L’à–venir de la méthode
Les débats préalables et consécutifs à la sortie du numéro de janvier 2022 sur les « Territoires oubliés » ont fait naître, au sein de la revue – la rédaction, le conseil scientifique, le comité éditorial –, l’ambition collective d’amorcer un renouvellement des méthodes d’analyse des territoires.
Pour mieux en appréhender les réalités, enfouies sous les conventions et les idées reçues.
Pour déblayer les représentations qui prêtent à sourire, mais qui ont pourtant toujours cours dans bien des discours et publications : la centralisation parisienne et l’hypertrophie francilienne, la côte méditerranéenne imprimée par le fascinant et déroutant chaos marseillais, la région lyonnaise industrielle et sûre d’elle, la dynamique Airbus et la décontraction toulousaine, l’océano-tropisme des villes « bourgeoises » de l’Ouest, le sprawl montpelliérain, etc.
Des représentations ancrées dans les références « IIIe République » de la géographie scolaire et populaire, et technicisées par celles de la Datar, présentant un Hexagone des grandes infrastructures, hiérarchisé en métropoles et pôles d’équilibre, en dehors desquels il ne semble exister que des contextes fragiles et d’incommensurables besoins à satisfaire à grands efforts d’investissements publics.
Certes, l’approche des programmes de soutien de terrain – comme Action cœur de ville ou Petites villes de demain – éclairée par la recherche-action du POPSU et les études de l’ANCT, a engagé une conversion des regards : moins surplombants, plus attentifs et de fait – disons-le – plus objectifs.
Mais il semble manquer une approche, des outils d’analyse, qui permettent de distinguer la très grande diversité des contextes et situations des territoires, de connaître et comprendre ce qu’ils offrent (très souvent : beaucoup), autant que ce qui les limite (très souvent : pas grand-chose), de bien lire leurs trajectoires et de définir de quoi ils auraient le cas échéant besoin.
La revue s’est donc emparée de cette question, en sachant pertinemment que nous ne serions pas en capacité d’aboutir une démarche, mais avec l’intention de la prototyper, de produire de premiers résultats et d’en débattre. Avec l’espoir que cet exercice livre des premières conclusions suffisamment probantes pour que d’autres que nous la poursuivent.
Dans le brouillard inaugural, notre chemin était éclairé par quelques lumières, quelques guides.
Bruno Latour lorsqu’il écrit, dans son livre sur Pasteur, « rien ne se réduit à rien, rien ne se déduit de rien, tout peut s’allier à tout », et que, contre le réductionnisme, il convoque les marqueurs, l’intuition et l’enquête, nous invitant à de nouveau le voir pour le croire, alors que bien des méthodes contemporaines semblent fondées sur l’inverse et prétendent qu’il suffit de le croire pour le voir.
Mais aussi Michel Foucault et ses hétérotopies, les « espaces autres » tels qu’ils ont été repris par Henri Lefebvre : des espaces en dehors des flux globalisants et des imaginaires dominants, qui prennent, de fait, la valeur d’utopies au sens d’exemple, sinon d’idéal.
Et sur le chemin lui-même, dans la réalisation de l’exercice, s’est peu à peu forgée la conviction d’un retour de la géographie, et de l’avènement d’un de ses domaines désormais autant intégré à la géographie humaine qu’à la géographie physique : la géomorphologie, qui étudie les formes et structures du territoire – relief, sol, climat –, et qui constitue la base scientifique et sensible du concept aujourd’hui fondamental de « biorégion ».
À l’aune duquel il apparaît que tous les territoires ont un avenir.
Julien Meyrignac