les contrain­drait for­te­ment. On observe un effet de report : la réduc­tion de la taille des par­celles en zone urbaine pousse ceux qui veulent de grands ter­rains vers le milieu rural. De plus, la crainte d’une sur­den­si­fi­ca­tion empêche par­fois la réa­li­sa­tion de pro­jets atten­dus, condui­sant à des résul­tats infé­rieurs aux objec­tifs. Cette ten­sion est deve­nue cen­trale lors de ma prise de fonc­tion comme pré­sident du syn­di­cat, en 2022.

Vous avez éga­le­ment une posi­tion cri­tique quant à la super­po­si­tion des docu­ments d’urbanisme.

Un aspect com­plexe est appa­ru pro­gres­si­ve­ment : l’assimilation des nom­breux docu­ments d’urbanisme et strates régle­men­taires, tels que la loi 3DS, la loi Elan, la loi Notre ou la loi SRU. La révi­sion du code en 2020 a cla­ri­fié les concepts de PLH [pro­gramme local de l’habitat] et PLU [plan local d’urbanisme]. Entre 2015 et 2020, la mise à jour des docu­ments d’urbanisme a entraî­né d’importants déclas­se­ments de ter­rains, confor­mé­ment à la poli­tique de réduc­tion de la consom­ma­tion fon­cière. Ces ter­rains, autre­fois consi­dé­rés comme poten­tiel­le­ment construc­tibles, étaient en réa­li­té voués à res­ter non construc­tibles. Pour les maires des 105 com­munes d’environ 1 500 hec­tares, cette situa­tion a créé un dilemme de proxi­mi­té. Confron­tés au choix de déclas­ser des ter­rains appar­te­nant à des proches, beau­coup ont opté pour ne rien déclas­ser, allant à l’encontre de la hié­rar­chie des normes. Cette déci­sion a géné­ré dans nos PLUi [PLU inter­com­mu­naux] un impor­tant fon­cier de réserve construc­tible n’ayant pas voca­tion à être urba­ni­sé le temps de la vie du PLUi. Consti­tuant un stock fon­cier plu­tôt que pla­ni­fiant un flux à consom­mer durant les dix ans de vie des docu­ments, le PLUi res­tait un stock dis­po­nible par crainte d’un déclas­se­ment défi­ni­tif. En consé­quence, le SCoT a fixé des orien­ta­tions de crois­sance démo­gra­phique pour jus­ti­fier ce flux et la réa­li­té des ter­rains construc­tibles. Cette pro­gres­sion a été sur­es­ti­mée pour légi­ti­mer la construc­ti­bi­li­té de ces ter­rains. Les PLH, bien que supé­rieurs aux PLU dans la hié­rar­chie des normes, ont alors fixé des objec­tifs de pro­duc­tion de loge­ments dis­pro­por­tion­nés par rap­port à la réalité.

Pro­pos recueillis par Mai­der Darricau

Lire la suite de cet entre­tien dans le numé­ro 442 « Pla­ni­fier ver­sus régle­men­ter » en ver­sion papier ou en ver­sion numérique

Pho­to de cou­ver­ture : Pan­neau por­tant un PLU ima­gi­naire dans la nature. Cré­dit : Fran­ces­co Scatena

Pho­to : Thi­baut Guigue. Cré­dit : D. R.

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