Le point de vue d’Emmanuel Vigneron, professeur des universités, Montpellier (géographie et aménagement sanitaire du territoire).
L’épidémie de Covid-19 a mis en évidence l’importance du rôle des collectivités de proximité dans la gestion des crises. Les municipalités, celle des villes petites et moyennes du monde rural en particulier, pourtant sans grands moyens, se sont retrouvées en première ligne. Ce devrait être aujourd’hui l’occasion de redéfinir leur rôle dans le système de santé alors qu’au cours des dernières décennies ce rôle a été menacé au profit d’une concentration accrue de l’offre dans les seules plus grandes villes, et ce, malgré les mises en garde que nous avons pu, avec d’autres, lancer.
L’échelon de proximité a fait ses preuves
Les compétences des élus en matière de santé sont minces, mais pas en matière de police sanitaire, d’hygiène et de santé publique où elles sont réelles depuis la loi du 15 février 1902 relative à la protection de la santé publique. Mais, peu au fait des questions de santé, peu consultés et de fait tenus à l’écart au sein des Agences régionales de santé, parqués au sein d’instances très formelles, considérés comme des trublions uniquement intéressés par leur clocher, les élus se sont cependant retrouvés en première ligne dans la crise, chargés de mettre en œuvre des injonctions souvent contradictoires des différents services de l’État. Malgré ce cafouillage et l’absence d’interlocuteurs vraiment crédibles, les maires, au jour le jour, ont fait front, de même que la plupart des citoyens.
Pour les maires, une excellente connaissance du milieu, de l’environnement et des habitants de leurs communes leur a permis de rassurer et de tenir bon. L’échelon de proximité a, une nouvelle fois, fait ses preuves et contraste tout de même avec ce qui est souvent apparu comme des effets d’annonce, des coups de menton et parfois même des vantardises face à un évènement qui a été subi au plus niveau. Il ne pouvait en être autrement, mais les rodomontades et les propos d’estrade furent bien ridicules sinon pathétiques, aggravant encore la perte de confiance des citoyens envers les élus et les dirigeants centraux.
Le réseau des établissements hospitaliers de proximité
De même que le rôle indispensable des élus de proximité, l’utilité du réseau des établissements hospitaliers de proximité est apparue clairement au cours de cette crise. Ceci vaut bien sûr pour tous les services publics qui ont été mis à contribution, notamment pour assurer le maintien du lien social en cette période de confinement qui pouvait entraîner un repli sur soi-même préjudiciable aux plus démunis. Le rôle que pourraient jouer ces établissements de proximité dans les territoires pour lutter contre les épidémies, mais aussi dans la promotion de la santé et la prévention des maladies, est alors apparu clairement.
Les enseignements sont nombreux. Il nous a été répété que les dizaines de milliers de patients accueillis en réanimation ou en soins intensifs et même les 100 000 personnes hospitalisées auraient un besoin impérieux de soins de suite et de réadaptation dans les domaines pulmonaires, cardiologiques, infectieux, etc.
Or, nous manquons beaucoup de lits de soins de suite et de réadaptation, ce qu’on appelle aussi le moyen séjour. Le réseau des hôpitaux de proximité en rétraction continue depuis longtemps, progressivement désarmé, accusé de coûts excessifs, et menacé par le système de tarification à l’activité, mis en place dans ce but de nettoyage, devrait être conforté. Il retrouverait ici toute son utilité.
Un maillage idéal de sites de prélèvements
Avant cela, il nous a été dit aussi que le dépistage précoce était un moyen décisif de faire barrage à la contagion épidémique. Aujourd’hui, cette injonction est renouvelée avec l’appel à se faire tester. Mais on voit bien que les prélèvements et les tests ne sont pas tous remboursés, qu’ils font l’objet d’une concurrence acharnée entre offreurs privés et qu’ils ne sont tout simplement pas encore tous au point malgré les annonces faites.
Les établissements publics de proximité, mais aussi les maisons de santé pourraient constituer ce maillage idéal des sites de prélèvements, les analyses de laboratoire étant dirigées vers les grands centres où se trouvent des labos de référence. La dépense publique y gagnerait certainement en termes de maîtrise des coûts. De même, le recrutement de cas pour des études pourrait y être largement étendu.
Avant cela encore, et l’épidémie a bien reposé cette question, il y a un besoin considérable de prophylaxie et d’éducation à la santé dans notre pays. Il y a aussi le besoin de lutter contre les « antivax » de tous poils par la délivrance de messages simples et clairs. Ici encore, on voit bien que le maillage existant des établissements de proximité et leurs équipes pourrait constituer la base de « missionnaires de la santé » au côté des services municipaux de santé pour aller dans les maisons, dans les écoles, dans les entreprises porter ces règles de prévention et assurer une présence sanitaire qui fait tant défaut.
Tout ce niveau de base
devrait être largement soutenu par l’État.
Souvenons-nous que, déjà, Robert-Henri Hazemann et Henri Sellier ainsi que Robert Debré avaient conçu ce rôle irremplaçable de « l’assistante sociale », rattachée à un dispensaire lui-même associé à un établissement hospitalier dans la détection précoce des problèmes de santé et leur prévention.
Au-delà des seuls établissements hospitaliers, on voit bien aussi le rôle que peuvent jouer les Centres de santé municipaux et les Maisons de santé le plus souvent implantés dans les petites villes et les bourgs du monde rural. Tout ce niveau de base, qui constitue en outre des portes d’entrée efficaces dans le système de santé, devrait être largement soutenu par l’État. Il est à craindre que la volonté de réduire encore les coûts de la santé en fermant des établissements de proximité ou du moins en continuant de les désarmer ne l’emporte.
Inégalités sociales et territoriales criantes
Plus gravement encore, notamment pour la cohésion nationale, la période de crise sanitaire a mis en lumière un certain nombre d’inégalités sociales et territoriales criantes. Puisqu’il est, hélas, de plus en plus probable, au vu des dernières données, que nous soyons amenés à vivre encore quelque temps avec le danger épidémique, quelles sont les grandes leçons que nous devrions tirer de la période que nous avons traversée, et quelles sont les priorités correspondantes en termes de politiques publiques ?
Pour le moins, la question est vaste tant la situation du service public de santé est catastrophique. On parle des services de réanimation… mais on n’avait plus que 5 000 lits actifs début mars 2020, quand on pouvait estimer depuis longtemps que pour répondre à une épidémie massive il en faudrait au moins 20 000.
On met en avant les services de réanimation, les masques et les tests, mais la situation est dans beaucoup de domaines catastrophique… La psychiatrie, la santé scolaire, la prévention, y compris et notamment dans nos milieux ruraux celle du suicide et des conduites à risques des jeunes, sont totalement sinistrées, sauf exceptions locales qui tiennent le plus souvent à l’esprit de résistance de quelques personnalités.
Un réseau de soins gradué et coordonné
La priorité la plus essentielle en matière de politique de santé est dans l’instauration de ce maillage complet du territoire par un réseau de soins gradué et coordonné. Il doit couvrir tous les besoins, depuis l’éducation à la santé et l’assistance sanitaire jusqu’aux soins les plus spécialisés. Nous nous sommes surtout consacrés sous la Ve République au sommet de la pyramide.
Malgré sa volonté clairement exprimée d’aller dans le sens d’une organisation générale et complète, Robert Debré fut limité essentiellement au CHRU, à l’instauration du temps plein hospitalier, tâche la plus difficile et à la réforme des études médicales. Soixante-deux ans après nous vivons encore sous le régime des dispositions visionnaires des ordonnances de 1958.
Peut-être y a‑t-il dans cette carence involontaire, les germes de la situation que nous connaissons. On s’intéresse dans notre pays bien davantage aux soins de très haute technicité, aux robots, à l’intelligence artificielle, sans bien toujours voir le côté miroir aux alouettes de ces choses-là, facilement fasciné que l’on est trop souvent par les paillettes de la technique.
L’épidémie qui frappe tout et tous a au moins cette vertu de nous ramener à plus de modestie. Intéressons-nous à des choses plus prosaïques sans doute mais tout aussi importantes et, d’abord, à l’organisation d’un véritable service de santé en tout point du territoire.
Emmanuel Vigneron
Photo : L’hôpital de Carhaix-Plouguer, dans le Finistère © Fred Tanneau/AFP