Francisco de la Torre Prados : Málaga, ville culturelle et technologique
Entretien avec Francisco de la Torre Prados, maire de Málaga, élu pour la première fois en mai 2000
Quel était votre projet pour Málaga quand vous avez été élu ?
Francisco de la Torre Prados/ Málaga est une ville très intéressante car elle a un bon climat, une bonne localisation au bord de la Méditerranée, de jolis paysages avec la montagne qui est proche, et elle a toujours été un centre touristique grâce à un aéroport international, des plages, des golfs… Mais ce que nous avons fait, après 2000, c’est un ensemble d’éléments pour attirer une nouvelle population, pour construire une ville qui soit confortable pour les habitants.
Et une ville bonne pour les gens de Málaga, c’est une ville agréable pour les visiteurs et les touristes. Attirer les talents, faire choisir Málaga pour un projet de vie, c’est faire une ville avec plus d’opportunités culturelles, de possibilités de pratiques sportives, avec des parcs et des jardins, une ville commode qui soit accessible aux piétons, qui favorise l’inclusion sociale. C’est la stratégie que nous avons conduite avec l’équipe municipale, mais aussi la population, grâce à des conditions locales favorables, pour développer la culture et les nouvelles technologies.
Comment avez-vous réussi à transformer Málaga en ville culturelle ?
Francisco de la Torre Prados/ Nous avons commencé par transformer l’espace public, en faisant de la vieille ville, l’ancienne médina de l’époque islamique, une zone piétonne. Côté culturel, nous sommes la ville natale de Picasso. Nous avons d’abord réhabilité sa maison familiale et nous avons acheté quelques collections de ses œuvres, et en octobre 2003 nous avons installé le musée dans un ancien palais.
Grâce à des donations et des prêts de ses héritiers, surtout de son petit-fils Bernard Ruiz-Picasso, et à l´administration régionale, qui ont fait le pari de Málaga, nous avons pu développer la collection. Et en 2006, pour le 125e anniversaire de la naissance de Picasso, nous avons pu acheter de nouvelles œuvres. L’économie était bonne et c’était plus facile d’acheter.
Notre stratégie culturelle avait commencé en février 2003 avec l’ouverture du Centre d’art contemporain dans les anciennes halles, suivie par celle du musée Picasso. Puis j’ai eu connaissance, dans les années 2005–2006, des stratégies d’extension de musées français, comme le Centre Pompidou et le Louvre, ou de musées russes, comme l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, hors de leurs pays.
Parallèlement, en 2004, j’ai fait un accord avec le Port de Málaga pour aménager les quais n° 1 et n° 2. Et j’ai négocié pour avoir un espace culturel de 7 000 m² au coin des deux quais. Nous avons d’abord eu un espace, un conteneur, après nous avons cherché un contenu. La planification urbanistique et les travaux d’aménagement ont duré 7 ans et, en 2011, les quais étaient complètement transformés en promenade piétonne, avec, pour le quai n° 1, des restaurants et des petits commerces. Et des millions de personnes sont venues s’y promener. Parallèlement, les négociations se sont poursuivies avec le Louvre et le Centre Pompidou.
Centre Pompidou à Málaga © Javier Ramírez/Ayuntamiento de Málaga
Finalement, le Centre Pompidou a choisi d’installer son bâtiment sur les quais dans le cube conçu par Daniel Buren, qui a ouvert en 2015. Les contacts avec l’ambassadeur de Russie en Espagne ont abouti à une implantation à Málaga du musée de l’Ermitage de Saint- Pétersbourg. En parallèle, nous avons accueilli une collection de peintures espagnoles et andalouses de Carmen Thyssen, dans un palais de la vielle ville. Dans un autre bâtiment intéressant, la Tabacalera, l’ancienne manufacture de tabacs, nous avons installé une collection d’automobiles anciennes. Nous avons aussi des musées privés dans la ville. Pourquoi avons-nous fait tout cela ? Parce que Málaga n’est pas une capitale régionale, avec des collections historiques, comme celles constituées par des princes et des nobles. Nous avons compressé l’histoire pour aller plus vite. Et nous avons également créé des festivals culturels comme le plus important festival du film espagnol et en espagnol, ce qui veut dire latino-américain. Nous avons même un festival du film français, au mois d’octobre ! Nous sommes contents d’avoir fait ce chemin, car cela nous a permis d’attirer un tourisme de qualité et aussi des talents technologiques.
Les villes touristiques connaissent d’importants problèmes de logement du fait d’une hausse des loyers pour les résidents permanents. Comment ce problème est-il traité à Málaga ?
Francisco de la Torre Prados/ Il est vrai que ces dernières années, il y a eu une adaptation de l’offre de logements avec des maisons et des immeubles transformés en logements touristiques, qui apportent des recettes plus élevées pour les propriétaires que des locations de longue durée aux habitants. Maintenant, avec la crise du Covid et du tourisme, il y a une baisse de l’offre de logements touristiques et une hausse de l’offre de logements pour les résidents permanents. Et les loyers sont descendus à des montants moins élevés. C’est un problème structurel dans les villes touristiques, mais j’ai confiance dans le fait de trouver un équilibre.
En ce moment, la construction de logements locatifs pour les habitants n’a jamais été aussi importante Il faut également construire des logements publics. La municipalité a fait des efforts importants et nous avons construit 5 400 logements publics ces quinze dernières années. Mais la construction de ces logements est une obligation régionale, et non municipale. L’Espagne est un pays décentralisé au niveau régional. Je crois que le niveau d’action le plus proche des citoyens et le plus efficace est le niveau municipal. Et l’Espagne a raté l’occasion historique d’une décentralisation faisant confiance aux villes. Pour résoudre le problème du logement, il faut faire un effort public plus important, mais aussi stimuler l’investissement privé.
Quelles sont les mesures que vous prenez face au changement climatique ?
Francisco de la Torre Prados/ C’est une préoccupation que bien sûr nous partageons. Nous avons signé l’accord de Bruxelles en 2009 et ensuite l’accord de Paris. Nous avons adopté un agenda 21 et un plan climat pour Málaga, et nous avons pris beaucoup d’initiatives pour développer le transport public et les transports alternatifs, comme les vélos et les mobilités personnelles (patinettes…).
Nous développons aussi les espaces verts et forestiers. À côté de la mer, la question climatique apparaît différente. Comme nous sommes près du détroit de Gibraltar, nous bénéficions de courants sous-marins très profonds et froids, qui, en sortant de la mer Méditerranée, se mélangent avec l’océan Atlantique et contribuent à rendre la mer moins chaude. L’effet Coriolis fait que cette eau froide circule le long des côtes de l’Andalousie et, alors que nous sommes plus au sud que Barcelone ou Majorque, l’eau est plus fraîche à Málaga et cela a son influence sur la température.
Nous essayons de faire les choses le mieux possible, et maintenant avec les fonds européens, le Feder, nous pouvons intervenir sur des projets pour l’efficacité énergétique, le photovoltaïque, l’hydrogène vert… L’important, c’est de travailler avec tout le monde et que chacun, citoyen et entreprise, soit convaincu de la nécessité d’un développement soutenable dans sa vie quotidienne.
Vous avez un grand projet de réaménagement du littoral de Málaga. Pouvez-vous nous parler de cette ambition et des moyens que vous allez mobiliser pour la réaliser ?
Francisco de la Torre Prados/ Avec ce projet, nous avons différents objectifs. Le premier est de substituer le transport public à la voiture individuelle et de faciliter les transports publics interurbains à l’intérieur de l’espace métropolitain. La ville de Málaga compte 600 000 habitants dans une aire métropolitaine de 1,1 million, soit à peu près la moitié. Beaucoup de gens habitent à 15, 20 ou 30 km de Málaga et viennent y travailler. Et réciproquement. Nous avons un parc technologique situé à 13 km, avec beaucoup d’allers-retours.
Nous voulons favoriser un meilleur accès à la principale gare ferroviaire et permettre aux bus d’accéder au centre-ville, en créant un grand centre d’échanges multimodal. Notre deuxième grand objectif est de créer un espace piétonnier et vert, qui permette la connexion facile entre le centre-ville, le port et les plages, grâce à la mise en souterrain de la voie routière qui traverse la ville. Pour financer ce grand projet, nous sommes en discussion avec les autorités de Bruxelles pour bénéficier de fonds européens.
Nous avons aussi l’espoir que le centre intermodal intéresse des investisseurs privés, par exemple les compagnies de bus privés, mais aussi des commerçants. Et à la place de l’ancienne gare routière, un bâtiment pourrait accueillir des bureaux dans une stratégie pour rapprocher les emplois de la ville. Pour mener ce projet, j’ai fait appel à des spécialistes, comme Pablo Otaola, qui a conduit la grande opération Ría 2000 à Bilbao avec le musée Guggenheim, qui est une référence en Espagne. Notre projet est difficile, mais nous avançons et il peut se réaliser d’ici quatre ou cinq ans.
De manière plus générale, quel est votre regard sur la dynamique actuelle du bassin méditerranéen qui connaît de nombreux problèmes ?
Francisco de la Torre Prados/ Le bassin méditerranéen est un espace où toutes les civilisations ont laissé des réalisations : les Phéniciens, qui ont inventé notre ville Málaga, les Grecs, les Romains, les Arabes… Aujourd’hui, il y a la nécessité d’avoir une meilleure connaissance et un respect de toutes les cultures qui constituent les différents espaces méditerranéens. D’un côté, le monde méditerranéen est merveilleux, avec son bon climat, sa lumière formidable, le bleu de la mer…
Malgré cela, d’un autre côté, il est difficile de trouver un autre espace dans le monde avec autant de problèmes. Par exemple, le problème des migrations est le résultat des différences économiques entre la rive nord et la rive sud de la Méditerranée. Or, il y a une responsabilité de l’Europe dans la situation économique de l’Afrique, qui n’est pas seulement une question d’investissement. Il s’agit d’avoir une bonne gouvernance des relations entre l’Europe et l’Afrique. C’est une question difficile, car il y a eu pendant longtemps des relations de dépendance coloniale. On ne peut pas oublier cela.
L’Union européenne a une grande responsabilité pour avancer dans le chemin de nouvelles relations avec le continent africain. Nous devons tous faire un effort dans ce sens, l’Union, les États, les Villes… pour lutter contre la division entre les deux rives de la Méditerranée et développer les coopérations.
Antoine Loubière et Tangi Saout
Photo : Francisco de la Torre Prados © Javier Ramírez/Ayuntamiento de Málaga