Avec la crise du Covid-19, le redéveloppement des territoires aéroportuaires de Paris-Charles-de-Gaulle apparaît plus que jamais comme un enjeu urbain régional majeur.
Avec la Plaine-Saint-Denis, les territoires aéroportuaires de Paris-Charles-de-Gaulle (CDG) constituent les principales polarités urbaines et économiques du Nord francilien, socialement fragilisé et affaibli par l’épidémie de coronavirus. D’une part, ses populations (Val‑d’Oise et Seine-Saint-Denis) occupent des emplois servants de la métropole non transformables en télétravail et ont payé un lourd tribut humain à la pandémie. Elles sont actuellement touchées par la profonde récession qui affecte les activités liées au transport aérien. Après le chômage partiel arrivent les suppressions d’emplois chez les principaux opérateurs. La disparition du « mirage » d’EuropaCity contraint les uns et les autres à un retour au principe de réalité et à se recentrer sur la présence des territoires aéroportuaires.
Faut-il attendre « passivement » les reprises des trafics aériens et aéroportuaires ? Il n’est pas sûr que cela soit la bonne méthode pour plusieurs raisons. La ou les reprises risquent d’être plus lentes et difficiles que prévues ; l’été dernier, ADP donnait comme échéance entre 2024 et 2027. Les volumes d’activité ne sont pas fonction uniquement de la reconstitution incertaine de la demande, mais aussi de la restructuration des opérateurs qui ont vu leurs capacités économiques, financières, techniques et humaines atteintes pendant cette période.
Les perspectives aéroportuaires se doivent d’intégrer non seulement des contraintes sanitaires, mais aussi environnementales. La crise du Covid est intervenue alors qu’un « bouillonnement environnemental » s’est développé. Il y a eu l’accord de Paris de la COP21, le phénomène Greta Thunberg et le flight shaming et, plus près de nous, la Convention citoyenne pour le climat qui laissent des traces importantes dans les débats publics et les opinions.
Par ailleurs, le télétravail peut contribuer à limiter la reprise du trafic d’affaires. Pour autant, les entreprises peuvent-elles fonctionner à 100 % de télétravail ? Sans prétendre approfondir le sujet, la réponse est non. Il y a toute une économie résidentielle faite de multiples services et activités qui a montré son importance pendant la crise. Tout processus de travail nécessite l’échange d’informations et de connaissances tacites qui ne peuvent l’être que dans un processus de confiance qui n’est pas spontané. La visioconférence n’est qu’un substitut partiel de la réunion de travail. D’où le rôle des déplacements professionnels, des transports aériens et des territoires aéroportuaires pour accueillir réunions et séminaires. Les télécommunications sont plus complémentaires que substituables au face-à-face. Comme l’avait énoncé une publicité d’United Airlines : « You can’t participate in life via conference call ! »
Des orientations pour le redéveloppement
Ce qui est intéressant avec le télétravail, c’est qu’il contribue à atténuer l’hyperconcentration des activités dans le Central Business District parisien. Cela devrait amplifier la multipolarité métropolitaine à condition que de nouvelles mobilités puissent se déployer. Ce devrait être le cas avec le métro automatique du Grand Paris Express. De nouveaux lieux de travail et de réunions deviennent nécessaires, c’était déjà la tendance, ce peut être la « chance » des territoires aéroportuaires, en particulier de CDG ; ceux-ci sont en outre des espaces d’accessibilité multimodale synchrones à différentes échelles.
Regardons autour de nous en Europe. Les Pays-Bas ont pendant longtemps axé leur stratégie de développement sur le Mainport, c’est-à-dire une politique de maximisation des flux du port de Rotterdam et de l’aéroport de Schiphol. Un débat est engagé depuis 2016 notamment par un organisme gouvernemental (Council for the Environment and Infrastructure), dont un rapport plaide pour une approche moins quantitative des flux, pour un recours accru à l’interne, à l ’innovation et aux énergies renouvelables.
J’ai par ailleurs souligné la place que les territoires aéroportuaires jouent dans les circulations de l’économie de la connaissance et de l’innovation en permettant l’organisation de proximités temporaires et l’acheminement de produits high-tech à haute valeur ajoutée.
Le redéveloppement des territoires aéroportuaires devrait donc plus s’appuyer sur les fonctionnalités stratégiques liées au hub d’organisation et de génération d’activités économiques que sur des politiques de volume de trafic. De meilleures coopérations entre compagnies et territoires s’avèrent nécessaires. Il en est de même avec les autorités de santé et policières pour obtenir des flux plus fluides, tout en garantissant les sécurités sanitaires.
Dans un article précédent (« Quel avenir pour les territoires aéroportuaires ? », Urbanisme, n° 416, janv.-fév.-mars 2020, p. 16–18), j’avais repris des éléments du Journal of Air Transport Management2 qui faisaient des ressources humaines des territoires aéroportuaires leur principal capital social. Cela se révèle vrai pour ceux de CDG qui sont au coeur d’un bassin d’emploi (zone d’emploi Roissy-Sud Picardie) de 1,1 million d’actifs et de 1,7 million d’habitants. Sont présents des économies d’agglomération et de variétés et des facteurs de reprise de l’emploi, compte tenu de la diversité des qualifications des actifs et des activités économiques présentes. J’avais souligné l’importance de l’attractivité des aéroports et des territoires aéroportuaires. CDG peut s’appuyer sur un capital relationnel important de liaisons avec de grandes régions urbaines que montre le rapport Airport Council International, Airport Industry Connectivity 2019.
Les courants d’échanges de CDG à l’articulation du continental européen et du mondial intercontinental correspondent assez bien aux tropismes des chaînes de valeur françaises « Pour la France, ces interdépendances sont avant tout européennes, mais en augmentation vis-à-vis de l’extérieur de l’Union et très inégales entre secteurs » (Centre d’études prospectives et d’informations internationales, CEPII). Ce capital social peut être mis en valeur.
Il n’en reste pas moins que les sites urbains des territoires aéroportuaires gagneraient à être bonifiés en accessibilité, en aménités de toutes sortes et en urbanité ainsi qu’en disponibilité de services aux entreprises, passagers et populations. Les fonds des plans de relance peuvent-ils y pourvoir ? Encore faudrait-il qu’il y ait des projets ? Peut-être serait-il bon de reprendre et développer ceux figurant dans le Contrat de développement territorial (CDT) « Cœur économique Roissy Terres de France », signé en 2014 et validé depuis par plusieurs avenants ? Les CDT ont une durée de vie de quinze ans !
Quel redéveloppement pour l’aéroport ?
Quant au redéveloppement de l’aéroport CDG, peut-être faut-il s’interroger sur son contenu et ses modalités. Est-ce que la priorité réside dans des capacités quantitatives ? S’agit-il de développer les capacités de décollage et d’atterrissage de CDG ou de développer les fonctions du hub ? Celles-ci consistent dans la capacité de transformation des flux (fret et passagers) du point de vue directionnel et du point de vue du mode opératoire (TGV vers avion ou RER vers avion, ou encore avion vers avion…). À côté des activités de transports stricto sensu, ce sont ces activités de transformation qui génèrent d’autres activités économiques ou favorisent leur implantation, notamment celles relatives à l’organisation de proximités temporaires utilisant les multimodalités de l’aéroport et de ses territoires.
Les premières phases de concertation sur le T4 ont montré l’anxiété et l’opposition des populations riveraines à un nouvel aéroport dans l’aéroport. N’y a‑t-il pas eu l’absence d’une programmation plus progressive, offrant plus de visibilité et d’attractivité ? La progressivité de la réalisation du terminal a été un atout en sa faveur. Dans la période qui vient, la priorité, avant le volume de trafic, est l’amélioration de la qualité de service, domaine, où il faut le reconnaître, ADP a progressé. La suite de cette concertation n’a pas été dépourvue de surprises. Le rapport de l’Autorité environnementale, portant non sur le projet mais sur la qualité de l’étude d’impact, émet de nombreuses réserves sur les énoncés du dossier et en particulier sur les émissions de gaz à effet de serre (GES). Il est amené à s’interroger sur la validité de la méthode Corsia adoptée par le monde aéronautique et sur sa compatibilité avec l’accord de Paris issu de la COP21.
En novembre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a annulé l’autorisation environnementale du CDG Express en arguant entre autres que « la forte baisse du trafic aérien, dont le caractère purement transitoire ne peut être prédit ». Certes, l’État a fait appel de ce jugement, mais l’argumentation juridique sur l’avenir du transport aérien restera dans les esprits et les références institutionnelles.
Pour un contrat d’intérêt national
Une meilleure attractivité des territoires aéroportuaires passe par une meilleure coordination des acteurs privés et publics qui n’est pas simple à obtenir, en particulier pour ces derniers. John Kasarda l’a bien noté, tout autour du monde à travers un grand nombre de projets, c’est coordonner les acteurs publics qui s’avère la tâche la plus redoutable ! Plus modestement, j’en ai fait l’expérience sur le territoire de CDG.
Avec une meilleure intégration économique, il est aussi nécessaire d’aboutir à une meilleure intégration spatiale. Les territoires de CDG sont « victimes » de leur grande dimension et sont le lieu d’un étalement urbain à la différence de Schiphol beaucoup plus compact. Le CDT « Coeur économique Roissy Terres de France » avait traité la question en préconisant la création d’un corridor métropolitain (Comet) reliant les différentes polarités.
Une meilleure organisation des mobilités automobiles serait une contribution à la réduction des GES. Alors pourquoi ne pas mettre en place des plateformes de mise à disposition et de recharge de véhicules électriques dans les localités abritant des salariés des territoires aéroportuaires ? R’Pro’Mobilité pourrait y apporter son concours et Papa Charlie être un excellent démonstrateur. Par ailleurs, les entreprises de messagerie, dont les camionnettes sillonnent nuit et jour à vive allure ces territoires, pourraient apporter leur contribution.
Tout n’est pas à peindre en noir, le GIP Emploi constitué sur ces sujets d’emploi depuis 1998 existe toujours et s’est refondé en Paris CDG Alliance. Par contre, il n’y a rien de comparable en matière d’aménagement et de développement économique, alors que CDG est un pôle majeur d’Ile-de-France.
Dans un précédent article (« Roissy-Charles-de-Gaulle, territoire indécidable ? », Urbanisme, n° 412, janv.-fév.-mars 2019, p. 16–17), j’avais proposé l’élaboration d’un Contrat d’intérêt national. Cette proposition m’apparaît toujours valable mais, à l’expérience, il serait nécessaire de disposer d’une structure ad hoc de type GIE-GIP capable de réunir le principal acteur aéroportuaire (ADP), les compagnies aériennes (Air France, FedEx…), les opérateurs de fret, les transporteurs publics et parapublics (SNCF, RATP, Société du Grand Paris, Keolis…) ainsi que les aménageurs et gestionnaires délégués des parcs d’activité travaillant sur le secteur (Grand Paris Aménagement…) et entreprises implantées sur ces territoires. Il faudra bien sûr et surtout que soient présentes les entités publiques intervenant sur le site et elles sont nombreuses (la Communauté d’agglomération Roissy Pays de France, l’EPT Paris Terres d’Envol, l’État, la Région Ile-de-France, les communes d’implantation de l’aéroport) !
Un point de blocage est la coupure institutionnelle entre la CA de Roissy et la Métropole du Grand Paris à l’avenir incertain.
Il ne s’agit pas d’établir ex nihilo une gouvernance où on ne veut voir qu’une tête, mais plutôt de créer une convergence fédérative prenant acte de l’interdépendance des actions et des acteurs sans avoir les effets « chaise vide » et minorité de blocage.
Faire des territoires aéroportuaires des territoires de recomposition des circuits économiques et de nouveaux équilibres environnementaux peut être un objectif mobilisateur pour toute une série d’activités et d’institutions qui sont ou deviendront parties prenantes des territoires. Ce serait aussi, last but not the least, une contribution à la reprise de l’économie française ainsi qu’aux perspectives économiques, sociales et urbaines du Nord francilien (et du Sud Picardie) fortement affectées par le Covid-19.
La réponse à la question initiale n’est pas écrite d’avance… Dans une perspective urbaine, économique et environnementaliste, comme le dit l’universitaire américain Josef W. Konvitz : « Ne gaspillons pas une crise ! »
Jacques Grangé, urbaniste et économiste
Photo : Aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, novembre 2019 © Andrea Izzotti/Shutterstock