Forever Young
Tel était l’hymne de la jeunesse des années 1980, chanté par Alphaville, groupe ainsi nommé en référence au film de Jean-Luc Godard, dans lequel – sur une planète lointaine – un agent secret doit détruire l’ordinateur qui régit une ville déshumanisée afin de « sauver ceux qui pleurent ». Cette jeunesse de 1985, embarquée dans la société de consommation de masse mondialisée, portée par les déferlements médiatiques et culturels (MTV), qui découvrait les McDo, bientôt prendrait les charters qui lui offriraient le monde, et qui plaçait un fol espoir dans « l’informatique ». La génération X, hypermatérialiste (Bret Easton Ellis) et cynique (« l’esprit » Canal +), avide et égoïste, a dégagé sans ménagement les idéaux des années 1970. C’est vrai dans tous les domaines, et particulièrement dans celui de l’urbanisme. Fini l’aménagement du territoire (avec le retrait de Jérôme Monod de la Datar en 1975), et finie la toute-puissance de la maîtrise d’ouvrage publique d’État. Finis les ateliers pluridisciplinaires, les bureaux d’études coopératifs et les Oream. [NDLR : Organisations régionales d’étude et d’aménagement d’aires métropolitaines (1965–1983) ]. Finie la pensée urbaine globale mise en œuvre par des « éclairés » de toutes chapelles (ingénieurs, architectes, universitaires…). Procès expéditif et sanction radicale d’une époque à laquelle on fait, très injustement, encore porter bien des responsabilités, principalement celle de la situation des banlieues au travers des grands ensembles. Comme si la crise pétrolière, la désindustrialisation, les politiques sociales des quarante dernières années n’étaient pas des causes très suffisantes pour expliquer les raisons d’un échec sociétal plus qu’urbain. La génération X, c’est l’avènement de la réalpolitik urbaine chez les élus jeunes loups de la décentralisation, la prise de pouvoir des magnats tout-puissants de la promotion immobilière et des « starchitectes ». C’est le cycle des grands projets urbains et du nappage périphérique, conçus hors-sol de la demande sociale et accompagnés d’études d’impacts de trente pages, résumé par le célèbre Fuck the context, de qui vous savez. Un cycle « planté » par les crises du nouveau millénaire, laissant les acteurs – la génération Y – sidérés et impuissants, sinon empêchés par l’introduction des absolues nécessités environnementales dans le droit européen et national. Les jeunes en 2022 – la génération Z – envisagent les territoires et les villes à une aune de modération responsable et de justice solidaire, et ils ne veulent pas accorder un solde de tout compte à ceux qui sont encore aux commandes, ils veulent leur faire rendre gorge. Les prémices d’un woke urbain ? Devenus des usagers éclairés (méfiants ?) du digital, ils réinvestissent certains champs au sens figuré comme propre – néoruraux décroissants revisitant certaines utopies – pour poser un dessein à partir du sol. Portés vers l’action, ils multiplient les initiatives qui bousculent ceux qui prennent peu à peu conscience de leurs manquements. Les X, pour leur avidité, et les Y, pour leur négligence.
Mais si ces derniers sont devenus ceux qui pleurent, alors qui viendra les sauver ? « Pourquoi ne restent-ils pas jeunes ? C’est si dur de vieillir sans cause », chantait Alphaville.
Julien Meyrignac