Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse et président de Toulouse Métropole, répond à la lettre ouverte du Collectif d’architectes en Défense du patrimoine architectural de l’équipe Candilis-Josic-Woods au Mirail adressée au ministre Olivier Klein, au sujet de la démolition de 1400 logements au quartier du Mirail à Toulouse, que nous avions publiée en avril dernier sur notre site.
Votre publication a bien voulu se faire l’écho d’une lettre ouverte en date du 12 avril 2023 adressée au ministre en charge de la ville et du logement, Monsieur Olivier Klein, au sujet d’un quartier de Toulouse qui est cher à l’équipe municipale et métropolitaine que j’anime, le Mirail, et plus précisément du projet de transformation et de mise en valeur le concernant, actuellement en cours de réalisation dans le cadre d’un grand projet de ville (GPV).
Ce courrier, par ses excès et ses imprécisions, aurait pu me faire sourire, s’il ne prétendait pas négligemment à l’interruption brutale d’un travail de rénovation et de renouvellement urbains initié de très longue date, mobilisant des ressources financières conséquentes et une somme de compétences institutionnelles patiemment réunies, mené en concertation très étroite avec les premiers intéressés, c’est à dire les riverains et habitants du Mirail.
Pour mémoire, cette lettre a pour objet, je cite ses auteurs, « une demande urgente de moratoire sur les démolitions de 1 400 logements de l’équipe Candilis-Josic-Woods au Mirail à Toulouse et de lancement d’un concours d’architecture et d’urbanisme pour une requalification urbaine du quartier et une réhabilitation des immeubles d’habitation sans démolitions ».
Sur la forme, les rédacteurs de cette lettre ouverte ignorent ou feignent d’ignorer que depuis près de dix ans, notre projet avance en totale transparence et dans le respect des règles établies, en association avec l’ensemble des partenaires institutionnels, y compris bien entendu les professionnels de l’urbanisme, de l’architecture et du patrimoine. Au nom de quel principe républicain, la signature d’entités publiques et privées aussi représentatives que l’État, la Région, le Département, la Métropole, la Mairie, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), Action Logement, Toulouse Métropole Habitat, le Groupe des Chalets et le Patrimoine SA Languedocienne, parties prenantes du Contrat de ville qui portent ce projet serait gommée par une pétition élitaire ?
Et si des « collectifs des habitants du Mirail » figurent parmi les signataires de cette lettre, nous préciserons pour notre part que 83,3 % des personnes relogées dans le cadre des opérations de transformation du Mirail ont manifesté leur satisfaction. Qui peut en faire abstraction ?
Pourquoi une petite minorité dicterait-elle sa loi à une si forte majorité ?
Sur le fond, les exposants omettent de mentionner que notre projet préserve bien plus de logements Candilis qu’il n’en démantèle (1 746 contre 1 205, 15 immeubles sur 22 sont conservés et restaurés), et que cette évolution permettra, grâce aussi à de nouvelles constructions, de poursuivre l’objectif de mixité sociale que s’était fixé l’équipe menée par Georges Candilis au début des années 1960 et qui s’est hélas évanoui au fil du temps, comme dans la plupart des QPV de France. Souvenons-nous aussi que ce dernier regretta, à quelques décennies de là, un projet par trop « démesuré ». Et surtout, écoutons les attentes des riverains et habitants. Oui, l’architecture moderne est un témoignage émouvant et souvent esthétique d’une époque porteuse et inspirante. Mais oui aussi, massivité et uniformité architecturales sont aujourd’hui très largement rejetées.
Au-delà des enjeux de rénovation et de réhabilitation sur lesquels cette lettre semble s’arcbouter, prérequis auxquels notre projet répond évidemment en confortant la majeure partie du patrimoine bâti existant, nous avons veillé à ce que cette opération urbaine mette en valeur, plutôt que de le pétrifier, le Mirail de Candilis. Dit autrement, nous avons conservé nombre d’éléments saillants du projet initial, sans nous interdire, en effet, de nous adapter à la réalité des besoins, lesquels ont pu évoluer depuis 60 ans. Dois-je évoquer ici l’enjeu de la nature en ville et des mobilités douces ? Ou celui, non moins essentiel pour la qualité de vie des habitants, de la sécurité publique ? Ou plus prosaïquement encore, celui de la conception thermique, phonique et spatiale des logements ?
Face à l’offensive conservatrice et fixiste, nous plaidons pour un patrimoine vivant, plutôt que vitrifié. Nous voulons un quartier, à vivre, attractif au quotidien, et pas simplement pour le témoignage architectural qu’il représente. De fait, cette valorisation vivante du Mirail historique nécessitait de nouveaux aménagements et aménités, de nouveaux services et équipements, des espaces verts et publics repensés, une offre commerciale renouvelée, des logements diversifiés. Bonne nouvelle, « la véritable réflexion » que nos réclamants de la vingt-cinquième heure appellent ingénument de leurs vœux a bel et bien eu lieu. Du reste, qu’aurait valu un concours de requalification urbaine qui, comme y invite étrangement et bien tardivement cette harangue, posât comme postulat absolu l’interdiction de toute démolition ? Et à quoi alors se serait résumée la concertation ?
À l’heure où notre démocratie malade doit plus que jamais se mettre à l’écoute des citoyens, au nom de quel élitisme de doctes sachants, vivant loin du Mirail, effacerait 5 années de concertation citoyenne et supplanterait avec tant de mépris la volonté des habitants du quartier ?
La vision que nous nous faisons d’une opération telle que la revalorisation de ce quartier patrimonial mais en difficulté qu’est le Mirail est plurielle, de long terme, ancrée et pragmatique, nous l’assumons. Mieux encore, cette vision a déjà fait des preuves, comme l’illustre l’opération de renouvellement urbain que nous menons à bien à Empalot, un autre quartier populaire né dans les années 1960 à Toulouse où les habitants rencontraient des problèmes similaires à ceux du Mirail. Cette transformation urbaine, qui a occasionné elle aussi un certain nombre de démolitions et reconstructions, est aujourd’hui plébiscitée. Et il en est de même aux Izards, autre QPV toulousain.
Si « logique totalement dépassée et très largement critiquée » il y a, elle serait donc plutôt à chercher du côté de nos contradicteurs, qui proposent magnanimement dans leur libelle de soumettre le Mirail « à la créativité des architectes et des urbanistes de notre temps ». Cette formulation, il faut bien le dire, ne pêche pas par excès d’humilité, semble faire peu de cas de l’avis des Toulousains et, particulièrement au Mirail, procure une désagréable sensation de déjà-vu. Subsidiairement, je relève qu’aucun début de suggestion intelligible de transformation urbaine n’est avancé.
Pour conclure, je serais à titre personnel tout à fait favorable, et je pense que cette idée pourrait être largement partagée sur le terrain, à la création d’un dispositif d’exposition permanent qui retracerait et rendrait hommage à l’histoire moderne du Mirail, notamment dans ses volets urbain et architectural. En revanche, je laisserai toujours à d’autres les postures théoriques, absolutistes, dogmatiques, idéologiques et partisanes qui, soit dit en passant, ne contribuent ni au respect du fait majoritaire, ni au bon fonctionnement de nos institutions démocratiques, ni à la satisfaction des demandes concrètes exprimées par nos concitoyens.
Jean-Luc Moudenc
Maire de Toulouse
Président de Toulouse Métropole