L’engagement citoyen pour sauver l’eau, notre bien commun

Lionel Rard est plongeur scientifique, scaphandrier professionnel et président de l’association Odysseus 3.1, qui mène des expéditions glaciaires, fluviales et maritimes, organise des opérations de dépollution subaquatiques et met en avant des espaces naturels remarquables.

 

Pour l’astrophysicien Hubert Reeves, « à l’échelle cos­mique, l’eau est plus rare que l’or ». L’être humain, dans sa quête d’autres vies extra­ter­restres, traque chaque jour la molécule H2O aux confins de l’espace. Il l’a recensée sous forme de vapeur, de glace… Mais à l’état liquide, jamais. Pour l’instant, aucune trace… Il n’y a que sur notre planète où on la trouve en abon­dance. La Terre, « planète bleue », car recou­verte à 72 % d’eau. « Planète Mer », devrait-on dire ! Et si l’on érodait ses reliefs, sa sur­face en serait tota­le­ment recou­verte avec une hau­teur de 3 000 mètres. Est-ce cette sen­sa­tion « d’opulence aqua­tique » qui nous donne le droit de la mal­me­ner ? A‑t-on pris conscience que cette source de vie peut aus­si véhiculer la mort? Com­ment inver­ser la ten­dance et nour­rir l’espoir d’un ave­nir meilleur ?

Il y a quelques années, je suis deve­nu plon­geur scien­ti­fique. Cela consiste à appli­quer « en bas » des pro­to­coles établis « en haut » avec d’autres scien­ti­fiques. Mani­pu­la­tion de carot­tiers, afin de réaliser des prélèvements en sédiments, de col­lec­teurs d’eau, de para­chutes de rele­vage pour déplacer des objets, uti­li­sa­tion de penta-décamètres et de qua­dras pour référencer les espèces, tenues de répertoires, rédaction de rap­ports, etc. Et cela, dans le cadre d’études menées avec des orga­nismes, comme l’Inrae (Ins­ti­tut natio­nal de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), des universités (Genève, Lyon, Per­pi­gnan) ou des collectivités, comme la Métropole de Lyon actuel­le­ment. Sans orgueil mal placé, qui mieux qu’un plon­geur pour par­ler d’eau ?

Sur notre planète Mer, l’eau se répartit à 97 % en eau salée et 3 % en eau douce. Si l’on enlève à cette dernière celle des gla­ciers et des « eaux sou­ter­raines », il ne reste plus que 0,004 % pour les eaux dites « de sur­face », c’est‑à-dire nos lacs, nos étangs, nos fleuves et nos rivières. Alors oui, comme le constate Reeves, elle est précieuse !

Comme tant d’autres, je fais par­tie de cette « génération Cous­teau », bercée par les explo­ra­tions du com­man­dant et de son équipe. Très tôt, j’ai chaussé des palmes afin de découvrir « Le Grand Bleu ». Port-Cros, Mexique, Baléares, Antilles, j’ai écumé les des­ti­na­tions rêvées de la com­mu­nauté des plon­geurs. Tout sem­blait conforme aux pay­sages promis.

24,4 tril­lions de par­ti­cules microplastiques

Un jour, on me deman­da d’organiser un « net­toyage sub­aqua­tique » dans le Rhône, en plein centre de Lyon. « Quelle idée ! », me suis-je dit. Et en ajus­tant mon masque sur le visage, je n’en ai pas cru mes yeux : des tonnes de déchets en tout genre (vélos, mate­las, bat­te­ries, trot­ti­nettes, etc.) jon­chaient le lit du fleuve. Après la stupéfaction, l’incompréhension puis la colère, est venue l’action. Ce jour-là, nous avons remonté plus de 2 tonnes de déchets. Que seraient-ils deve­nus ? Dispersés par les cou­rants, désagrégés par le jeu des frot­te­ments, ils auraient pol­lué l’ensemble de la chaîne ali­men­taire sur un che­min qui les emmène… en pleine mer ! Car oui, la mer com­mence aus­si ici, en plein cœur de nos villes.

On estime entre 8 et 12 mil­lions de tonnes la quan­tité de plas­tique déversée chaque année dans les océans : 33 000 tonnes/ jour! Selon le Centre de recherches océanographiques et atmosphériques de l’université de Kyu­shu (Japon), il y aurait dans nos mers 24,4 tril­lions de par­ti­cules micro­plas­tiques (d’une taille com­prise entre 1 et 5 mm). Et un tril­lion, c’est un mil­liard de mil­liards… Nous en sommes arrivés à ce qu’on appelle « le 6e conti­nent », celui de plas­tique. Il s’est formé à cha­cun des grands nœuds de cou­rants océaniques cir­cu­laires, en océan Atlan­tique, Paci­fique et Indien. Un nou­veau apparaît même en Méditerranée à la fin de chaque période esti­vale et de surfréquentation de nos plages ! Sur ces masses immenses de déchets se développent des bactéries ; le bacille du choléra y a même été détecté.

Mais il ne s’agit ici que des déchets phy­siques. Car il existe une autre source de pol­lu­tion, invi­sible à l’œil nu, la conta­mi­na­tion chi­mique, avec le rejet en quan­tité phénoménale de pes­ti­cides, bisphénol A, PCB, perfluorés (appelés aus­si « pol­luants éternels »)… Avec toutes les inci­dences sur la bio­di­ver­sité et notre santé. L’énormité de ces chiffres est telle qu’elle dépasse l’entendement. Mais, pour autant, doivent-ils être des freins à l’action ? Ou, au contraire, des déclencheurs ? Com­ment pas­ser de spec­ta­teur à acteur ? Et quel che­min prendre ?

Seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin. Avec une poignée d’amis mus par l’envie d’agir, j’ai fondé, en 2018, Odys­seus 3.1. Une asso­cia­tion de pro­tec­tion de l’eau. Voi­là pour l’objectif.

Les moyens pour l’atteindre ? L’exploration, la recherche scien­ti­fique et la trans­mis­sion aux générations futures. En cinq ans, nous avons mul­ti­plié, bénévolement, les actions dans ce domaine. Aus­si bien au niveau local que sur le plan natio­nal ou inter­na­tio­nal, en uti­li­sant différentes méthodes comme des expéditions gla­ciaires, flu­viales et mari­times, des opérations de dépollution sub­aqua­tiques, la mise en avant d’espaces natu­rels remar­quables, des expo­si­tions artis­tiques, la sor­tie d’une bande dessinée, des inter­ven­tions dans les écoles ou en conférences…

« On ne protège que ce que l’on aime. »

Si notre volonté est de dénoncer les pol­lu­tions dues à l’activité humaine, nous met­tons constam­ment en avant la beauté du monde à préserver. Parce que nous croyons aus­si que si l’on ne montre que des images d’un monde dévasté, on risque de pro­vo­quer un sen­ti­ment, au mieux, d’impuissance, au pire, d’abandon ou de désespoir. À nous de cana­li­ser cette colère qui gronde, par­fois, sou­vent, face à une réalité qui peut nous dépasser.

Le com­man­dant Cous­teau, ce « Cap­tain Pla­net » de la Conférence de Rio de 1992 mar­te­lait : « On ne protège que ce que l’on aime. » J’ajouterais : « Et que l’on com­prend. » C’est la rai­son pour laquelle nous nous sommes dotés, au sein d’Odysseus 3.1, d’un comité scien­ti­fique, organe indépendant qui per­met de créer une inter­face entre les citoyens et le monde de la recherche. Vul­ga­ri­ser de manière fac­tuelle est l’une des clés indis­pen­sables pour répondre aux ques­tion­ne­ments légitimes de nos conci­toyens. Et, hum­ble­ment, d’apporter notre pierre à un socle de connais­sances communes.

La notion de résultat est pri­mor­diale pour notre orga­ni­sa­tion composée de citoyens de tous hori­zons; «un objec­tif est fait pour être atteint » ou le « non est un début » sont nos leit­mo­tivs. En cinq ans, nous avons extrait près de 60 tonnes de déchets. Une goutte d’eau… Mais nous met­tons en place ou pro­po­sons systématiquement des solu­tions pour éradiquer les sources de pollution.

Des exemples concrets: lors d’une opération de dépollution aqua­tique, nous avons sor­ti 202 pneus. Composés d’additifs allergènes, de métaux lourds, de dérivés d’hydrocarbures et de per­tur­ba­teurs endo­cri­niens, ils sont une source de conta­mi­na­tion de l’écosystème. Or, avec le temps passé dans le milieu aqua­tique, ils sont deve­nus autant d’abris et de frayères pour la faune. Aus­si, nous les avons remplacés par des struc­tures à pH neutre, afin de mini­mi­ser l’impact de cette sup­pres­sion. De même, nous tra­vaillons actuel­le­ment à la pose de filets pour rete­nir les déchets transportés par les rivières ou les cana­li­sa­tions qui se déversent dans des cours d’eau plus importants.

Enfin, à Genève, les pro­jets de pont ou de tun­nel pour désengorger le centre-ville de la cir­cu­la­tion routière étaient à l’arrêt depuis trente ans en rai­son « de vieilles his­toires » de caisses de muni­tions disséminées dans le lac après‑guerre. Nous avons plongé, recherché et découvert des mil­liers de tonnes d’obus, à proxi­mité de cap­tage d’eau potable et de gazo­duc. Le problème ? Ils fuient et libèrent des métaux lourds. Nous avons trans­mis leurs posi­tions aux autorités, qui procèdent actuel­le­ment à un impor­tant référencement subaquatique.

D’autres struc­tures comme la nôtre agissent: créations de réserves natu­relles, mise au point de systèmes de des­sa­le­ment non pol­luants, navires col­lec­teurs de déchets, etc. Les solu­tions existent. D’une manière générale, par­tout, des femmes et des hommes de plus en plus nom­breux se mobi­lisent pour « faire leur part », à l’instar du « coli­bri » du regretté Pierre Rabhi.

À tra­vers les mondes asso­cia­tifs, uni­ver­si­taires et entre­pre­neu­riaux souffle le vent de la prise de conscience citoyenne. À nos poli­tiques d’être enfin à la hau­teur des enjeux, car il y a urgence à stop­per et trai­ter la pol­lu­tion aquatique.

Ce n’est plus « la même eau qui coule » et nous nous devons d’en res­tau­rer le cycle.

Lio­nel Rard

© Lau­rence Fischer

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