L’eau, commun exceptionnel

Aqua Mat(t)er

 

L’eau n’est pas qu’un élément.
Elle n’est pas qu’une res­source par­mi d’autres.
Elle n’est pas qu’une matière conjonc­tu­relle, qu’un objet de crise.
Les ima­gi­naires col­lec­tifs et les récits, les reli­gions et les sciences tou­jours nous le rap­pellent, sur tous les conti­nents et à tra­vers les âges : l’eau est la matière de toute chose vivante. Et par sa nature exis­ten­tielle, elle est duale : à la fois nour­ri­cière – source de tout épa­nouis­se­ment végé­tal, ani­mal et humain – et rageuse, dévastatrice.

Depuis tou­jours, les hommes s’emploient à la contraindre pour s’en pro­té­ger, à la contra­rier pour en tirer par­ti, jusqu’à la dila­pi­der par une sur­con­som­ma­tion négli­gente, la déna­tu­rer en la pol­luant. Fon­da­men­ta­le­ment conscients, sans aucun doute, de la gra­vi­té de leurs déci­sions et de leurs consé­quences, mais prêts à tout pour le « pro­grès », jus­ti­fiant sou­vent leurs cap­ta­tions par la néces­saire lutte contre l’eau « mau­vaise » : assai­nir, pour éra­di­quer la polio ; assé­cher, pour venir à bout du « palu » ; endi­guer, pour empê­cher les crues, et tant mieux si cela favo­rise l’irrigation.

Mais, en cette aube mil­lé­naire, le cumul des effets délé­tères de la sur­ac­ti­vi­té humaine dans un monde glo­ba­li­sé – chan­ge­ment cli­ma­tique, choc démo­gra­phique, perte de conscience du vivant et mar­chan­di­sa­tion de toute chose (…) –, les popu­la­tions de l’hémisphère nord sont enga­gées sur un che­min de Damas. Face aux pénu­ries, le stress issu de la raré­fac­tion de la res­source n’est plus une pro­blé­ma­tique loin­taine de pays en voie de déve­lop­pe­ment, au Sahel ou ailleurs. Leurs croyances (illu­sions ?) sont en train de s’effondrer, et il leur faut – de toute urgence – chan­ger de pos­tures à tous les niveaux de com­pé­tences et de responsabilités.

Chan­ger des lois héri­tées d’époques révo­lues qui pri­vi­lé­gient les ques­tions sani­taires et éco­no­miques à celles des valeurs et consis­tances des res­sources. Chan­ger les modèles de gou­ver­nance qui les ont accom­pa­gnées (délé­ga­tions de ser­vice public). Chan­ger les par­tis de concep­tion urbaine, pay­sa­gère et archi­tec­tu­rale pour s’éloigner de l’accessoire – les trames bleues, les noues, les toits-ter­rasses, etc. – et se concen­trer sur le prin­ci­pal : garan­tir à toutes les popu­la­tions un accès res­pon­sable à la res­source. Et à ce titre, faire preuve d’imagination, pour ne pas ver­ser dans des équi­libres bud­gé­taires dis­cu­tables sur le plan social (coût indexé sur la consom­ma­tion). Cela demande, aus­si, de recon­si­dé­rer cer­taines options tech­no-éco­no­miques, telle la désa­li­ni­sa­tion de l’eau de mer, déjà mas­si­ve­ment mise en œuvre à nos portes (Cata­logne), mais au coût éner­gé­tique – donc cli­ma­tique – qui peut être jugé exorbitant.

Pour par­ve­nir à faire face à cette grande cause natio­nale, ce qui implique de s’extraire des pres­sions des lob­bys et autres inté­rêts régio­naux ou caté­go­riels, un grand débat semble abso­lu­ment néces­saire. Mais cette for­mule a‑t-elle encore une chance d’accoucher d’un pro­jet de société ?
Paul Clau­del a écrit : « Toute eau nous est dési­rable ; et, certes, plus que la mer vierge et bleue, celle-ci fait appel à ce qu’il y a en nous entre la chair et l’âme, notre eau humaine char­gée de ver­tu et d’esprit, le brû­lant sang obs­cur*. » L’eau est un élé­ment méta­phy­sique et pas­sion­nel, qui se révèle quand elle vient à man­quer ou excé­der (osons le dire : comme l’amour).
Il n’est pas facile, mais abso­lu­ment néces­saire, de prendre aujourd’hui les déci­sions afin qu’elle nous main­tienne et non nous emporte.

Julien Mey­ri­gnac

*Paul Clau­del, Connais­sance de l’Est, p. 105, dans L’Eau et les Rêves, Gas­ton Bache­lard, Librai­rie José Cor­ti, 1942.

 

 

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