Rebrousser chemin
Selon la Genèse, le Créateur a puni Adam et Ève pour avoir goûté le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, en les renvoyant du jardin d’Éden et en leur imposant de cultiver la terre pour subsister. Leur fils Caïn, attelé à cette tâche, fut condamné pour avoir tué son frère (et souillé la terre de son sang) à ne plus pouvoir la cultiver, car son crime l’avait rendu infertile, et à devenir un vagabond. Un destin que Caïn refusa en créant la première ville qu’il nomma du nom de son fils Hénoch.
La tradition judéo-chrétienne a inscrit culturellement les sols comme ressources et objets de malédiction, mais aussi facteur déterminant des regroupements humains, ce que semble confirmer – dans les grandes largeurs – l’archéologie : les premières villes ont été érigées dans des régions de sols fertiles, où l’activité agricole s’est développée au point de passer d’une économie de subsistance à une économie de production au service d’activités de commerce.
Les premières conquêtes de territoires avaient pour objectif de découvrir et accaparer des sols pour tirer le fruit de leurs ressources nourricières ou minières ; ainsi, les comptoirs phéniciens étaient-ils toujours établis à proximité de gisements de cuivre et de fer.
Les grandes découvertes et colonisations du XVe siècle n’ont pas répondu à une autre logique, mais elles ont nourri et structuré la mondialisation du commerce et son puissant cortège d’enjeux de richesse et de puissance. Les territoires, les sols, les écosystèmes et même les populations ont été alors réifiés (génocides et esclavage, mais aussi extermination d’espèces et déforestation, pollution, etc.), pour ne plus servir que des intérêts devenus colossaux. Ainsi a disparu le vivant visible et invisible.
Les révolutions industrielles et agricoles, concomitantes au XVIIIe et XIXe siècles, ont achevé de construire la conception « utilitariste » des sols, toujours dépendants des actions nécessaires du « génie » humain, et notamment de l’industrie chimique pour lutter contre les nuisibles ou augmenter les rendements. Tandis que les activités d’extraction, particulièrement des ressources énergétiques, engageaient l’humanité dans son histoire économique et diplomatique (entendre guerrière) contemporaine et dans l’anthropocène.
Depuis le début du XXe siècle, le monde connaît le temps des villes, et l’urbanisation prométhéenne consomme et consume les sols pour les artificialiser sans attention pour leurs qualités et fonctions nourricières et écosystémiques. Exposant l’humanité aux conséquences désormais bien connues.
Les crises climatiques et écologiques nous imposent de bifurquer sans délai pour construire de nouvelles modalités d’être à (et non sur) la planète. La pierre angulaire de cette bifurcation est, de toute évidence, le sol dans toutes ses dimensions fondamentales et essentielles à la vie sur terre. Mais changer nos conceptions des sols nous impose de rebrousser le chemin de l’histoire pour en faire une relecture critique sérieuse, qui prendra la forme d’un examen de conscience. Depuis nos sociétés contemporaines obsédées par le gain jusqu’à nos éventuels péchés originels.
Julien Meyrignac
(Photo de couverture : Couches de sol et de roches. © Noppharat9889/Shutterstock)
Pour acheter le numéro en version papier ou en version numérique