Comment parler des jeunes adultes qui se destinent au métier de l’urbanisme dans les formations universitaires ?
Trois pièges guettent ce type d’intervention. Les deux premiers, bien connus, sont la démagogie, d’un côté, et la nostalgie, parfois teintée de réaction, de l’autre. Le troisième piège est celui de la généralisation à partir de points de vue restreints. Pour les éviter, je ne tenterai pas de mesurer les progrès ou les déclins, ni même d’observer les écarts entre les attitudes et les manières d’être et de penser des étudiants en urbanisme de 2022 par rapport à celles que j’avais ou à celles que je me souviens avoir eues, avec mes camarades,à la fin du siècle dernier. Je m’interrogerai simplement sur la manière dont leurs pratiques et leurs demandes, implicites ou explicites, percutent aujourd’hui l’enseignement en urbanisme. Mon propos s’appuie sur mes activités d’enseignant : je suis professeur à Sorbonne Université depuis 2015, après avoir été maître de conférences à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne à partir de 2009.
Tout d’abord, une attitude nouvelle est le rapport au livre et, donc, à l’écrit et au savoir. Peut-on obtenir un master sans avoir lu un livre imprimé ? C’est aujourd’hui possible. Les universités sont abonnées à des bouquets numériques. Mais ne nous leurrons pas : le livre est moins central dans la formation des étudiants. Des ouvrages font-ils encore référence commune à tous les étudiants d’une discipline ? C’est de moins en moins certain. Et du côté de l’offre, les universitaires n’ont-ils pas également en partie déserté la production d’écrits destinés d’abord aux étudiants se centrant sur des articles « dans des revues à comité de lecture », si indispensables à leur avancement ? Nous savons combien, du rouleau au livre imprimé, l’évolution des supports de diffusion de l’écrit a transformé les rapports au savoir. Si l’on admet que le numérique est une révolution anthropologique, qui conduit notamment à un affaissement de l’autorité des institutions (dont les savoirs universitaires) par l’horizontalité et la désintermédiation qu’Internet autorise, notons que cette mutation a été insuffisamment pensée pour réformer les pratiques pédagogiques.
Les étudiants en urbanisme se perçoivent-ils aujourd’hui comme « différents » des autres ? Si l’on se fie au mémoire d’habilitation récemment soutenu par Jean-Michel Roux, les spécificités s’amenuisent. Le format de l’atelier, exercice collectif avec commande réelle ou fictive, se développe dans de nombreuses formations. Le rapport aux « acteurs » s’est banalisé avec la professionnalisation des parcours de sciences sociales, notamment dans les champs de l’environnement, de l’édition ou encore de l’intervention sociale. Les cursus pluridisciplinaires se multiplient. Bref, être étudiant en urbanisme est moins spécifique.
Par ailleurs, le pari interdisciplinaire des origines demande à être constamment revivifié. Les enjeux du changement climatique, de la santé ou encore du vieillissement appellent à intégrer psychiatres, biologistes, designers ou encore spécialistes de l’ergonomie. Difficile de les intégrer dans des formations dont le socle est aujourd’hui constitué d’abord par les sciences humaines et sociales. Les étudiants en urbanisme, peut‑être plus « militants » que d’autres, et donc plus sensibles à ces sujets d’intérêt collectif, s’en plaignent. Finalement, n’exigent-ils pas des formations en urbanisme qu’elles renouent avec ce qui a constitué leur raison d’être, mais que l’institutionnalisation et l’âge rendent plus complexes : une capacité à résister à la fois aux paressesde l’air du temps tout comme au confort des routines ?
Xavier Desjardins