Dans son roman La Pierre jaune, le journaliste, auteur et éditeur Geoffrey Le Guilcher part d’une hypothèse scientifiquement plausible pour projeter le lecteur dans une France ravagée par une catastrophe nucléaire. Une œuvre qui tient autant du thriller d’anticipation que du guide de survie.
La Pierre jaune est une fiction qui met en scène une France en proie à une catastrophe nucléaire. Mais le statut de départ s’appuie sur une hypothèse tout à fait réaliste. Expliquez-nous.
Tout est parti d’une enquête que j’avais réalisé dans Les Inrockuptibles et pour laquelle j’avais travaillé plusieurs mois sur l’usine nucléaire de La Hague, dans le Cotentin. J’ai même pu obtenir une autorisation préfectorale pour la visiter. Ce site est comparable aux villes fermées en Russie autour des installations nucléaires qu’on ne peut pénétrer sans autorisation spéciale. La Hague est un lieu immense [300 hectares, NDLR] qui emploie 3000 personnes et se compose de plusieurs usines de différentes générations, avec différents endroits de stockage. J’ai révélé à l’époque qu’on avait dissimulé à l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) les origines de l’accident le plus grave qui ait eu lieu à La Hague : le 15 avril 1980, un incendie s’était déclaré, l’électricité était coupée et les générateurs de secours étaient restés un temps indisponibles. On avait alors frôlé une catastrophe majeure. Tout partait d’une erreur humaine, ce qui était alors impensable sur ce type d’installation.
De plus, en 2001, le scientifique franco-allemand Mycle Schneider a enquêté pour le compte du Parlement européen sur La Hague, ainsi que sur l’usine de Sellafield, en Grande-Bretagne, qui était le seul site comparable dans le monde – il a fermé depuis. Étonné de l’énorme quantité de combustibles irradiés contenus dans les piscines de La Hague, Mycle Schneider s’est livré à un calcul : si un aéronef tombait sur une piscine de refroidissement, ce serait une catastrophe équivalente à environ 70 fois Tchernobyl. Or, après les attentats du Word Trade Center, il prend peur. Surtout que les piscines de La Hague ne sont protégées que par un toit de tôle et pourraient ainsi être l’objet d’un attentat similaire. Mycle Schneider décide donc de rendre publique cette information. En France, c’est la panique : le Premier Ministre Lionel Jospin fait installer des missiles anti-aériens autour de l’usine – ils seront retirés quelques mois plus tard. Mais la faille demeure, faille reconnue par un ancien directeur adjoint de l’usine nucléaire. De son côté, la société gestionnaire du site, Orano, qui avait d’abord réfuté cette hypothèse, a lancé un projet de construction d’une nouvelle piscine qui, si elle voit le jour, sera équipée d’une coque anti-aérienne. C’est bien la preuve que ce risque, d’abord nié, a été pris en compte. Finalement, les experts du Commissariat à l’énergie atomique ont déterminé que le risque encouru équivalait à « seulement » 7 fois Tchernobyl. Voilà mon hypothèse de base pour le roman, l’hypothèse basse.
Pourquoi être parti de cette hypothèse très réelle pour en faire une fiction ?
Parce que lorsque les Etats-Unis ont trouvé et abattu Oussama Ben Laden, la CIA a rendu public, quelques années plus tard, des éléments retrouvés dans son ordinateur, dont deux rapports sur les déchets nucléaire français… dont l’un signé par Mycle Schneider. Le commanditaire des attentats du 11 septembre s’intéressait donc à notre filière nucléaire. Quand vous parlez de ces sujets, on vous accuse de donner des idées aux terroristes. Or, les terroristes ne nous ont pas attendus. La preuve. La faille de La Hague était déjà connue des initiés bien avant 2001.