Les nouvelles dynamiques économiques et commerciales vont-elles trop vite ?

Prolifération des dark stores, usage accru du drive, développement d’espaces de coworking, immobilier de bureaux en chute libre… Au fil des innovations, des crises et d’évènements imprévisibles, l’économie et le commerce s’adaptent avec rapidité et agilité, en s’engouffrant parfois dans des angles morts législatifs. Faut-il réagir plus vite ou anticiper davantage ?

 

Pour Vincent Beau­court, direc­teur géné­ral du cabi­net de conseil en stra­té­gie et déve­lop­pe­ment Kata­lyse, la pro­gram­ma­tion et l’analyse des besoins des col­lec­ti­vi­tés sont la clé de voûte d’une struc­tu­ra­tion éco­no­mique et com­mer­ciale adap­tée. Cepen­dant, le cabi­net, qui tra­vaille autant auprès d’acteurs pri­vés que publics, de la start-up à l’ETI (entre­prise de taille inter­mé­diaire), constate une ten­dance au sur­di­men­sion­ne­ment des ter­rains choi­sis. Or, les consé­quences peuvent conduire à une sous-uti­li­sa­tion des locaux, entraî­nant un gas­pillage de sur­face et une éro­sion de la cré­di­bi­li­té vis-à-vis des admi­nis­trés. « Notre mis­sion consiste à gui­der les col­lec­ti­vi­tés vers des options plus appro­priées. Cette démarche s’inscrit d’ailleurs dans une pers­pec­tive de déve­lop­pe­ment durable. L’objectif est d’anticiper et bien mesu­rer en amont les besoins plu­tôt que d’attendre la légi­fé­ra­tion. Il nous paraît plus judi­cieux d’investir quelques dizaines de mil­liers d’euros dans des études de mar­ché appro­fon­dies, plu­tôt que de se pré­ci­pi­ter vers des pro­jets impli­quant des mil­lions d’euros de tra­vaux par la suite. » Et de flé­cher ain­si le bon usage au bon foncier.

La pro­gram­ma­tion com­mer­ciale doit, elle aus­si, pas­ser entre les mains de pro­gram­mistes. « Nous avons une méthode d’analyse qua­si médi­cale du ter­ri­toire », s’amuse Pierre-Jean Lemon­nier, direc­teur asso­cié de l’agence de pro­gram­ma­tion urbaine en com­merces et acti­vi­tés Béré­nice. Cette acti­vi­té est, quant à elle, confron­tée à des défis retors, notam­ment celui de s’adapter sans cesse aux évo­lu­tions rapides des habi­tudes de consom­ma­tion. Le seg­ment  com­mer­cial est sou­mis à une concur­rence intense et à des pres­sions constantes obli­geant les enseignes à se réin­ven­ter conti­nuel­le­ment pour assu­rer leur péren­ni­té. Dans le cadre de la pla­ni­fi­ca­tion urbaine d’un nou­veau quar­tier, il est donc cru­cial de faire preuve d’agilité. « Les élus doivent démon­trer aux habi­tants alen­tour l’arrivée de nou­velles amé­ni­tés », affirme Pierre-Jean Lemon­nier, et c’est pour­quoi il faut accep­ter que la phase de concep­tion d’un pro­jet puisse dif­fé­rer du calen­drier de com­mer­cia­li­sa­tion. Le rôle du pro­gram­miste com­mer­cial s’étend sur plu­sieurs étapes du pro­jet urbain et poli­tique. Par exemple, sur la ZAC des Docks de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), Béré­nice a col­la­bo­ré avec Sequa­no pour défi­nir les volumes d’activité après l’élaboration du plan-guide. Cepen­dant, Pierre-Jean Lemon­nier déplore une contrainte fré­quente : « Il arrive qu’un client se pré­sente avec un ter­rain de 1 000 m², ce qui limite consi­dé­ra­ble­ment les options. » En par­ti­ci­pant à la rédac­tion des docu­ments stra­té­giques tels que le SCoT (sché­ma de cohé­rence ter­ri­to­riale), le pro­gram­miste doit par­ve­nir à conci­lier la pla­ni­fi­ca­tion à long terme avec l’évolution rapide du sec­teur com­mer­cial. Cette situa­tion crée une ten­sion entre deux tem­po­ra­li­tés dis­tinctes, géné­rant des effets indé­si­rables et pla­çant les élus dans une posi­tion déli­cate, comme le sou­lève Vincent Beau­court. « Tra­vailler sur un SCoT pen­dant quatre ans, qui aura un impact dans quinze ans, est dif­fi­ci­le­ment enten­dable pour des élec­teurs. »

L’économie et la loi : un déca­lage temporel

Pierre-Jean Lemon­nier sou­ligne des inco­hé­rences en matière de régle­men­ta­tion du com­merce et son inté­gra­tion urbaine dans la loi. « Il y a une ten­sion en matière régle­men­taire issue d’une ten­sion basique : le com­merce est pri­vé et sou­mis à la libre concur­rence, mais il est per­çu comme un bien public. » Cette dicho­to­mie se reflète notam­ment dans le DAACL (docu­ment d’aménagement arti­sa­nal, com­mer­cial et logis­tique), inté­gré au SCoT, qui peine à trou­ver un équi­libre entre pla­ni­fi­ca­tion et non-orien­ta­tion com­mer­ciale, sou­ligne le direc­teur de Béré­nice. « Nous sommes face à des mou­ve­ments contra­dic­toires entre la pla­ni­fi­ca­tion, la pro­tec­tion des cen­tra­li­tés, la limi­ta­tion de l’étalement urbain et les mou­ve­ments légis­la­tifs qui prônent la libre concur­rence. Il faut choi­sir une loi et l’assumer. » Le dilemme des élus est ain­si constant : faire du SCoT un véri­table outil de pla­ni­fi­ca­tion ou main­te­nir une cer­taine opa­ci­té régle­men­taire pour favo­ri­ser la libre concur­rence des mar­chés. Tou­te­fois, Pierre-Jean Lemon­nier est for­mel : « Pour des opé­ra­teurs pri­vés, le temps de concep­tion et de fabri­ca­tion des docu­ments de pla­ni­fi­ca­tion est trop long. » Le drive, qui a connu une crois­sance ful­gu­rante entre 2013 et 2020, illustre par­fai­te­ment les défis posés par l’évolution rapide du com­merce. « On observe des ten­ta­tives de rat­tra­page, mais le mal est fait, affirme le direc­teur asso­cié de Béré­nice. Nous avons eu du mal à anti­ci­per les formes que pren­drait l’e‑commerce. Il est cru­cial d’agir sur la ques­tion logis­tique et d’intégrer des élé­ments rela­tifs à ce domaine dans le DAACL. »

Les dark stores : cas d’école des dérives

Concer­nant les dark stores, qui ont pro­li­fé­ré de façon spec­ta­cu­laire à la faveur de la pan­dé­mie de Covid-19, Vincent Beau­court consi­dère que leur implan­ta­tion sou­daine en zone urbaine consti­tue « une forme d’économie qu’il faut accep­ter, mais qu’il ne faut pas posi­tion­ner n’importe où ». Et d’insister sur le rôle des col­lec­ti­vi­tés : « Si le besoin de ce type d’économie avait été anti­ci­pé par des col­lec­ti­vi­tés proac­tives, il n’aurait pas géné­ré de pro­blèmes. » À l’inverse, inter­dire tota­le­ment les dark stores n’est pas non plus la solu­tion, puisque ces sites – qui sont des entre­pôts aux yeux de la loi – répondent à une demande et peuvent s’installer dans des zones stra­té­giques, y com­pris des sur­faces vides, « même dans des hyper­centres ». Lors de la crise sani­taire du Covid-19, l’engouement pour le cowor­king a aus­si chan­gé les besoins et les pra­tiques. Moins média­ti­sé, il demeure une réponse per­ti­nente pour les ter­ri­toires à une demande d’espaces col­lec­tifs de tra­vail. Une étude menée par Kata­lyse pour la com­mu­nau­té de com­munes de Grand­ville-Terre-et-Mer (Manche) illustre quelques évo­lu­tions notables : alors que la col­lec­ti­vi­té pré­voyait la créa­tion d’une pépi­nière d’entreprises, le cabi­net de conseil a pré­co­ni­sé une « solu­tion agile » et des espaces de cowor­king maillés sur l’ensemble du ter­ri­toire. « Un grand pla­teau n’aurait pas été per­ti­nent et vide la plu­part du temps. » Quel que soit le cas de figure, une com­pré­hen­sion appro­fon­die du ter­ri­toire et de ses besoins logis­tiques appa­raît indis­pen­sable pour évi­ter les phé­no­mènes incon­trô­lés. Cette approche glo­bale vise ain­si à opti­mi­ser les flux via des sché­mas logis­tiques. À ce titre, Vincent Beau­court pré­co­nise d’aborder ces ques­tions à l’échelle inter­com­mu­nale, qui est selon lui la plus adap­tée. Et d’insister sur la néces­si­té de sen­si­bi­li­ser les élus, sou­vent rétifs à l’idée d’accueillir des entre­pôts, esti­mant que la logis­tique, « consi­dé­rée à tort comme un gros mot pour les ter­ri­toires », n’attire que des emplois peu qualifiés.

Rodolphe Cas­so et Mai­der Dar­ri­cau 

Lire la suite de cet article dans le numé­ro 442 « Pla­ni­fier ver­sus régle­men­ter » en ver­sion papier ou en ver­sion numérique

Pho­to de cou­ver­ture : Pan­neau por­tant un PLU ima­gi­naire dans la nature. Cré­dit : Fran­ces­co Scatena

Pho­to : La zone com­mer­ciale de Méri­gnac, en péri­phé­rie de Bor­deaux, est en pleine muta­tion. Cré­dit : Bérénice

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