En qualifiant, en octobre 2021, la maison individuelle, choix de 57 % des Français, de « non-sens écologique », la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, a suscité des réactions très négatives. Dans le même esprit, et de façon plus discrète, plusieurs exercices récents de planification écologique (Ademe, RTE) recommandent de limiter la part de la maison individuelle ou de réduire la surface des logements.
Ces approches technocratiques raisonnent « logement », alors que les Français ont fait de leur « habitat » une composante majeure de leur choix de vie. En 2011, le sociologue Jean Viard expliquait déjà que les Français souhaitaient « habiter en vacances ». En 2014, Olivier Piron, haut fonctionnaire du ministère de l’Équipement, a montré comment « l’urbanisme de la vie privée » avait allègrement contourné les politiques visant à limiter l’étalement urbain.
La crise du Covid a ensuite révélé l’appétence de nos concitoyens pour les villes moyennes. Et les chefs d’entreprise ont découvert que les open spaces qu’ils avaient aménagés à grands frais dans les tours de la Défense étaient désertés par leurs collaborateurs ; ceux-ci réclament désormais un droit au télétravail pour pouvoir « habiter ailleurs ».
Ces signaux portent un même constat : une politique de transition écologique devra impérativement composer avec un « désir d’habiter » qui, dans un contexte plein d’incertitudes, tend à devenir une valeur refuge.D’un côté, ce désir est profondément ancré dans notre tradition culturelle (les choix des Français, des Espagnols et des Suisses divergent sensiblement, tant sur la part de l’habitat individuel que sur l’accès à la propriété). De l’autre, il sait s’adapter à des facteurs conjoncturels, comme les marchés de l’emploi, les marchés immobiliers, les aides au logement, l’accès aux services publics…
On ne pourra donc prétendre canaliser ce désir sans s’intéresser à sa complexité. Or, sur chacune de ses composantes (attentes professionnelles, fonctionnelles, sociales, écologiques, patrimoniales…), les référentiels sont en train de changer.
Le télétravail, développé avec la crise du Covid, a rendu possible une plus forte déconnexion entre les lieux d’emploi et les lieux d’habitat. La hausse des taux d’intérêt, s’ajoutant à une hausse soutenue des prix immobiliers, a fermé les marchés métropolitains aux jeunes ménages. Les canicules à répétition ont révélé l’inconfort des mégapoles transformées en gigantesques îlots de chaleur. La région parisienne a perdu de son attractivité au profit des métropoles de province. Et puis, certaines d’entre elles, hier, championnes des « villes où il fait bon vivre », ont cédé le podium à des villes plus petites.
En théorie, l’État et les collectivités locales disposent de très nombreux leviers pour canaliser ce désir et en faire un moteur de la transition écologique. Dans la pratique, ces leviers tendent à s’annuler, faute d’être mis en œuvre dans une stratégie cohérente.
Une première clé est donc la production d’une vision partagée d’un « bien habiter la France en 2050 » qui serait désirable, déclinée à toutes les échelles, et adaptée aux contextes sociaux et culturels.
Un second levier important est le maillage du territoire national par des liaisons ferrées performantes : compléter le réseau TGV radial, qui polarise tous les flux vers Paris, par des liaisons transversales rapides ; raccorder à cette toile les villes moyennes ; et, peut‑être, réinventer, avec des rames autonomes, ce réseau Freycinet qui, en 1930, desservait au moins une gare par canton.
Une troisième piste concerne la mise à plat du système des aides au logement, qui absorbe 2 % du PIB, et dont certaines (prêts à taux zéro, Pinel…) tendent à favoriser l’étalement urbain.
À l’échelon local, enfin, de nombreux autres leviers pourraient être activés avec plus de force : offre d’habitat intermédiaire (maisons de ville, petits immeubles), voiries dédiées aux micromobilités, répartition des polarités, mixité fonctionnelle, etc.
Cette liste est loin d’être exhaustive. Elle illustre à la fois la diversité des leviers utilisables et l’impérieuse nécessité de coordonner leur mise en œuvre en s’appuyant sur une vision partagée et désirable du « bien habiter sans carbone ».