Avec le Covid, l’apparition de contre-terrasses installées sur les places de stationnement en vis-à-vis des cafés et des restaurants n’a pas manqué d’étonner. Ces processus inversent le passage habituel de l’informel au formel pour, peut-être, changer les rues existantes ou à venir.
Ces contre-terrasses, majoritairement, sont des palettes en bois de 1,80 m x 2 m utilisées pour constituer des planchers au niveau des trottoirs et souvent protégées par des palissades avec d’autres palettes montées verticalement. Elles sont parfois agrémentées de plantes et de fleurs, surmontées de montants pour protéger les clients des passages de voitures et enveloppées de plastique (rendant assez illusoire la protection à l’air contaminé). Dans ces cas-là, on retrouve les terrasses, ou les contre-terrasses, concédées en véranda dans le prolongement des salles.
Ces concessions censées être précaires ont été renouvelées en 2021. Les terrasses de reconfinements successifs, lorsqu’elles sont implantées sur des tronçons de rues significatifs des faubourgs, changent l’allure à peu près réglée de l’espace public parisien dont les concessions réglementent habituellement les emprises : pas plus d’un tiers du trottoir utilisé pour les contre-terrasses et autres étalages.
Le recours à des palettes récupérées et montées « à la va-vite » fait apparaître des constructions « informelles », tolérées juridiquement et gratuites. Souvent installées dans les vieilles rues des faubourgs rebelles des révolutions parisiennes de 1830, 1848 ou de la Commune (1871), elles évoquent les fantômes des barricades révolutionnaires. Mais si rébellion il y a, c’est sans doute dans l’appropriation des places de parking – visiteurs, livraisons, places pour personne à mobilité réduite, transport de fonds… – dont les terrasses reprennent l’exact standard, 1,80 m x 5 m, et préfigurent de fait quelques objectifs de la municipalité rose-verte.
Car ce mouvement, s’il se prolonge et se régularise, accompagnera sans doute la végétalisation de nombreuses rues parisiennes : trottoirs élargis, rues piétonnes avec des variables d’usages et de plantations.
Reste à savoir maintenant si cette évolution va s’effectuer sur le mode d’une régulation ou d’une régularisation. Régulation signifierait remettre à plat ce bricolage et ce recyclage cher aux « frugaux » au profit de travaux de voirie et de mobilier urbain spécifique plus ou moins standard – comme le sont les Meccano des marchés provisoires. Régularisation signifierait de laisser les cafetiers bricoler leur design côte à côte, comme l’urbanisation informelle le fait. Chacun arrange le devant de sa maison, de son commerce ou d’un immeuble et réalise à son goût – d’après les contraintes de nivellement – un morceau de trottoir, qui a l’air d’un paillasson privé. Selon leurs besoins, les garagistes mettent du béton, le vendeur de matériaux du carrelage, le marchand de tissus de la mosaïque colorée… Et puis, la ville-centre s’équipant de réseaux imposera, plus tard, un enrobé à sa charge d’entretien, avec le nivellement correct pour l’écoulement des eaux.
Mais aujourd’hui, dans ces mois de flottement, c’est une autre évocation qui surgit. Retour sur images. Au début de True Grit, le savoureux western des frères Coen, on voit une Main Street en construction : saloon, post-office, bureau du shérif, banque, mercerie… se juxtaposent comme autant de bâtisses en bois précédées de terrasses en plancher – couvertes ou non – et une lisse pour attacher les chevaux. Image traditionnelle du western. Changement de décor, à la fin du film, on revoit la même grande rue équipée de trottoirs et d’une chaussée.
Ce phénomène de consolidation est celui qui accompagne aujourd’hui l’incorporation progressive des faubourgs informels avec l’avancée des réseaux – publics ou privés – et l’équipement de l’espace public selon les principes d’Alphand.
David Mangin, architecte urbaniste
Images : Meccano des « terrasses-Covid » © David Mangin et Soraya Boudjenane
Rue Saint-Maur, Paris, 2020 © David Mangin / Main Street typique des westerns © Melody Ranch Studio
A lire dans notre numéro 414 un dossier « Le droit au rez-de-ville » coordonné par David Mangin et Rémi Ferrand.
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