Dans un contexte de fortes turbulences et d’incertitudes, où les crises se succèdent – et celles à venir, bien que certaines, sont difficilement appréhendables –, se sont installés un sentiment d’impuissance et un fatalisme qui annihilent notre capacité à penser le long terme, à envisager un futur désirable, et qui nous enferment dans des solutions techniques et réglementaires sans débat ni évaluation préalable et globale de leurs incidences.
L’augmentation majeure de l’artificialisation des sols en est l’exemple cuisant. Alors que la loi climat et résilience a été votée le 22 août 2021, cette même année a été la pire en termes de rythme d’artificialisation. Et nous pouvons anticiper que l’année 2022 sera également une année record tant le « sauve-qui-peut », qui vise à faire sortir les projets coûte que coûte avant la revoyure des documents d’urbanisme, est une tendance généralisée à tout le territoire national. Cela, alors même que les acteurs, les élus et les experts savent pertinemment que ce « sauvetage » est contreproductif, car le coup de frein nécessaire pour atteindre l’objectif de ‑50 % de la consommation d’espaces à l’horizon 2030 ne sera que plus vigoureux. Dans la pratique, nous pouvons même affirmer que sont actuellement poussés des projets contraires aux objectifs et à la loi, et refusés ou ajournés des projets bien plus vertueux et compatibles.
Alors oui, nous sommes à l’aube d’un bouleversement territorial et social que l’on pourrait comparer à l’exode rural qu’a connu la France au xixe siècle, qui a totalement redéfini la géographie de l’attractivité. Tous nos modèles de développement sont soumis à l’examen critique de nouveaux critères de performance et d’attractivité : nous devons et nous voulons (pour certains seulement, ne l’oublions pas) habiter, travailler, consommer, nous déplacer, etc., différemment, préserver le vivant et adapter nos territoires au dérèglement climatique.
Ces aspirations sont à contre-courant de l’héritage des logiques de développement les plus récentes : le périurbain et le grand pavillonnaire vont sans aucun doute se révolter, refusant des modes de vies sclérosants et dispendieux du fait des coûts de l’énergie ; le rural et les villes moyennes veulent gagner des parts de marché et retrouver une place active et dynamique en jouant leurs atouts d’authenticité et de qualité de vie. Tandis que les grandes villes peinent à trouver les voies et moyens de s’adapter aux défis environnementaux et énergétiques.
Bref, tout le monde aspire au développement, alors que c’est le développement lui-même qui est questionné. L’urgence de la crise climatique nous impose de changer de paradigme concernant l’avenir, de maintenir des territoires vivables, habitables, conviviaux. Ce qui impose de nouveaux référentiels, mais surtout de nouveaux imaginaires.
Le « zéro artificialisation nette » (ZAN) et l’adaptation au dérèglement climatique sont vus aujourd’hui comme de nouvelles contraintes, comme des freins au développement territorial, ou plutôt au développement tel qu’il se pratique depuis l’après‑guerre. Il suffit pourtant de prendre de la hauteur et de s’engager dans un exercice de prospective pour comprendre que l’avenir des territoires va se jouer dans leur capacité à réinventer ce qui fait et fera l’attractivité territoriale de demain. Pour y arriver, il faut repenser notre approche du développement, et proposer un nouveau récit pour les territoires.
L’éveil des consciences écologiques et la volonté collective partagée d’agir pour l’environnement nous invitent à reconsidérer la place de l’humain dans les territoires et à mesurer et compenser les impacts de l’ensemble de ses activités. Il exige d’aménager – en mobilisant l’intelligence collective – la société avant d’aménager les territoires.
L’émergence de ce dessein collectif est la véritable question de nos avenirs. La jeunesse nous y enjoint, alors, qu’attendons-nous ?
Timothée Hubscher, directeur des opérations au sein du Groupe Citadia.