Les urbanistes, futurs promoteurs des transitions ?

La planification et l’aménagement des territoires sont des enjeux majeurs pour l’avenir de nos sociétés. Or, en France, le métier d’urbaniste peine à trouver sa place et sa reconnaissance face à des professions plus établies comme les architectes ou les ingénieurs. Les urbanistes sont souvent cantonnés à un rôle d’experts locaux, spécialisés en dispositifs techniques et acronymes en tout genre, sans vision politique ni capacité d’influence sur les grands choix législatifs, toujours centralisés à Paris.

 

Ils laissent ain­si le champ libre à d’autres dis­ci­plines (sciences poli­tiques, socio­lo­gie, géographie, his­toire…), qui occupent le devant de la scène médiatique et intel­lec­tuelle et le débat public. Qui se reven­dique aujourd’hui, et même se sou­vient de François Ascher (1946–2009), urba­niste génial de la « moder­nité réflexive » (Antho­ny Gid­dens), et explo­ra­teur vision­naire des muta­tions de nos sociétés urbaines ?

Grand res­pon­sable de cette situa­tion, le modèle français de décentralisation, qui confie aux collectivités ter­ri­to­riales des compétences tech­niques ou de ges­tion, mais sans leur attri­buer le pou­voir poli­tique sus­cep­tible d’apporter des réponses adaptées à la diver­sité des contextes. La pla­ni­fi­ca­tion est éclatée à différents niveaux admi­nis­tra­tifs locaux, sans cohérence ni réelle coor­di­na­tion, limi­tant l’émergence de visions régionales, qui se perdent trop sou­vent en com­mu­ni­ca­tions vagues ou simples docu­ments administratifs.

Ailleurs en Europe, de nom­breuses régions dis­posent de l’autonomie poli­tique, budgétaire et législative qui per­met aux urba­nistes de se faire entendre et res­pec­ter au bon échelon de décision. En par­ti­ci­pant au débat poli­tique et en pro­po­sant des pro­jets stratégiques et différenciés, comme en Cata­logne ou dans les Länder alle­mands, ils apportent des améliorations impor­tantes dans la vie de leurs conci­toyens. Mais le contexte actuel offre une oppor­tu­nité unique aux urba­nistes français de prendre le lea­der­ship dans la fabrique des ter­ri­toires. Les Objec­tifs (interconnectés) de développement durable (ODD) de l’Agenda 2030 des Nations unies, si peu pro­mus en France – et pour cause –, consti­tuent le cadre de référence fon­da­men­tal dans lequel réorienter nos poli­tiques publiques. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), deux tiers des cibles liées aux ODD nécessitent l’implication des villes et des régions, ce qui appelle des poli­tiques territorialisées.

Par­tout dans le monde, des collectivités expérimentent une gou­ver­nance plus glo­bale et intégrée (whole-of-govern­ment) et adoptent des poli­tiques publiques trans­ver­sales. D’ailleurs, cette approche holis­tique amène à s’intéresser au poten­tiel des ter­ri­toires intel­li­gents – entre jumeaux numériques et gou­ver­nance de la donnée –, dans le but de mieux décider, agir et évaluer. L’action publique, essen­tiel­le­ment ges­tion­naire jusqu’à présent, développe désormais une ambi­tion de trans­for­ma­tion. Cela pose tou­te­fois, pour la France, la ques­tion de la capa­cité poli­tique et ins­ti­tu­tion­nelle à y répondre…

Les urba­nistes ont un rôle essen­tiel à jouer dans ce cadre, à condi­tion de chan­ger de pos­ture et de pers­pec­tive. Quit­ter celles d’experts tech­niques locaux, pour deve­nir des influen­ceurs poli­tiques, capables de pro­po­ser des visions et des pro­jets ambi­tieux, intégrateurs et par­ti­ci­pa­tifs visant à trans­for­mer la société, et ain­si contri­buer à la refonte indis­pen­sable de nos institutions.

Pour cela, ils peuvent comp­ter sur leurs compétences ana­ly­tiques et vision­naires, inter­dis­ci­pli­naires et systémiques, ain­si que leur capa­cité de col­la­bo­ra­tion, de faci­li­ta­tion et d’écoute de la société civile. À l’heure des ten­sions géopolitiques, il est également urgent de ren­for­cer les coopérations entre villes et régions à l’international, en par­ta­geant intel­li­gem­ment notre savoir-faire européen avec le Sud glo­bal, l’Afrique assurément, mais aus­si l’Asie, nou­veau moteur du monde où les enjeux d’urbanisation sont d’ores et déjà colossaux.

Si, de toute évidence, les urba­nistes français ont aujourd’hui une faible influence à l’international, rien n’interdit d’agir pour que cela change. À condi­tion de se mobi­li­ser et se fédérer, se for­mer et inno­ver, et sur­tout dia­lo­guer, coopérer et se faire connaître comme acteurs incon­tour­nables du développement urbain durable.

Sté­phane Péan, consul­tant indé­pen­dant, Ker-Iz Consulting

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Un commentaire

  • Stéphane Péan

    20 mars 2024 à 20h36

    Un grand mer­ci à la revue Urba­nisme pour cette oppor­tu­ni­té de contri­buer à ses réflexions.

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