Lors de la 41e Rencontre de la Fnau, mettant en exergue les futurs heureux, le géographe Michel Lussault a invité les auditeurs « à repenser tous les corpus de savoirs et tous les outils » pour affronter « la crise de l’habitabilité de la planète ». Le débat qui a suivi a porté sur le travail des scientifiques, le rôle des politiques publiques et la mobilisation des villes et des territoires.
Yves-Marie Paulet, professeur de biologie marine (université Bretagne-Occidentale), pose « la question du temps et de l’incertitude ». Car, même si nous sommes respectueux du scénario du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), les répercussions de nos pratiques actuelles se mesureront dans 10 000 ans. Ainsi, l’élévation du niveau de la mer sera de 25 à 50 m dans 10 000 ans !
Cette échelle de temps interpelle les scientifiques dont Yves-Marie Paulet retrace rapidement la prise de conscience progressive depuis les années 1990. Pour lui, le moment décisif se situe en 2006 avec le documentaire Une vérité qui dérange (réalisé par Davis Guggenheim, fondé sur l’engagement d’Al Gore, vice-président américain, 1993–2001). Les scientifiques plutôt mal à l’aise se lancent alors dans une démarche réflexive autour des conditions d’un changement global qui les oblige à sortir de leurs disciplines respectives.
Le CNRS lui-même contribue à mettre en partage les questions, et un développement vertueux des sciences participatives se met en place. « On embarque des artistes dans les missions scientifiques », raconte Yves-Marie Paulet. Étonnant éloge de l’art par un scientifique pur et dur, qui y voit « la mise en harmonie d’une émotion » et « un regard nouveau sur les catastrophes en cours ».
Les modes de vie en question
Pour Marie-Christine Prémartin, directrice exécutive de l’expertise et des programmes de l’Ademe, il s’agit « de revenir à ce qu’on peut faire ici et maintenant, malgré les incertitudes ». Clairement, la France est en dessous des objectifs fixés par la Stratégie nationale bas-carbone, seul le secteur du bâtiment est à l’objectif (mais celui-ci a été recadré en 2020).
Côté énergie, ce n’est pas mieux. Certes l’Agence internationale de l’énergie prévoit pour 2020, avec la crise, une baisse des émissions de GES (- 6 %) et de la consommation énergétique (- 5 %). Mais il faudrait que cette baisse se poursuive au même rythme jusqu’en 2030… Marie-Christine Prémartin conclut sur la question essentielle de l’acceptabilité par les Français de ces mutations.
Le baromètre Ademe-OpinionWay révèle que nos concitoyens sont conscients (à 68 %) qu’avec le réchauffement climatique leurs conditions de vie deviendront pénibles. Et une bonne majorité (58 %) a compris qu’il lui faudra modifier ses modes de vie, mais demande à ce que « les efforts soient partagés de façon juste ».
Le volontarisme de la ville de Paris
Pour la Ville de Paris, Célia Blauel, en charge de la Seine, de la prospective Paris 2030 et de la résilience, revendique une attitude volontariste autour de trois grands axes. D’abord une transformation des politiques urbaines, dont l’aménagement des berges de la Seine a été un symbole contesté. Mais au-delà du « grand saut dans la Seine » qu’elle promet toujours pour les JO de 2024, Célia Blauel égrène une série de démarches, de la transformation des cours d’écoles en jardins de quartier à l’élaboration d’un PLU bioclimatique.
Deuxième axe : la prise en considération des biens communs, avec la création d’Eau de Paris : « Un modèle de l’action publique qui doit nous inspirer pour d’autres secteurs comme la santé ou l’énergie. » Troisième axe : une redéfinition du lien entre les territoires. Pour l’élue parisienne, « Le monde d’après passe par le fait de revoir nos frontières territoriales et administratives. »
Dans cette perspective, le concept de « biorégion » est à affiner. Pour elle : « Le challenge est d’arriver à créer un récit commun pour que tout le monde fasse sa part de ce chemin. » Ce n’est pas le moindre des défis, comme le relève en conclusion le journaliste Alexandre Héraud, citant Jean Yanne : « Tout le monde veut sauver la planète, mais personne ne veut descendre les poubelles. »
Antoine Loubière
Photo : Réussir les territoires zéro carbone en vingt ans, un défi commun © Félix Compère
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Un commentaire
1011-art
25 janvier 2023 à 8h20
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