Michel Maya, maire de Tramayes

Engagée dans une politique sociale, économique et écologique, Tramayes, commune de Saône-et-Loire accueillant 1 000 habitants, est un laboratoire qui démontre un grand pouvoir d’action à l’échelle d’une petite collectivité.

 

Depuis vingt-huit ans, vous menez une poli­tique ambi­tieuse et sur le temps long en faveur de la tran­si­tion éner­gé­tique, en quoi consiste-t-elle ?

Je suis maire de la com­mune de Tra­mayes depuis 1995, il s’agit de mon cin­quième man­dat. C’est une com­mune rurale de Saône-et-Loire qui compte un peu plus de 1 000 habi­tants, ancien chef-lieu de can­ton. Nous pré­sen­tons tous les ser­vices et com­merces au niveau de cette com­mune. Elle est lar­ge­ment enga­gée dans la tran­si­tion éner­gé­tique et écologique.

Nous avons enga­gé cette démarche dès 2003 lorsque nous avons dû écrire un PADD [pro­jet d’aménagement et de déve­lop­pe­ment durable, NDLR], ce qui nous a inter­ro­gés sur notre ambi­tion en termes de déve­lop­pe­ment durable. Nous avons com­men­cé notre poli­tique de tran­si­tion par une opé­ra­tion de chauf­fe­rie bois, accom­pa­gnés par l’État et l’Ademe [Agence de la tran­si­tion éco­lo­gique]. Ma for­ma­tion d’ingénieur m’a aidé, mais je n’avais pas une conscience éco­lo­gique aus­si déve­lop­pée que main­te­nant. C’est au contact des asso­cia­tions que j’ai décou­vert com­ment appli­quer les concepts de sobrié­té et d’efficacité éner­gé­tique. La chauf­fe­rie est en exploi­ta­tion depuis 2006 et, consta­tant ses béné­fices tech­niques et éco­no­miques, nous avons éten­du le réseau de cha­leur pour le rac­cor­der à l’ensemble des bâti­ments muni­ci­paux et une soixan­taine de loge­ments. Nous rédui­sons nos consom­ma­tions en jouant sur des solu­tions éco­nomes d’extension d’éclairage public, de pro­duc­tion d’énergie renou­ve­lable. Nous sommes auto­suf­fi­sants, et aime­rions, à terme, être un ter­ri­toire à éner­gie positive.

 

Com­ment les habi­tants ont-ils per­çu cette politique ?

Les citoyens étaient fri­leux lorsque nous avons lan­cé l’idée d’une chauf­fe­rie bois, car c’est une éner­gie ancienne. Il y avait des craintes autour des res­sources en bois néces­saires et de la fumée qui serait déga­gée. Il a fal­lu mobi­li­ser des spé­cia­listes. Nous avons invi­té des tech­ni­ciens de l’ONF [Office natio­nal des forêts] qui ont démon­tré l’intérêt de cette éner­gie pour éla­guer les bois et avoir des forêts nobles. Tout ce que nous avons fait depuis 2003 n’a pas eu d’impact sur la fis­ca­li­té locale. Lorsque vous réno­vez un bâti­ment, par exemple, il y a deux solu­tions. Soit vous vous conten­tez de res­pec­ter la régle­men­ta­tion actuelle, soit vous êtes plus ambi­tieux : au lieu d’appliquer une RT2012 [régle­men­ta­tion ther­mique], vous appli­quez une RT2030. Elle coûte plus cher, mais vous obte­nez des sub­ven­tions publiques. Le reste à charge, au niveau de la com­mune, est moins impor­tant et il coû­te­ra moins cher à l’usage, vous êtes dou­ble­ment gagnants.

Pour notre pre­mière opé­ra­tion d’envergure, le coût était de 1,5 mil­lion d’euros. Pour une com­mune de 1 000 habi­tants, c’est énorme, mais nous n’avons pas tou­ché au bud­get com­mu­nal pour la créa­tion de cette chauf­fe­rie. Nous avons créé un bud­get annexe indé­pen­dant, obte­nu des sub­ven­tions et fait un prêt sur vingt ans. Par la suite, nous avons construit un groupe sco­laire à hau­teur de 2,4 mil­lions d’euros et réno­vé une ancienne gen­dar­me­rie pour en faire des loge­ments. Tout ça a été fait sans aug­men­ta­tion de la fis­ca­li­té locale. Le taux com­mu­nal et inter­com­mu­nal n’a pas bou­gé depuis plus de vingt ans. Au niveau de la muni­ci­pa­li­té, l’énergie n’est pas le même pro­blème que dans d’autres com­munes. Nos bâti­ments sont rac­cor­dés au réseau de cha­leur et nous aug­men­tons nos tarifs de l’énergie d’1 % par an. Nous sommes maîtres de la res­source en bois qui vient d’une scie­rie, il n’y a pas de rai­son que cela change. En 2007, au niveau muni­ci­pal, nous consom­mions 400 MWh. En 2017, nous consom­mions 117 MWh.

 

Être le déclen­cheur d’actions est valorisant.

 

En dix ans, nous avons plus que divi­sé par trois notre consom­ma­tion d’électricité. Nous sommes en train d’installer des cen­trales pho­to­vol­taïques sur des toi­tures et ombrières, et nous pro­dui­sons pra­ti­que­ment l’équivalent de ce que nous consom­mons. Pro­gres­si­ve­ment, nous allons bas­cu­ler vers l’autoconsommation col­lec­tive, au lieu de revendre cette élec­tri­ci­té, nous allons la gar­der pour nous. Nous sommes très rési­lients aujourd’hui du point de vue éner­gie et je regrette que les gens se posent des ques­tions seule­ment main­te­nant. Nous essayons d’aller sur tous les fronts et je ne vous cache pas que c’est très chro­no­phage, ça demande beau­coup de temps. Il faut arri­ver à trou­ver les moyens humains, ce n’est pas simple lorsqu’on est une petite com­mune. Il faut se faire connaître. Nous avons désor­mais les contacts pour frap­per aux bonnes portes, ce qui est un avantage.

Depuis dix ans, je fais de la sen­si­bi­li­sa­tion auprès des popu­la­tions et des élus. Je consi­dère qu’il est de mon devoir d’aller por­ter cette bonne parole auprès d’autres déci­deurs et de mon­trer par l’exemple ce qu’il est pos­sible de faire. Rien ne me fait plus plai­sir que de rece­voir, trois ans après une inter­ven­tion dans un ter­ri­toire, un mes­sage du type : « Mer­ci, nous avons fait notre réseau de cha­leur en bois. » Être le déclen­cheur d’actions est valorisant.

 

Quels sont les objec­tifs de votre pro­gramme « Vivre heu­reux à Tramayes » ?

Il y a une diver­si­té d’actions dans ce pro­gramme qui cor­res­pond à une diver­si­té de par­cours d’habitat. Il y a des per­sonnes qui rêvent d’une mai­son au milieu de la prai­rie lorsqu’elles viennent vivre à la cam­pagne. Ce sont des choix qui seront de plus en plus dif­fi­ciles à réa­li­ser, sur­tout avec le ZAN [« zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette »]. Il faut com­po­ser avec cette régle­men­ta­tion qui évo­lue. Vous avez aus­si des per­sonnes qui n’ont pas les moyens de se payer ce type de loge­ments, car ils sont récem­ment actifs dans la vie et com­mencent par louer un appartement.

Dans ce pro­gramme, nous essayons de diver­si­fier l’offre et d’aller le plus loin pos­sible en termes d’écologie et d’économie d’énergie. Nous allons cocons­truire avec de futurs habi­tants des loge­ments qui soient pas­sifs. Nous avons aus­si l’ambition de réno­ver un ancien corps de bâti­ment avec des loge­ments seniors, tout en pro­po­sant au rez-de-chaus­sée une micro-crèche pour favo­ri­ser l’intergénérationnel. Je m’intéresse aus­si à l’habitat inclu­sif. Nous avons un ter­rain en centre-bourg, à quelques pas des com­merces, sur lequel nous pour­rions construire des loge­ments, à des­ti­na­tion des per­sonnes à mobi­li­té réduite.

 

L’habitat par­ti­ci­pa­tif est inno­vant, le milieu rural a le droit à l’innovation !

 

Je réflé­chis aus­si aux hameaux com­po­sés de struc­tures légères, pour répondre à une demande de jeunes qui ont envie d’autoconstruire leur mai­son, afin que cela coûte moins cher et n’impacte pas l’environnement. Je me suis ren­du dans les Côtes‑d’Armor pour accom­pa­gner une asso­cia­tion qui réa­li­sait des struc­tures légères dans un vil­lage de 400 habi­tants. Nous essayons de construire un ensemble d’habitat cohé­rent. L’habitat par­ti­ci­pa­tif est inno­vant, le milieu rural a le droit à l’innovation ! Nous avons connu l’exode rural, et nous com­men­çons à connaître l’exode urbain depuis la crise sani­taire. Il faut aus­si que nos com­munes soient en capa­ci­té d’accueillir des urbains qui auraient envie de venir au vert. Nous espé­rons atti­rer de jeunes couples, ceux qui habitent ici s’y sentent bien. Nous ne vou­lons pas d’une démo­gra­phie infla­tion­niste, mais accom­pa­gner l’évolution démo­gra­phique rai­son­née au fil du temps.

Tou­te­fois, nous devrons redis­cu­ter avec les ser­vices de l’État. Nous avons été bon élève. Je fais par­tie des maires ruraux qui se battent contre ce ZAN. Les com­munes impor­tantes ont toutes leurs cou­ronnes péri­phé­riques qui gri­gnotent du ter­rain. Peut-être que jus­te­ment en ayant une cer­taine qua­li­té de vie dans le monde rural, il fau­dra admettre qu’il est néces­saire d’avoir un petit peu de sur­face pour que cette qua­li­té de vie soit pré­ser­vée. Nous n’allons pas entas­ser tout le monde dans des immeubles de dix étages, il faut quand même rai­son gardée.

 

Vous avez une poli­tique très enga­gée d’accueil de réfu­giés, un ins­ti­tut d’ESS [éco­no­mie social et soli­daire]. Qu’est-ce qui l’a inspirée ?

C’est presque le bon sens ! Ça me semble natu­rel. Je n’ai pas fait le choix de mon lieu de nais­sance, je n’ai pas fait le choix du pays dans lequel j’habite ; c’est le hasard de la vie qui fait que je ne me suis pas retrou­vé à Kiev ou à Kaboul. J’ai la chance d’être né, après-guerre, en France, dans un pays où tout se passe bien. Nous n’avons pas de pro­blèmes de pol­lu­tion, on y est bien, on a de l’espace, des che­mins de ran­don­née. C’est nor­mal de par­ta­ger cet espace avec des per­sonnes qui, à un moment don­né dans leur vie, ren­contrent d’énormes dif­fi­cul­tés du fait de crises guer­rières ou cli­ma­tiques qui ne leur sont pas impu­tables. Ce ne sont pas elles qui ont choi­si de faire la guerre ou de quit­ter le lit­to­ral en rai­son de la mon­tée des eaux.

Avec le chan­ge­ment cli­ma­tique, il faut s’attendre à avoir des migra­tions de popu­la­tions, et il faut l’accompagner. Il faut prendre ce dos­sier à bras-le-corps et faire en sorte que ça puisse se pas­ser dans la joie et la bonne humeur. Mes grands-parents vivaient dans le Pays basque, les autres étaient ita­liens. Oui, je suis fran­çais, car mes parents étaient en France quand je suis né. Nous sommes vrai­ment dans un endroit idéal, autant le par­ta­ger au mieux. Nous avons accueilli des réfu­giés syriens et afghans par le pas­sé, et aujourd’hui ce sont des Ukrainiens.

 

Un der­nier mot ?

Je le dis depuis quelques temps, si nous ne réus­sis­sons pas la tran­si­tion éco­lo­gique, nos enfants devront faire une révo­lu­tion éco­lo­gique. Je crois que nous y sommes maintenant.

Mai­der Darricau

Pho­to : Michel Maya. © Ville de Tramayes

 

 

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