Israël, étalements urbains et formes de peuplement

Les implantations rurales du sionisme historique, la stratégie de création d’un nouveau semis urbain via les « villes de développement », initiée dans les années 1950, ou encore la métropolisation contemporaine illustrent la volonté permanente de l’État hébreu d’occuper l’espace ainsi que le rôle fondamental de la politique du logement.

 

L’é­ta­le­ment urbain en Israël s’arrime à une stra­ti­fi­ca­tion com­plexe de formes de peu­ple­ment et d’urbanisation héri­tées. Celles-ci sont assez spé­ci­fiques et peu médi­ter­ra­néennes, en par­ti­cu­lier les kib­boutz et villes nou­velles dites de « déve­lop­pe­ment ». Aujourd’hui, ces formes, aux­quelles s’en ajoutent d’autres, par­ti­cipent à l’émergence d’une région urbaine, qui se carac­té­rise par son émiet­te­ment frac­ta­li­sé et l’apparent manque de cohé­rence de son aménagement.

Pour com­prendre cet état de fait, il s’agit de reve­nir sur la généa­lo­gie de la for­ma­tion de l’espace israé­lo-pales­ti­nien. Cet espace rela­ti­ve­ment res­treint, et dont les fron­tières demeurent pour par­tie non recon­nues, obéit à des dyna­miques de peu­ple­ment qui se réac­tua­lisent à l’aune des valeurs domi­nantes (du sio­nisme éta­tique au néo­li­bé­ra­lisme) et des dif­fé­rentes ter­ri­to­ria­li­tés, liées aux com­po­si­tions eth­niques et reli­gieuses. Il en résulte un kaléi­do­scope de seg­ments socio-urbains qui s’entrechoquent et viennent miter l’espace israélo-palestinien.

 

« Ni ville, ni village »

« Pays neuf » aux yeux de ceux qui ont par­ti­ci­pé à sa créa­tion, l’État hébreu s’appuie d’abord sur un ima­gi­naire néo­ru­ral, celui des kib­boutz, sym­bole du sio­nisme his­to­rique et de ses idéaux socia­listes. En dépit de la créa­tion de quelques villes, dont Tel-Aviv (1909), le mou­ve­ment sio­niste se vou­lait rompre avec l’image cita­dine du Juif diasporique.

Le kib­boutz consti­tue un ins­tru­ment majeur de la matrice ter­ri­to­riale sio­niste à la conquête de la terre, jusque dans les régions les plus recu­lées et hos­tiles de la Pales­tine otto­mane, puis man­da­taire. « Ni ville, ni vil­lage », selon la for­mule d’Yitzhak Taben­kin (1887–1971), l’un de ses prin­ci­paux pères fon­da­teurs, le kib­boutz a enten­du repré­sen­ter une alter­na­tive au capi­ta­lisme urbain, à tra­vers la pro­prié­té col­lec­tive et son prin­cipe d’auto- ges­tion éga­li­taire, dans un cadre verdoyant.

Dès les années 1930 cepen­dant, le kib­boutz se voit confron­té à la réa­li­té des évè­ne­ments poli­tiques en Pales­tine, ce qui le détourne pour par­tie de son pro­jet social et le réoriente dans une direc­tion natio­na­liste. Sa socio­lo­gie interne évo­lue éga­le­ment au gré des vagues migra­toires, la classe ouvrière y per­dant la majo­ri­té. En réponse à la grande révolte ara­bo-pales­ti­nienne des années 1936–1939, et dans la pers­pec­tive d’un plan de par­tage, tel celui pro­po­sé par la com­mis­sion Peel (1937), le mou­ve­ment sio­niste accé­lère la fon­da­tion de nou­velles loca­li­tés juives, sur­tout dans les régions péri­phé­riques où la popu­la­tion juive était encore clairsemée.

Dans cette concur­rence entre deux natio­na­lismes, le kib­boutz joue alors un rôle majeur : sur les 52 loca­li­tés juives fon­dées à cette période, 37 sont des kib­boutz. Son impor­tance stra­té­gique au sein de la poli­tique sio­niste a été ensuite récom­pen­sée par l’attribution de nom­breuses res­sources : plus de terres à peu­pler et à exploi­ter, plus de cer­ti­fi­cats d’immigration déli­vrés par les Anglais, dont le nombre est limi­té sous la pres­sion ara­bo- pales­ti­nienne (le livre blanc de 1939), plus de pou­voir au sein des ins­ti­tu­tions sio­nistes. Ain­si, en 1947, on compte 145 kib­boutz dans les­quels vivent 7,5 % de la popu­la­tion juive, soit 54 000 personnes.

Aujourd’hui, si la part démo­gra­phique du kib­boutz est déri­soire à l’échelle du pays, son évo­lu­tion sym­bo­lise en revanche celle d’une pro­por­tion impor­tante de la socié­té israé­lienne. Les chan­ge­ments cultu­rels des vingt der­nières années ont conduit à un nou­vel amé­na­ge­ment de l’espace inté­rieur au kib­boutz, qui reflète les valeurs domi­nantes de privatisation.

Alors que le pay­sage du kib­boutz expri­mait un idéal de jus­tice sociale fon­dée sur l’égalité et la pro­prié­té col­lec­tive, ce pay- sage s’est pro­gres­si­ve­ment trans­for­mé, consa­crant désor­mais la pro­prié­té pri­vée, res­sem­blant de plus en plus à une petite enti­té sub­ur­baine, où chaque par­celle est bien déli­mi­tée par ses bar­rières et ses deux places de par­king. De « ni ville, ni vil­lage », il tend pro­gres­si­ve­ment à deve­nir une ban­lieue cos­sue, ville et vil­lage à la fois. Du fait de sa fer­me­ture, de la qua­li­té de ses amé­ni­tés pay­sa­gères et de l’origine sociale de ses nou­veaux rési­dents, le kib­boutz s’apparente chaque jour davan­tage aux gated com­mu­ni­ties.

Cette évo­lu­tion s’inscrit dans une socié­té urbaine israé­lienne de plus en plus émiet­tée. Les strates suc­ces­sives d’urbanisation ont lais­sé en marge cer­taines com­po­santes, ghet­toï­sant dura­ble­ment cer­tains sec­teurs urbains, telles les « villes de développement ».

30 « villes de développement »

Cette carte indique l’emplacement, le nom et l’époque de fon­da­tion des 30 « villes de déve­lop­pe­ment », ain­si que la pré­exis­tence, sur cer­tains de ces sites urbains, de villes pales­ti­niennes avant 1948. Source : Aman­dine Desille et Yoann Mor­van, « Kiryat Gat en crise d’image : high-tech et mal-déve­lop­pe­ment en Israël », Echo­Géo, n° 43, jan­vier-mars 2018, http://journals.openedition.org/echogeo/15268 ; DOI : https://doi.org/10.4000/echogeo.15268. Carte : Théo­time Chabre, 2021

 

Semis urbain et qua­drillage du territoire

La guerre de 1948, nom­mée « catas­trophe » ou « d’indépendance » sui­vant le camp concer­né, a pro­vo­qué d’immenses mou­ve­ments de popu­la­tions : près de 750 000 Pales­ti­niens sont chas­sés et/ou fui­ront les ter­ri­toires contrô­lés par Israël ; alors que 136 000 res­ca­pés de la Shoah ain­si qu’environ 800 000 Juifs réfu­giés de pays arabes ou musul­mans émigrent en Israël. Les années 1950 se déroulent ain­si sous le signe d’un effort d’intégration de cette énorme vague d’immigrants. Entre 1948 et 1952, la popu­la­tion juive double et, à la fin de la décen­nie, passe à presque 2 mil­lions en 1960. Dans le même temps, si seule­ment 7 % des terres étaient en pos­ses­sion de Juifs en 1947, 80 % des terres passent sous le contrôle de l’État hébreu après la guerre.

En 1951, l’architecte Arieh Sha­ron, ancien élève du Bau­haus, conçoit un mas­ter plan des­ti­né à l’aménagement régio­nal du pays nou­vel­le­ment conquis. L’un de ses pivots en est la « ville de déve­lop­pe­ment », pla­ni­fiée comme un « lieu cen­tral » infra- régio­nal « accueillant » une popu­la­tion oscil­lant entre 20 000 et 50 000 habi­tants afin de ne pas perdre, selon l’imaginaire de ses bâtis­seurs, la dimen­sion com­mu­nau­taire de la petite ville et évi­ter ain­si l’aliénation cen­sée carac­té­ri­ser les métro­poles. Ce plan d’urbanisation du ter­ri­toire natio­nal s’inspire de la théo­rie, très contro­ver­sée, du géo­graphe alle­mand Wal­ter Chris­tal­ler (1933). Le nou­veau semis urbain, sup­po­sé « équi­li­bré » et har­mo­nieux, enten­dait consti­tuer une arma­ture des­ti­née à ser­vir de relais (ser­vices, com­merces, etc.) à des arrière-pays ruraux, kib­boutz et moshav (coopé­ra­tives agri­coles). Le nou­veau qua­drillage urbain, dis­per­sé aux quatre coins du pays, devait aus­si com­plé­ter celui des enti­tés rurales dans la volon­té éta­tique de contrôle du ter­ri­toire natio­nal. Ces villes nou­velles avaient éga­le­ment comme défi de loger les impor­tants flux migratoires.

Ces villes nou­velles avaient comme défi
de loger les impor­tants flux migratoires

Hor­mis quelques rares suc­cès (Beer She­va, Ash­dod, Kar­miel, etc.), cette poli­tique par trop volon­ta­riste s’est révé­lée un cui­sant échec, tant urba­nis­tique que socio-éco­no­mique. Urba­nisme décré­té, mar­qué par le moder­nisme fonc­tion­na­liste sépa­rant les usages, « les villes de déve­lop­pe­ment » sont majo­ri­tai­re­ment com­po­sées d’une jux­ta­po­si­tion de blocs d’immeubles en béton de quatre à six étages, s’inspirant loin­tai­ne­ment des new towns anglaises et/ ou des cités-jar­dins. Tou­te­fois, ces villes nou­velles sont dès leur ori­gine des espaces de relé­ga­tion et de mar­gi­na­li­sa­tion subies. La cause prin­ci­pale de leur nau­frage réside dans la poli­tique coer­ci­tive de peu­ple­ment « du bateau à la ville de déve­lop­pe­ment ». Celle-ci consis­tait à « absor­ber », dans un cli­mat d’urgence rela­tive, les impor­tantes vagues migra­toires des années 1950–1960, en par­ti­cu­lier des Juifs dits « orien­taux » (de l’Afrique du Nord à l’Asie cen­trale). Les com­mu­nau­tés se retrouvent alors dis­per­sées à tra­vers le pays, les familles sépa­rées, les chefs tra­di­tion­nels démis de leurs fonc­tions. Cet échec socio­lo­gique s’est trou­vé aggra­vé par la nou­velle stra­té­gie d’implantation en Cis­jor­da­nie suite à la guerre de 1967, puis par la perte d’influence éco­no­mique de l’agriculture israé­lienne ain­si que par la dés­in­dus­tria­li­sa­tion liée à la globalisation.

Les « villes de déve­lop­pe­ment » illus­trent la com­plexi­té de la super­po­si­tion des strates socio­ter­ri­to­riales qui s’accumulent et « rem­plissent » tou­jours davan­tage l’espace israélo-palestinien.

 

Émer­gence d’une région urbaine

Iso­lé par ses fron­tières, Israël se dis­tingue des pays euro­péens de taille com­pa­rable (et qui dis­posent de régions urbaines trans- fron­ta­lières, par exemple, la Suisse ou la Bel­gique). Le sys­tème urbain israé­lien est domi­né par le noyau métro­po­li­tain de Tel- Aviv, qui compte près de 4,2 mil­lions d’habitants (envi­ron 45 % de la popu­la­tion d’Israël) en 2021. Haï­fa et Jéru­sa­lem sont des agglo­mé­ra­tions s’y arti­cu­lant, elles com­portent cha­cune envi­ron 1 mil­lion d’habitants ; et, plus au sud, celle de Beer She­va 643 000 habitants.

Ce qua­dri­la­tère urbain concentre le mar­ché du tra­vail israé­lien : Tel-Aviv et ses alen­tours pour plus de 1,5 mil­lion de lieux de tra­vail, 300 000 pour Jéru­sa­lem et Haï­fa, et 100 000 pour Beer She­va. Il s’agit d’une assez vaste région urbaine mul­ti­po­laire, cou­vrant une majeure par­tie du pays, qui est actuel­le­ment en train d’émerger. Bien que de struc­ture dif­fé­rente, elle n’est pas sans rap­pe­ler l’aire urbaine mila­naise et la cit­tà dif­fu­sa qui l’environne.

Les dépla­ce­ments sur des dis­tances de plus d’une heure ne concernent qu’une frac­tion de la main‑d’œuvre. Les navet­teurs sub­ur­bains se tournent de plus en plus vers l’aire urbaine tel-avi­vienne pour trou­ver un emploi, au béné­fice notam­ment de la très tech­no­lo­gique auto­route n° 6, nou­velle épine dor­sale redis­tri­buant les mobi­li­tés au centre du pays et qui longe le mur avec la Cisjordanie.

Les lignes fron­ta­lières contes­tées avec l’Autorité pales­ti­nienne et la pré­sence de nom­breuses implan­ta­tions juives en Cis­jor­da­nie par­ti­cipent à brouiller la lec­ture des mobi­li­tés métro­po­li­taines, qui tra­versent l’entité pales­ti­nienne. La plu­part des colo­nies de Cis­jor­da­nie dépendent des bas­sins d’emploi de Jéru­sa­lem et de Tel-Aviv : « Alors que les villes et les vil­lages de l’Autorité pales­ti­nienne font mor­pho­lo­gi­que­ment mais pas fonc­tion­nel­le­ment par­tie de l’aire métro­po­li­taine israé­lienne de Jéru­sa­lem, les implan­ta­tions juives de Cis­jor­da­nie font fonc­tion­nel­le­ment mais pas mor­pho­lo­gi­que­ment par­tie de l’aire métro­po­li­taine », expliquent Razin et Char­ney, à pro­pos de Tel-Aviv et Jéru­sa­lem, même s’il faut sou­li­gner la venue quo­ti­dienne d’importants contin­gents de main‑d’œuvre pales­ti­nienne dans ces deux métro­poles (lorsque les check­points sont ouverts).

 

Bas­sins d’emploi en Israël
Prin­ci­paux bas­sins d’emploi autour des villes israéliennes
selon l’intensité des échanges téléphoniques

Prin­ci­paux pôles d’emplois autour des villes israé­liennes selon l’in­ten­si­té des échanges télé­pho­niques. Source : Eran Razin & Igal Char­ney, “Metro­po­li­tan dyna­mics in Israel: an emer­ging ‘metro­po­li­tan island state’?”, Urban Geo­gra­phy, 36(8), 2015, p. 1131–1148, DOI: 10.1080/02723638.2015.1096117

 

 

Un mar­ché immo­bi­lier sous tension

La struc­tu­ra­tion du ter­ri­toire s’explique en par­tie par le prin­cipe de la pro­prié­té publique du sol, qui a per­mis de construire des loge­ments publics bon mar­ché, au début de l’État, suite à la guerre de 1948. Bien que pro­gres­si­ve­ment dévoyé depuis, il per­met à l’intervention publique de s’associer à l’action pri­vée, en dehors des grandes villes, puis dans les ter­ri­toires conquis après 1967. De plus, l’administration a, petit à petit, lais­sé l’acheteur revendre ou relouer à sa guise, dévoyant la stra­té­gie ini­tiale de dis­so­cia­tion des prix du sol de l’immobilier. Enfin, le trans­fert aux banques du sys­tème d’hypothèque sub­ven­tion­née par l’État, mani­feste le désen­ga­ge­ment de la construc­tion publique.

Depuis le début des années 1980, on assiste à la néo­li­bé­ra­li­sa­tion pro­gres­sive de l’économie, en par­ti­cu­lier du sec­teur du loge­ment public. Un pro­ces­sus de vente de loge­ments sociaux à leurs loca­taires, tout en aug­men­tant le stock public, a été mis en œuvre. Mais le renou­vel­le­ment s’opère de plus en plus len­te­ment. La pro­duc­tion de 70 000 uni­tés par an dans les années 1960, décroît à 20 000 dans les années 1980 et moins de 4 000 dans les années 2000. Cepen­dant, l’arrivée d’un mil­lion de migrants d’ex-URSS dans les années 1990 a contri­bué à tendre le mar­ché immobilier.

Selon Hana­nel, la construc­tion publique ne cor­res­pond plus qu’à des pro­grammes d’assistance des­ti­nés à des groupes sociaux défa­vo­ri­sés. Pour pou­voir construire, les socié­tés de loge­ments sociaux doivent vendre et réno­ver des biens déva­lo­ri­sés en rai­son de leur loca­li­sa­tion dans les villes de déve­lop­pe­ment ou dans les quar­tiers péri­phé­riques. Le taux de pro­prié­taires passe de 50 % en 1950 à plus de 80 % dans les années 2000, Tel-Aviv repré­sen­tant l’exception (48 % de propriétaires).

La ten­sion du mar­ché immo­bi­lier des centres métro­po­li­tains, qui pousse les ménages à s’installer dans le péri­ur­bain de Tel-Aviv et Jéru­sa­lem, se com­prend aus­si par les inves­tis­se­ments venant de l’étranger, qui révèlent l’insertion d’Israël dans les dyna­miques de glo­ba­li­sa­tion de l’économie. Les deux métro­poles attirent les pro­grammes d’investissements immo­bi­liers des­ti­nés aux dia­spo­ras juives, en par­ti­cu­lier amé­ri­caines et européennes.

Cet afflux des­sert les ache­teurs locaux qui assistent à la hausse des prix immo­bi­liers. La loi anti­sis­mique Tama 38, qui per­met aux pro­mo­teurs le rehaus­se­ment des immeubles des années 1950–1960, den­si­fie les centres pour ten­ter de limi­ter l’étalement urbain. Mais l’apparition d’immeubles de grande hau­teur est aus­si un signe de gen­tri­fi­ca­tion, comme l’écrit Rozen­holc. Or cette gen­tri­fi­ca­tion génère de vifs mécon­ten­te­ments, comme l’a mon­tré la grande mani­fes­ta­tion contre la vie chère de 2011, mobi­li­sant de larges pro­por­tions des classes moyennes d’obédiences poli­tiques et reli­gieuses diverses, expri­mant le refus de vivre en périphérie.

Selon l’urbaniste All­weil, la pro­tes­ta­tion expri­mait la res­pon­sa­bi­li­té fon­da­men­tale de l’État depuis sa créa­tion de loger tous ses citoyens. Néan­moins, l’urbanisation israé­lienne paraît de plus en plus chao­tique et ne se fon­der que sur l’entre-soi et/ou le sécu­ri­taire. On assiste ain­si à une mul­ti­pli­ca­tion d’enclaves, ani­mées par des valeurs certes fort dif­fé­rentes, telles que les com­mu­nau­tés ultra-ortho­doxes juives, les vil­lages bédouins, les kib­boutz, ou encore les condo­mi­niums, comme l’exposent Rosen et Razin.

La popu­la­tion pales­ti­nienne de citoyen­ne­té israé­lienne, qui repré­sente un cin­quième de la démo­gra­phie du pays, s’inscrit aus­si dans cette dyna­mique d’archipélisation immo­bi­lière. Selon Kha­mai­si, cette popu­la­tion vit dans 134 villes et vil­lages ; envi­ron 44 % habitent dans des villes (contre 81 % de la popu­la­tion juive). Elle relève de modèles très dif­fé­rents de loge­ment, en fonc­tion de la répar­ti­tion géo­gra­phique, l’appartenance eth­no-reli­gieuse et le type de loca­li­té. Le modèle rési­den­tiel le plus cou­rant est la mai­son auto­cons­truite, modèle que l’on retrouve d’ailleurs com­mu­né­ment sur les rives sud et est de la Méditerranée.

En 2008, 93 % de ces ménages étaient pro­prié­taires de leur mai­son, contre 66 % des ménages juifs. La migra­tion d’un cer­tain nombre de Pales­ti­niens de citoyen­ne­té israé­lienne vers les « villes mixtes » se tra­duit par leur ins­tal­la­tion dans des quar­tiers homo­gènes. Au cours de la der­nière décen­nie, un nombre limi­té de familles ara­bo-musul­manes ont com­men­cé à cher­cher un loge­ment dans les quar­tiers et les loca­li­tés juives, notam­ment en Gali­lée, comme à Naza­reth Illit (rebap­ti­sée Nof HaGa­lil pour ten­ter de réaf­fir­mer son carac­tère juif).

De fait, le mar­ché immo­bi­lier des Pales­ti­niens de citoyen­ne­té israé­lienne est assez seg­men­té et se par­tage entre la mai­son rurale tra­di­tion­nelle et les appar­te­ments modernes pro­po­sés par les pro­mo­teurs. L’urbanisation de leurs loca­li­tés, résul­tant de taux d’accroissement démo­gra­phique natu­rel éle­vés, pro­voque une forte demande de loge­ments dans un contexte de rela­ti­ve­ment faible pou­voir d’achat. Une forme d’urbanisation, peu régle­men­tée, gri­gnote l’espace rural et trans­forme le pay­sage plu­ri­sé­cu­laire pales­ti­nien. Des mai­sons, en géné­ral de deux étages et construites en béton, sont édi­fiées dans une sec­tion sépa­rée du ter­rain fami­lial pri­vé, ce qui per­met à la famille élar­gie de s’étendre par adjonc­tions de construc­tion. Ceci témoigne d’un autre seg­ment du (ou des) marché(s) immobilier(s) en ten­sion, qui contri­bue, lui aus­si, à l’étalement urbain.

 

Le centre et ses marges

La mosaïque de modes de vie et d’identités qui carac­té­rise l’espace israé­lo-pales­ti­nien, aux mul­tiples cli­vages, vit désor­mais en majo­ri­té au sein de la région urbaine métro­po­li­taine qui recouvre le centre du pays. Celle-ci concentre les acti­vi­tés éco­no­miques de high-tech, patri­mo­nia­lise les centres his­to­riques dévo­lus au tou­risme, relègue dans ses marges les tra­vailleurs migrants, isole les mino­ri­tés natio­nales. Elle se déve­loppe grâce à un grand réseau de trans­ports auto­rou­tiers qui renou­velle l’offre de l’habitat pavillon­naire dans les anciens kib­boutz, dans les nou­veaux quar­tiers rési­den­tiels de stan­ding ain­si que dans les nou­velles loca­li­tés construites depuis 1967. Le mitage et l’urbain dif­fus, qui en résultent, par­ti­cipent à ali­men­ter et ren­for­cer le sen­ti­ment d’exiguïté spatiale.

Cepen­dant, l’étalement urbain et la mul­ti­pli­ca­tion des formes d’occupation de l’espace ne pour­ront long­temps pas­ser sous silence la ques­tion envi­ron­ne­men­tale, et en par­ti­cu­lier les enjeux autour du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, une sérieuse menace pour le pays.

 

Yan­kel Fijal­kow et Yoann Mor­van

 

Pho­to : Lod, nou­veau quar­tier vs. oli­viers © Yoann Mor­van, 2018

 

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