L’essor des services à distance peut-il rebattre les cartes de l’aménagement des territoires ?

L’épidémie du Covid-19 et les mesures de confi­ne­ment et de dis­tan­cia­tion sociale impo­sées à la popu­la­tion ont fait évo­luer mas­si­ve­ment les pra­tiques numé­riques. D’une part, l’utilisation des ser­vices numé­riques habi­tuels s’est inten­si­fiée. Les réseaux sociaux ont été lar­ge­ment uti­li­sés pour gar­der le lien entre famille, amis et col­lègues. Les sites des médias connaissent des chiffres de fré­quen­ta­tion en forte hausse, tout comme les pla­te­formes de strea­ming vidéo (You­Tube, Net­flix, etc.) ou les sites de e‑commerce (Ama­zon, Fnac, etc.) et de livrai­son de courses ou de repas. D’autre part, des pra­tiques numé­riques mino­ri­taires ont connu un déve­lop­pe­ment impor­tant. Le télé­tra­vail est deve­nu l’espace de quelques semaines la norme pour un nombre consé­quent de sala­riés. L’essor mas­sif des outils de tra­vail à dis­tance en témoigne. Plus de 7 000 clients payants se sont ins­crits sur Slack en mars (contre 5 000 au cours du tri­mestre pré­cé­dent). Zoom a vu son chiffre d’affaires aug­men­ter de 78 % au-delà de ses esti­ma­tions. Fin février, l’entreprise comp­tait 2,2 mil­lions d’utilisateurs sup­plé­men­taires, soit plus que toute l’année pré­cé­dente. Jusqu’alors mar­gi­nale, la méde­cine à dis­tance connaît un essor spec­ta­cu­laire, notam­ment sous l’impulsion des pla­te­formes numé­riques telles que Doc­to­lib, qui offre son ser­vice de télé­con­sul­ta­tion aux méde­cins abon­nés le temps de la crise. Plus d’un mil­lion de télé­con­sul­ta­tions ont été fac­tu­rées entre le 6 et le 12 avril selon l’Assurance mala­die (soit 28 % de l’ensemble des consul­ta­tions contre 0,1 % entre le 2 et le 8 mars). En 2019, le total des télé­con­sul­ta­tions était d’à peine 60 000.

Dans l’ensemble de nos sphères sociales (pro­fes­sion­nelles, édu­ca­tives, per­son­nelles, loi­sirs, etc.), l’utilisation de ser­vices à dis­tance s’est inten­si­fiée. Il est encore tôt pour déter­mi­ner si cette inten­si­fi­ca­tion mène­ra à un chan­ge­ment d’habitude durable. On peut tou­te­fois tem­pé­rer les dis­cours pro­phé­tiques sur le nou­vel amé­na­ge­ment des ter­ri­toires qui en décou­le­rait. Depuis l’avènement d’Internet, le numé­rique est pré­sen­té comme une tech­no­lo­gie capable de sup­pri­mer les dis­tances et, ain­si, por­teuse de pro­messes de revi­ta­li­sa­tion des ter­ri­toires. Pour­tant, force est de consta­ter que le numé­rique n’a pas réduit les inéga­li­tés entre les indi­vi­dus et les territoires.

La crise sani­taire a rap­pe­lé que les inéga­li­tés face au tra­vail et à l’éducation à dis­tance sont fortes. Pen­dant le confi­ne­ment, 35 % de la main‑d’œuvre a conti­nué à se rendre sur le lieu de tra­vail, alors que 58 % des cadres et pro­fes­sions inter­mé­diaires ont télé­tra­vaillé, contre 20 % des employés et 2 % des ouvriers1. Par ailleurs, 35 % des parents avec un enfant de moins de 14 ans ont eu des dif­fi­cul­tés à assu­rer leur sui­vi sco­laire, une dif­fi­cul­té très cor­ré­lée au niveau de vie et qui touche net­te­ment les plus modestes.

Outre ce ren­for­ce­ment des inéga­li­tés sociales, la puis­sance des phé­no­mènes de métro­po­li­sa­tion ne laisse pas pré­sa­ger d’un renou­veau de l’aménagement des ter­ri­toires par le numé­rique. Elle conduit inexo­ra­ble­ment à concen­trer popu­la­tions, res­sources, emplois et richesses au cœur des prin­ci­pales métro­poles mon­diales créant de pro­fondes inéga­li­tés spa­tiales que le numé­rique seul ne pour­ra résoudre.

Antoine Cour­mont, direc­teur scien­ti­fique de la chaire Villes et numé­rique de Sciences-Po

Pho­to : Baie de Somme © Raphaël Rivest/Shutterstock.com

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