Face à la diversité des parcours, professions et organisations, délimiter un groupe « ingénierie » à partir des caractéristiques de ses membres semble mener à l’impasse.
Regardons plutôt l’ingénierie au travail : que fait-elle très concrètement ?
Comment se déroulent, en pratique, ses activités quotidiennes ?
Des traits se précisent alors, entre technique et politique.
Observer ces professionnels au travail, pour définir l’ingénierie par sa pratique, tel est le parti pris choisi. La posture ethnographique adoptée consiste à se départir de tout préjugé dans la description (par exemple, sur la partition des rôles entre technique/ politique, élu/technicien/prestataires, etc.), pour prendre la mesure de la complexité des jeux d’acteurs. Il s’agit de regarder de quoi se compose le quotidien des professionnels, et les défis auxquels ils sont confrontés.
À cet effet, nous partons d’une enquête menée pendant quatre ans au sein d’une société d’ingénierie et de conseil de quelques centaines de salariés fournissant des prestations pluridisciplinaires, dans le champ de l’aménagement et l’environnement, pour le compte de collectivités territoriales. L’enquête a permis d’observer au jour le jour, le travail de ces professionnels : non seulement la conception en interne, mais aussi les différentes interactions avec les acteurs, au cours de missions variées.
À l’aune de l’observation, un air de famille se dégage de situations similaires, et le propre de l’ingénierie apparaît au travers de questions et méthodes communes, et ce, quels que soient les métiers ou secteurs impliqués (urbanisme, paysage, environnement, infrastructure, eau, énergie, etc.).
Des situations en « mode projet »
À quoi tiennent ces traits communs ? Tout d’abord à l’environnement des situations d’ingénierie privée. Elles impliquent toujours une intervention dans le cadre d’une « mission », unité comptable du travail, pour le compte d’un commanditaire, souvent appelé « client » ou, par tradition issue du monde du bâtiment et de la loi MOP, un « maître d’ouvrage ».
Ce dernier édicte un certain nombre d’objectifs, voire de spécifications ou instructions, consignés dans un « cahier des charges » qui encadre contractuellement la mission.
Le « client » n’apparaît jamais comme un acteur unique, mais se décompose entre différents interlocuteurs, les techniciens dans différents services ou directement les élus. Enfin, la variable maîtresse est celle du « temps » qui dicte les comportements : horizon limitant du projet, mais aussi paramètre de l’efficacité des missions et surtout de leur rentabilité. Ce que vend l’ingénierie privée, c’est avant tout du temps de cerveau disponible. Ce temps, irréductiblement linéaire, se découpe le plus souvent en phases, de l’état des lieux au diagnostic, jusqu’aux scénarios formant la partition de l’ingénierie.
Ainsi, l’environnement des situations d’ingénierie relève clairement d’une forme de coordination désormais incontournable : le « mode projet ». Bien décrits par Luc Boltanski et Ève Chiapello dans le monde du travail, ces derniers en font le fondement d’un « nouvel esprit du capitalisme » où la flexibilité et la mise en lien priment.
Tout ceci signale ainsi combien l’avènement du projet est désormais abouti en urbanisme, et fait partie intégrante d’une définition de l’ingénierie.
Nicolas Bataille, docteur en études urbaines
Lire la suite dans le numéro 422 d’urbanisme
Un dossier complet consacré à l’ingénierie territoriale et urbaine