À la suite du vote de la loi climat et résilience à l’été 2021, François Rieussec, président de l’Union nationale des aménageurs (Unam), demande plus de temps, de méthodologie et de concertation pour les textes d’application du ZAN (zéro artificialisation nette).
Comment jugez-vous le principe du ZAN pour 2050 ?
On a beaucoup parlé, pendant des années, des 50 000 hectares urbanisés par an. De son côté, il y a un peu plus d’un an, le Cerema a évoqué 17 000 hectares annuels, en plus de 5 000 ou 6 000 en termes d’activité. On serait donc entre 17 000 et 22 000 hectares urbanisés par an, c’est‑à-dire presque le tiers des chiffres annoncés au grand public selon les statistiques d’observation aérienne de Corine Land Cover ou Teruti.
Des efforts très importants ont été réalisés depuis une vingtaine d’années puisque l’objectif de sobriété foncière a déjà plus de 20 ans, depuis la loi SRU [datant de décembre 2000, NDLR]. Nous devons créer 12 à 15 millions de logements dans les trente ans qui viennent, jusqu’à la fin de la croissance démographique française estimée à 2050 pour atteindre 75 millions d’habitants, en plus des décohabitations. Une petite moitié se fait déjà en mutation urbaine. L’autre moitié se fait sur de l’extension.
Avez-vous établi vos propres estimations ?
Nous avons fait une projection avec la Fédération des SCoT. Avec l’outil Objectif ZAN [qui permet d’identifier à partir des chiffres du Cerema l’enveloppe foncière disponible d’un territoire sous contrainte ZAN, NDLR], nous nous sommes rendu compte qu’en additionnant les données des 400 SCoT, on n’arrive pas à loger tous nos concitoyens dans les disponibilités divisées par deux. Or, 17 000 hectares multipliés par trente ans de croissance démographique, ça fait environ 1 % du territoire national. Donc, nous interrogeons l’enjeu : est-il logique de créer une telle crise immobilière dans notre pays, sachant que la crise climatique et environnementale n’est pas due à la croissance urbaine, mais à notre mode de vie, la pollution internationale, etc. ? Il faut répondre à la crise sans apporter une crise supplémentaire de logement. Nous sommes dans une optique positive qui est d’amener des propositions.
Aviez-vous été consultés dans l’élaboration de la loi ?
Oui, mais les consultations au ministère ont été interrompues par le Covid. Cela dit, nous avons bien perçu qu’il y avait un choix politique qui désignait l’urbanisme comme un créateur de désordre, alors que la perte de biodiversité, qui est très inquiétante, vient plus des modes culturaux sur la moitié du territoire national que de la croissance de 1 % de l’usage foncier pour loger nos concitoyens. Pour nous, ces mesures quantitatives vont participer au grand désordre que nous vivons tous depuis vingt ans, à savoir la dispersion de l’habitat due à la difficulté des Français à se loger selon leurs capacités financières. Ils vont chercher plus loin, et cette diffusion de l’habitat, avec des divisions foncières à l’unité, a créé cet émiettement partout dans le pays.
Vous parlez aussi d’une avalanche de concepts peu ou pas définis et d’un texte trop technique pour les élus…
Le concept d’artificialisation n’est pas encore défini juridiquement. On a la notion périmétrique, c’est‑à-dire l’enveloppe urbaine, qui comprend déjà un tiers de parcs et jardins ; on compte 13 millions de jardins potagers de particuliers qui produisent entre 15 % et 25 % des fruits et légumes que nous consommons. La ville n’est donc pas stérile. Il y a aussi conflit avec le désir de conserver des îlots de fraîcheur dans la ville existante pour une meilleure proximité des espaces verts. Faut-il bétonner les espaces verts ? Il n’y a pas de clarté conceptuelle sur l’artificialisation ni sur les modèles urbains.
Nous proposons qu’il ait plusieurs modèles urbains qui correspondent à plusieurs modes de vie. Le modèle métropolitain, qui est à la pointe de la dynamique économique, ne concerne que 10 millions d’habitants pour les villes-centres. Puis il y a un archipel de villes petites ou moyennes dans les métropoles, où l’on enregistre la plus grande croissance démographique, qui ont un autre mode de développement. Il y a aussi les petites et moyennes villes des territoires qui ont également une économie et un mode différents… Et puis, il y a le rural qui accueille 20 % des Français ; faut-il l’empêcher de se développer ?
La loi serait donc trop « généraliste » ?
Le texte – dont nous attendons la publication des décrets d’application – est comptable et uniquement quantitatif. Il devrait y avoir, dans les six mois qui viennent, des conférences de SCoT qui se répartiraient les peaux de chagrin entre ceux qui ont de la croissance – qui vont demander qu’on leur donne des potentiels d’urbanisation – et ceux qui n’ont pas de croissance ou très peu – qui devraient abandonner leur potentiel de développement au profit d’autres. Ça va être la foire d’empoigne.
Ensuite, les SCoT auront trois ans pour modifier leur projet, puis deux ans pour appliquer ces nouvelles options au PLU. Quand on en parle avec les élus des SCoT, ils émettent de forts doutes sur la capacité de l’ingénierie française à faire face à de telles rapidités de réétude.
Quels impacts anticipez-vous sur les aménageurs ?
On nous demande de faire plus grand, plus vert, toujours plus…, alors qu’on risque de faire plus petit et plus cher. On est dans la contradiction. Nous proposons d’atteindre l’objectif qualitatif par un permis d’aménager bioclimatique, qui fera d’ailleurs appel à l’ingénierie, c’est‑à-dire de sauvegarder les différentes fonctions des sols dans l’opération, avec de l’agriculture urbaine ; des plantations en faveur de la résilience climatique ; l’usage des nouvelles mobilités et des énergies renouvelables… On a tous les outils pour atteindre les objectifs et faire une ville plus résiliente sans empêcher les citoyens de se loger.
Nous proposons aussi une contractualisation au niveau de la planification entre les élus et les professionnels, que ce soit les architectes, les urbanistes, les concepteurs, mais aussi les opérateurs qui sont garants de la faisabilité économique et de la réponse à apporter aux différentes demandes.
On est souvent contrariés par ce que certains élus ont appelé des SCoT ou des PLU « non sincères », qui affichent des densités en sachant qu’on ne le fera pas. On sait bien que les projets en ville actuellement ne cessent de connaître des dédensifications progressives, sans parler des recours, car il y a un problème d’adéquation entre la demande politique et l’acceptation des citoyens.
Assiste-t-on à une négation politique du désir des citoyens à vivre, en grande majorité, dans une maison individuelle ?
C’est l’évidence, mais le discours n’est pas nouveau. Le Covid a libéré la parole. Les enquêtes journalistiques ont permis de voir que les citoyens qui vivaient le plus mal le confinement étaient ceux qui étaient petitement logés, sans extérieurs. Une demande très forte a pu s’exprimer légitimement à ce moment-là. Les deux tiers des Français vivent en maison, comme les deux tiers des Européens. Tenir un discours qui nie cette réalité me semble antidémocratique.
Et il n’y a pas non plus de guerre civile entre ceux qui habitent en appartement et ceux qui habitent en maison. De plus, la maison individuelle avec jardin est cohérente vis‑à-vis de la résilience climatique, du télétravail, des déplacements pendulaires moindres, etc. Et si l’on arrive à recréer des bassins d’emploi décentralisés, on a une nouvelle vision de l’aménagement du territoire. Nous défendons la réalisation de projets locaux avec les mixités de typologies collectif et individuel, accession et locatif, logements et services qui correspondent à la réalité des besoins.
Propos recueillis par Rodolphe Casso