Le plan-guide de l’équipe de Paola Viganò (Grand Prix de l’urbanisme 2013) définit les grandes orientations qu’elle propose pour bâtir le cœur de Brest de demain et faire de la cité du Ponant à l’horizon 2040 « une ville-paysage en transition ».
Retour sur la genèse de ce document structurant.
Brest a beaucoup changé ces dernières années à la faveur de réalisations diverses : création du port du Château, aménagement de la première ligne de tramway, réalisation du quartier des Capucins, mise en œuvre du premier téléphérique urbain de France, opérations de renouvellement urbain de Recouvrance et de Bellevue, etc.
Parallèlement, au cœur de la ville, nombre de sites stratégiques, recélant de forts enjeux pour son évolution, font l’objet de questionnements et de réflexions plus ou moins avancées quant à leur devenir. C’est dans ce contexte riche et foisonnant que Brest métropole a souhaité doter son cœur d’une vision d’ensemble à vertu de cadrage pour les décennies à venir, partant du constat qu’à bien des égards la question de sa centralité demeure un impensé, nonobstant les nombreuses réflexions qu’elle porte par ailleurs.
Le 15 novembre 2019, après plus d’une année de travail, ponctuée de nombreux rendez-vous avec la population, Paola Viganò a dévoilé les grandes orientations qu’elle propose pour bâtir le cœur de Brest de demain. Poser sur cette centralité un regard renouvelé, prospectif et soucieux d’en valoriser tous les atouts : tel est, en substance, l’objet de ce plan-guide pour le cœur de métropole.
Au cours des prochaines années, ce document-cadre permettra de consolider et de conforter le centre, en l’ancrant davantage à la Penfeld, à son port et en l’ouvrant plus largement sur la magnifique rade qui sert d’écrin à la ville. Il autorisera, au-delà des limites actuelles du centre-ville, l’avènement d’une centralité plus attractive, élargie, et mieux intégrative des quartiers voisins que sont Recouvrance, Le Bouguen et Bellevue ; une centralité apte à répondre aux besoins de ceux qui fréquentent le cœur de métropole, y vivent, y travaillent, y viennent et, plus encore, de ceux qui le feront demain.
Mené en étroite collaboration avec l’Adeupa, ce travail d’élaboration du plan-guide s’est notamment inscrit dans le prolongement de la réflexion Penfeld 2050, et en lien avec l’étude Brest Port 2040, toutes deux réalisées par l’agence. De fait, cette démarche Cœur de métropole recouvrait plusieurs enjeux à différents niveaux. Il s’agissait en premier lieu de prolonger la dynamique impulsée au travers des multiples actions de transformations urbaines déjà réalisées ou en cours d’élaboration, en renforçant la cohérence entre les études, les projets et l’opérationnalité.
Il s’agissait également de mieux identifier et appréhender les opportunités de renouvellement urbain, en recherchant pour chacune d’entre elles, la conjugaison adéquate entre actions publiques et privées. Enfin, et plus fondamentalement, il s’agissait sur ces bases de partager un récit de la centralité métropolitaine et de sa destinée, avec ses parties prenantes et acteurs, apte à produire une vision, une mobilisation et un projet collectifs.
Un diagnostic partagé
Dans un premier temps, l’élaboration du plan-guide s’est appuyée sur un diagnostic partagé, proposé par l’Adeupa sous la forme d’un « portrait composite » du cœur de métropole. Croisant les approches statistiques ou sensibles et articulant à dessein une variété de tableaux thématiques (morphologie, sociologie, mobilités, identité, dépendance, influence, etc.), cette représentation hybride permit l’établissement d’un premier corpus de questions clés quant à l’enjeu de centralité et son évolution.
D’abord, la question de son périmètre : où est vraiment le cœur de métropole ? Quelle est son aire d’extension pertinente ? Le cas échéant, quels espaces limitrophes devrait-il englober et quels espaces non centraux réclameraient d’y être mieux reliés ? Ensuite, la question de ses fonctions : quelles fonctions indispensables sont aujourd’hui absentes de ce cœur ?
À l’inverse, quelles fonctions présentes mériteraient néanmoins, une meilleure valorisation ? Quelle articulation construire entre le quotidien et l’extraordinaire ? Enfin, la question de son identité : sur quels éléments s’appuyer pour organiser, fédérer, améliorer le centre de gravité de la métropole ? Quels lieux emblématiques centraux, effectifs ou potentiels, convient-il de valoriser ? Mais aussi : de quelle façon mieux incarner l’excellence maritime, caractéristique de la cité du Ponant ? Etc.
Esquissant en creux les enjeux à traiter par le plan-guide, ces problématiques servirent de support introductif aux séminaires de réflexion collectifs sur lesquels la démarche s’est ensuite appuyée, lors des deuxièmes et troisièmes temps. Croisant les regards, ces séminaires réunirent les élus et les professionnels (architectes, urbanistes, paysagistes, enseignants) impliqués dans l’aménagement de Brest, que ce soit sur les démarches de renouvellement urbain de Recouvrance et de Bellevue, ou sur les projets urbains sectoriels (quartier des Capucins, campus du Bouguen, terre-pleins portuaires, rives de Penfeld, etc.).
Élus et participants-experts d’horizons divers : tous se livrèrent au jeu avec entrain et imagination, tant il est vrai que la ville de Brest se prête idéalement à ce genre de spéculation, chamboulée qu’elle fut par l’histoire, chahutée qu’elle se présente par sa géographie, aiguillonnée qu’elle est par son jeune statut de métropole.
Des exercices de prospective
Ces exercices de prospective imaginatifs fournirent à leur tour quantité de pistes. Sans surprise, la Penfeld et plus largement l’armature verte urbaine, composée des affluents du fleuve et des vallons qui sillonnent la ville, occupèrent une place de choix dans les échanges et propositions : il y a là de toute évidence de quoi contribuer à réformer l’image minérale et austère, volontiers et hâtivement attribuée à la ville, en valorisant et en organisant en réseau, ce contrepoint naturel qu’elle héberge, sans que ses habitants eux-mêmes en aient toujours pleinement conscience.
De même et cela s’entend, la rade fut amplement convoquée pour concourir à l’instauration d’une alliance renforcée entre la ville et la nature, dont son versant maritime, à la fois consubstantiel de la cité, mais que son urbanisme méconnaît trop souvent. Ce que l’architecte-urbaniste Bruno Fortier, en charge de l’aménagement du plateau des Capucins, résumait en ces mots, au terme de l’un des séminaires : « La ville jouit d’un site splendide, mais il faut bien convenir que la reconstruction y a été plutôt rude. Elle ne rend pas spontanée sa capacité d’attraction », ajoutant qu’elle rencontre « un problème d’identité dans le concert des métropoles françaises. Il faut rendre Brest plus lisible et l’urbanisme peut y contribuer ».
On ne s’étonne pas non plus que la thématique de l’espace public soit également ressortie en bonne place lors des restitutions, en particulier la question du rapport à l’automobile, encore omniprésent à Brest, relativement à d’autres agglomérations, ainsi que le soulignait l’animateur des ateliers, Pascal Amphoux, architecte, géographe et professeur à l’École d’architecture de Nantes, y décelant le symptôme d’une culture urbaine encore faible et perfectible.
Autre enseignement notable, parmi ceux que fournirent ces séminaires liminaires, la nécessité de composer avec le « déjà-là » : Brest est une ville prodigue en potentialités, aussi diffuses qu’hétérogènes, léguées par le cours tumultueux de son édification. Elles ne sont pas toujours reconnues à leurs justes mesures en termes d’apport et de possibilités de mutation pour la ville.
Le choix d’une équipe pluridisciplinaire
Subséquemment à ces séminaires, vint ensuite la phase de production du plan-guide à proprement parler. Il fut décidé pour ce faire, de missionner en sus du dispositif associant depuis l’origine, l’agence et les services de Brest métropole, une équipe pluridisciplinaire de maîtrise d’œuvre, afin en quelque sorte, de prolonger l’expérience mêlant expertise et pas de côté qu’avaient autorisés les ateliers-séminaires. Une consultation fut lancée. À l’issue de celle-ci, c’est le groupement constitué autour du Studio Paola Viganò qui fut sélectionné, et commença à travailler.
Deux grandes séquences rythmèrent sa mission. La première, intitulée « Diagnostic et Images » permit la construction d’un regard partagé sur la ville, ses dynamiques, imaginaires et potentielles ; la deuxième séquence, baptisée « Dessiner la Transition », entreprit quant à elle d’explorer ces potentialités, prenant appui, d’une part, sur l’élaboration de « scénarios de transition », d’autre part, sur des propositions de projets, thématiques ou spatialisés, s’intéressant aux lieux stratégiques.
Au printemps 2020, au terme de ces deux séquences et de dix-huit mois de travail et de concertation de la population, dans le cadre notamment de la Maison des projets, installée à cette occasion sur le site des Ateliers des Capucins, le plan-guide est publié. Intitulé « Brest 2040, ville-paysage en transition », il propose une vision pour le développement du Cœur de métropole et de la Penfeld, à l’horizon d’une vingtaine d’années.
La phase de développement
Articulés autour de deux niveaux de projet mêlant, d’une part, des interventions sur trois espaces stratégiques et, d’autre part, une action volontariste globale en faveur de l’habitabilité, ce plan-guide est aujourd’hui entré dans la phase de développement dite du « laboratoire de la transition ». Des études urbaines pré-opérationnelles sont lancées. Elles concrétisent le premier niveau de projet, notamment sur le secteur de la gare SNCF, lequel figure au titre du trio d’espaces stratégiques.
Il est ici question, ainsi que le désigne le plan-guide, du « Système d’accessibilité ville-gare-port », lequel s’intéresse spécifiquement au renforcement des liens fonctionnels et spatiaux entre ces trois entités. Figurent également au titre des espaces d’interventions privilégiés, celui de la « Corniche et des façades métropolitaines », vaste ensemble d’espaces publics en rives de Penfeld et front de rade, ou encore celui du « Système métropolitain de parcs », lequel s’attache à la matérialisation, dans le périmètre du cœur de métropole, du concept d’armature verte urbaine, tel qu’initié par le PLUi facteur 4 de Brest métropole.
Pour sa part, le deuxième niveau de projet ou « Grand projet diffus d’habitabilité » déploie cinq stratégies concomitantes. Elles portent à la fois sur la transformation du bâti et des espaces ouverts et publics du cœur de métropole, en particulier ceux des quartiers du centre reconstruit et de Recouvrance. Les enjeux sont ici ceux de l’augmentation de l’attractivité résidentielle en investissant sur la qualité du bâti, ses performances et potentiels de transformation ; de la mixité des fonctions et activités ; des statuts et partage de l’espace public, afin en particulier de favoriser les modes de déplacements actifs ; du lien entre nature et ville en requalifiant l’espace public, mais aussi les cœurs d’îlots ; ou encore, de la perméabilité des sols afin de réduire les rejets polluants dans le milieu naturel.
Adeupa, Antoine Loubière et Tangi Saout
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