Le ZAN, révélateur d’un modèle communal à bout de souffle

Le ZAN souligne combien le modèle communal fondateur est épuisé pour affronter la crise climatique.

 

Alors que l’actualité nous alarme sur l’urgence de l’adaptation à la crise cli­ma­tique et que le Gou­ver­ne­ment est accu­sé tous les jours de ne rien faire, la poli­tique de sobrié­té fon­cière ins­crite dans la loi cli­mat et rési­lience du 22 août 2021, sous l’acronyme ZAN (« zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette »), com­mence déjà d’être déman­te­lée, à peine deux ans après son adop­tion par le Par­le­ment, et il en va de même pour la contes­ta­tion des ZFE (zones à faibles émissions).
Sur le fond, cette légis­la­tion tech­nique issue de la conven­tion citoyenne pour le cli­mat per­cute notre approche col­lec­tive des diverses manières d’habiter et d’occuper l’espace dans un pays d’ancienne tra­di­tion rurale.

Pre­miè­re­ment, elle oblige à pré­ci­ser ce qu’«artificialiser» veut dire, ce concept ne pou­vant être vali­dé par la science, la jus­tice ou la poli­tique, de façon incontestable.
Deuxiè­me­ment, elle rompt avec l’objectif d’égalité et de cohé­sion des ter­ri­toires, por­té par des cam­pagnes poli­ti­co-média­tiques sin­cè­re­ment inquiètes.
Troi­siè­me­ment, elle ravive le thème popu­liste usé de la riva­li­té villes/ruralités et de la tech­no­cra­tie impo­sant depuis Paris une nou­velle contrainte arbi­traire igno­rante du bon sens de terrain.

Actuel­le­ment, les sols – qui ne stockent plus le CO2 et désor­ga­nisent le cycle de l’eau – recouvrent un peu moins de 10 % du ter­ri­toire natio­nal. Le pas­sage d’une occu­pa­tion natu­relle agri­cole ou fores­tière à une occu­pa­tion urba­ni­sée a concer­né 21 000 ha en 2021, dont les deux tiers pour l’habitat, qui compte déjà 20 mil­lions de mai­sons. Ce modèle favo­ri des Fran­çais s’incarne notam­ment dans des opé­ra­tions de moins de 8 logements/ha, qui consomment 51 % de l’espace pour 19 % de la pro­duc­tion de loge­ments. Cette dyna­mique immo­bi­lière débri­dée inter­roge les conflits d’usage et le pro­ces­sus conti­nu de trans­for­ma­tion du sol en mar­chan­dise, dont la valeur spé­cu­la­tive comble les pro­prié­taires, sou­vent exploi­tants agri­coles eux-mêmes, et abonde les bud­gets com­mu­naux dro­gués à la rente fon­cière (DMTO, taxe fon­cière, taxe d’aménagement, anti­ci­pa­tions spéculatives).

Les exer­cices de pla­ni­fi­ca­tion en cours – plan local d’urbanisme (PLU), plan local d’urbanisme inter­com­mu­nal (PLUi), sché­ma de cohé­rence ter­ri­to­rial (SCoT), sché­ma direc­teur de la région Ile-de-France envi­ron­ne­men­tal (SDRIFE) – tentent d’engager labo­rieu­se­ment des tra­jec­toires de sobrié­té fon­cière ter­ri­to­ria­li­sées, par­ti­cu­liè­re­ment dans les zones péri­ur­baines. Le Gou­ver­ne­ment a déci­dé, le 5 juin 2023, dans le cadre du CNR loge­ment, d’exclure le prêt à taux zéro (PTZ) pour les pavillons neufs et de le recen­trer sur les 1 100 com­munes en zone tendue.
Tout en vou­lant récon­ci­lier les Fran­çais avec la pro­duc­tion de loge­ments nou­veaux, ces choix – qui visent à limi­ter l’étalement urbain, dont l’impact envi­ron­ne­men­tal est bien docu­men­té, notam­ment par ses effets sur les mobi­li­tés contraintes – ren­dront plus dif­fi­cile l’accès à la pro­prié­té des jeunes et des ménages modestes.

Alors que la direc­tion de l’habitat estime qu’il fau­drait pro­duire 7,8 mil­lions de loge­ments neufs entre 2020 et 2050 (soit 260 000 par an), de nom­breux experts jugent les choix gou­ver­ne­men­taux trop mini­ma­listes, au moment où il s’agit de moins béton­ner sans péna­li­ser le déve­lop­pe­ment des communes.
Pour­tant, ces arbi­trages entraînent déjà la résis­tance des construc­teurs de mai­sons indi­vi­duelles, des pro­mo­teurs immo­bi­liers, de la fédé­ra­tion du bâti­ment et de l’union natio­nale des amé­na­geurs, qui alertent sur le risque de pénu­rie fon­cière ; les cri­tiques de l’As­so­cia­tion des maires de France, qui pointe un dis­cours « recen­tra­li­sa­teur » qui désa­voue les élus locaux, accu­sés d’être des freins à la déli­vrance des per­mis de construire, alors que les maires bâtis­seurs ne sont pas assez aidés ; enfin, l’offensive du Sénat, porte-parole du désar­roi et de la colère des maires des com­munes rurales (50 % de moins de 500 habi­tants, 72 % de moins de 1 000), qui alerte sur les risques d’une mesure aveugle et relaie la force du communalisme.

 

Refon­der le modèle éco­no­mique de la fis­ca­li­té locale

Toutes ces polé­miques sou­lignent l’impératif de refon­der le modèle éco­no­mique de la fis­ca­li­té locale et de la pro­mo­tion pour com­pen­ser les pertes de res­sources liées à la sous-den­si­té. De fait, la réduc­tion de moi­tié du rythme de consom­ma­tion des sols d’ici à 2030 aura des impli­ca­tions inéga­li­taires liées aux dif­fé­rences de besoins fon­ciers entre ter­ri­toires ten­dus et ter­ri­toires déten­dus, au regard de la pres­sion démo­gra­phique et immo­bi­lière consta­tée ou à venir.
Les que­relles récur­rentes entre centres et péri­phé­ries et entre les com­munes et l’État relancent le loca­lisme, quelques mois après la loi « 4D » (décen­tra­li­sa­tion, dif­fé­ren­cia­tion, décon­cen­tra­tion et décom­plexi­fi­ca­tion) qui vou­lait adap­ter l’action publique locale.

Alors que cer­tains plaident pour la décen­tra­li­sa­tion de la poli­tique du loge­ment, deux injonc­tions contra­dic­toires liées aux pro­blé­ma­tiques éco­lo­giques se des­sinent : soit les maires bloquent trop les per­mis de construire en zone urbaine, pour évi­ter la sur­den­si­té et les recours des rive­rains ; soit les maires accordent trop de per­mis de lotir en zone péri­ur­baine, pour pré­ser­ver la dyna­mique de leur commune.

L’objectif de « zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette » des sols inter­roge donc le juste par­tage de consom­ma­tion fon­cière future entre métro­poles, com­munes péri­ur­baines et com­munes rurales dans un jeu com­plexe : un tiers des aires urbaines sont déjà ou vont amor­cer un cycle de décrois­sance sans besoin de nou­veau fon­cier, 71 % des com­munes appar­te­nant à l’aire d’attraction d’une ville n’abandonneront que très dif­fi­ci­le­ment leur modèle d’urbanisation exten­sive, 170 000 ha de friches sur plus de 8 000 sites (dont 50 000 en zone ten­due) et 1,1 mil­lion de loge­ments sont poten­tiel­le­ment mobi­li­sables, tan­dis qu’en Ile-de-France, 23 % des sols sont déjà urba­ni­sés ou artificialisés.

Si, glo­ba­le­ment, la ten­dance géné­rale est, depuis les der­nières élec­tions muni­ci­pales, plu­tôt la pru­dence des maires trop peu bâtis­seurs, le ministre Oli­vier Klein a décla­ré lors du CNR loge­ment : « Nous avons un grand chan­tier à ouvrir, celui de la gou­ver­nance des poli­tiques du loge­ment. L’en­jeu, c’est de redé­fi­nir la balance entre les liber­tés locales, qui doivent gran­dir, et en même temps la capa­ci­té de l’É­tat à reprendre les choses en main lorsque la situa­tion l’exige. » En clô­ture du CNR, la Pre­mière ministre Éli­sa­beth Borne a répé­té que « cha­cun doit prendre ses res­pon­sa­bi­li­tés, si nous ne par­ve­nons pas à lever les blo­cages, notam­ment en matière de per­mis de construire, l’É­tat est prêt à prendre les siennes ».

Certes l’État ne peut plus décré­ter seul l’intérêt géné­ral, mais la tran­si­tion éner­gé­tique ne peut être lais­sée aux mains des nom­breux maires heur­tés par l’injonction de concen­trer l’habitat, de limi­ter les rési­dences secon­daires et la vacance, et d’encadrer la consom­ma­tion fon­cière. Beau­coup s’opposent au déclin démo­gra­phique de « leur » com­mune et à la fer­me­ture de classes et de com­merces à coups de lotis­se­ments et de zones d’activités, mais cette crainte jus­ti­fie-t-elle de pré­sen­ter le ZAN comme une loi faite contre les ruraux par des urbains domi­nants et méprisants ?

De même, l’opposition ins­tru­men­ta­li­sée entre les pro­jets por­tés par l’État tels que les grandes infra­struc­tures d’intérêt natio­nal ou régio­nal jus­ti­fie-t-elle que leur impact soit sous­trait de la consom­ma­tion fon­cière des ter­ri­toires concer­nés, dis­tin­guant arbi­trai­re­ment deux sphères étanches : un ZAN natio­nal et un ZAN local ? Pour dépas­ser ces affron­te­ments binaires une « garan­tie rurale » a été déci­dée pour 31 000 com­munes peu denses, qui pour­ront toutes béné­fi­cier une capa­ci­té d’extension mini­male d’un hec­tare constructible.

L’arbitrage entre ces situa­tions dis­pa­rates ne pour­ra pas s’opérer sans recon­fi­gu­ra­tion pro­fonde du sys­tème poli­tique et fis­cal local en chan­geant d’échelle de réflexion de repré­sen­ta­tion et de déci­sion dans un dis­po­si­tif qui impose de dépas­ser l’opposition binaire mai­son individuelle/logements col­lec­tifs. Avec les régions en charge de la pla­ni­fi­ca­tion stra­té­gique (sché­ma régio­nal d’a­mé­na­ge­ment et de déve­lop­pe­ment durable du ter­ri­toire, SRADDET) aux côtés d’EPCI (éta­blis­se­ments publics de coopé­ra­tion inter­com­mu­nale) trans­for­més en simples syn­di­cats, une période de mar­chan­dage com­mence pour reje­ter tout jaco­bi­nisme régio­nal et s’assurer que chaque com­mune tire­ra son épingle du jeu, dans la super­po­si­tion confuse de docu­ments règle­men­taires. Sachant que les confé­rences ter­ri­to­riales de l’action publique qui visaient à dépas­ser les rela­tions de défiance entre col­lec­ti­vi­tés sont dépo­li­ti­sées, com­ment convaincre les 35 000 maires d’abandonner leur pos­ture de petites prin­ci­pau­tés sou­ve­raines inadap­tées au trai­te­ment des ques­tions com­plexes, coû­teuses et conflic­tuelles liées à la crise climatique ?

Ce nou­vel épi­sode des impasses de la décen­tra­li­sa­tion, qui a conser­vé le même nombre de com­munes, se joue entre entra­ver l’autonomie locale et affron­ter les impé­ra­tifs natio­naux, sachant qu’à tout moment les dif­fé­rentes col­lec­ti­vi­tés ont ren­du inopé­rantes toutes les ten­ta­tives de ratio­na­li­sa­tion et de mutua­li­sa­tion des res­sources fis­cales et fon­cières. Les « attri­bu­tions de com­pen­sa­tion » illi­sibles et au faible pou­voir éga­li­sa­teur limitent les péréqua­tions et trans­ferts en direc­tion des ter­ri­toires plus pauvres, désor­mais direc­te­ment concer­nés par la stag­na­tion ou le déclin démo­gra­phique issu du ZAN. Tous ont vou­lu pré­ser­ver l’autonomie d’emploi du poten­tiel fon­cier a peine écor­né dans les PLUi, en sera-t-il de même pour appli­quer le ZAN ?

Connais­sant les organes déli­bé­rants des inter­com­mu­na­li­tés fon­dés sur le consen­sus et le refus de toute auto­ri­té supra com­mu­nale effec­tive, dans notre situa­tion d’urgence cli­ma­tique, ce flou per­met­tra-t-il d’engager vrai­ment la bifur­ca­tion dans la façon d’urbaniser et d’aménager en zones ten­dues ou décrois­santes, en zones urbaines ou rurales ? Quand les maires conti­nuent de se pen­ser por­teurs d’une légi­ti­mi­té émiet­tée mais incon­tes­table sur l’usage des sols au nom de la proxi­mi­té et de l’onction de l’élection, com­ment por­ter des impé­ra­tifs d’intérêt géné­ral à toutes les échelles ? Com­ment avan­cer quand tout le sys­tème ins­ti­tu­tion­nel et poli­tique ter­ri­to­rial pousse chaque niveau à pro­cla­mer sa sou­ve­rai­ne­té et à entre­te­nir la com­pé­ti­tion et la défiance avec tous les autres acteurs, à com­men­cer par l’État accu­sé d’en faire trop ou pas assez ?

Dans le contexte anxio­gène de la crise cli­ma­tique, l’opinion publique exprime des pré­oc­cu­pa­tions contra­dic­toires : pré­ser­ver des espaces verts et natu­rels tout en déve­lop­pant une offre de loge­ments abor­dables et acces­sibles. Pour y répondre, il est temps de confier la pro­gram­ma­tion et la mutua­li­sa­tion des poten­tiels fon­ciers aux 1 254 EPCI ou aux 1 663 bas­sins de vie recon­nus par l’Insee pour débattre, négo­cier, et déci­der, ou réha­bi­li­ter et construire plus et mieux, sur moins d’espace, là où il faut et, d’abord, pour ceux qui en ont besoin.

Peut-on encore pré­ser­ver un maillage com­mu­nal dont tout indique la résis­tance et l’impuissance face aux enjeux sys­té­miques de tran­si­tion, alors qu’une modi­fi­ca­tion pro­fonde des poli­tiques du loge­ment, des trans­ports et d’aménagement du ter­ri­toire s’impose ? L’enjeu est la modi­fi­ca­tion des modes de vie, mais pour y par­ve­nir la logique dis­tri­bu­tive est-elle encore sou­te­nable sans vision contem­po­raine du territoire ?

 

Simon Ronai

Géo­graphe-urba­niste

Pho­to : Guignes, Seine-et-Marne. © Poudou99/CC-BY-SA‑3.0

 

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