« Au-delà de la densité, c’est la métropolisation qui est rejetée »
En 2020 et 2022, le Cerema (1) a publié deux études (2) portant sur l’acceptabilité de la densité urbaine et le rapport à la nature des habitants. Ces recherches ont été menées dans des communes représentatives de la région francilienne, couvrant des milieux urbains, périurbains et ruraux. Entretien avec Rafaëlla Fournier, ingénieure urbaniste et doctorante au Cerema.
De quels constats découlent les études menées par le Cerema ?
Nous souhaitions comprendre les conditions d’acceptabilité du processus de densification urbaine tout en identifiant les éléments qui contribuent à la qualité du cadre de vie pour les habitants. Il y a de plus en plus de réticences de la part des élus à engager de nouveaux projets, en raison d’oppositions citoyennes croissantes. Comment arrêter d’artificialiser des terres agricoles et naturelles en densifiant l’existant pour répondre à de nouveaux besoins de logements et d’activités, en sachant que 80 % des Français souhaitent posséder une maison individuelle ? Outre le fait d’avoir connaissance de la parole habitante, cette étude nous a permis d’avoir une écoute attentive des élus et de pouvoir contextualiser les opérations, ce qui est d’ailleurs une demande des habitants. L’urbanisme touche aux modes de vie, il faut comprendre les usages et les attentes sociales de la population pour travailler sur un territoire.
Sur quels critères se basent ces analyses ?
L’analyse est multidimensionnelle, nous avons agrégé des données spatiales et sociologiques. Nous croisons des éléments statistiques et SIG [système d’information géographique, ndlr] pour qualifier le processus de densification par différentes mesures de densité (bâtie, résidentielle, humaine…), en intégrant aussi les hauteurs des constructions, le coefficient d’emprise au sol… Nous analysons ces données selon une approche dynamique en regardant l’évolution de ces territoires à différentes échelles, intercommunale, départementale et régionale. Nous avons également étudié les documents d’orientation et de planification urbaine. Puis, nous complétons par une enquête auprès des habitants, qui vise à comprendre la manière de vivre le territoire et les attentes, en miroir avec la stratégie territoriale. C’est une vision à 360 degrés.
Vous constatez que la satisfaction du cadre de vie n’est pas corrélée à la densité mesurée.
En effet, cela fait tomber beaucoup d’idées reçues. On constate une baisse de satisfaction dans les territoires à densité intermédiaire, en particulier le périurbain. On remarque, par contre, que cette satisfaction est corrélée à l’offre en espace public et la place accordée à la végétalisation. Il est donc intéressant de regarder le ratio espace bâti/non bâti, le pourcentage de domanialité publique et la répartition de la végétalisation dans ces espaces. Ainsi, les communes denses offrent une variété de formes d’espaces verts : parcs, squares, potagers partagés…, contrairement aux communes du périurbain. En revanche, il y a une pression d’usage en milieu urbain, car il y a une densité humaine (à la fois habitants et actifs) plus importante, d’autant plus dans des quartiers avec une mixité fonctionnelle souvent plus forte en milieu dense, ce qui engendre une certaine saturation. Toutefois, l’offre de services et de commerces permet de compenser une présence moins forte de la nature qu’en milieu rural. La desserte en transports en commun joue aussi dans cette perception de la qualité du cadre de vie qui est multidimensionnelle.
Propos recueillis par Maider Darricau
Lire la suite de cet entretien dans le numéro 441 « Dense, dense, dense » en version papier ou en version numérique
Photo de couverture : Les ruelles étroites de Grasse (Alpes-Maritimes). Crédit : Lahcène Abib/Divergence
Photo : Rafaëlla Fournier. Crédit : D. R.
1/ Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement.
2/ « Perception et acceptabilité des projets de densification urbaine en Ile-de-France », enquête et analyse comparative de sept sites franciliens, décembre 2020 ; « Nature et densité : usages et attentes des habitants sur les espaces verts et naturels », étude comparative sur neuf communes franciliennes, novembre 2022.