À New York et à Paris, face à l’explosion du e‑commerce, comment concilier les derniers kilomètres du livreur avec la remise rapide de la livraison ?
La généralisation de l’achat en ligne et des nouvelles pratiques de consommation associées conduisent à une multiplication des livraisons. C’est dans le cœur des grandes métropoles, comme Paris et New York (NYC), que les livraisons sont les plus intenses du fait des fortes densités de population et d’activités économiques. Ainsi, on estime qu’à Paris, plus de 200 000 livraisons d’achat en ligne à destination des particuliers ont lieu chaque jour et elles seraient près d’un million à New York.
Les acteurs de la logistique doivent répondre aux besoins et attentes d’e‑consommateurs toujours plus exigeants. Les modalités de la réalisation de la livraison peuvent conditionner, au-delà du produit lui-même, leur degré de satisfaction. Des conditions de livraison perçues négativement (délais trop longs, frais trop élevés, contraintes horaires) peuvent représenter autant de facteurs pouvant pousser l’e‑consommateur à renoncer à l’acte d’achat ou envisager une offre concurrente. Aussi, les acteurs du secteur développent diverses stratégies pour satisfaire au mieux les e‑consommateurs pour qui seule la réception de la commande a de la valeur, tout en minimisant leurs coûts de livraison.
Les résultats d’une grande enquête statistique, menée par 6t-bureau de recherche sur les pratiques d’achat en ligne et modes de livraison des Parisiens et New-Yorkais, nous permettent de proposer une lecture des dynamiques à l’œuvre et de mieux saisir dans quelle mesure l’organisation du système logistique urbain influence les choix des e‑consommateurs en matière de mode de récupération de leurs achats.
Les résultats de l’enquête fournissent de nouvelles données sur les modalités de livraison des Parisiens et New-Yorkais. La livraison à domicile en main propre est le mode le plus couramment expérimenté au sein des deux métropoles : plus du quart des Parisiens et New-Yorkais y ont eu recours lors de leur dernière commande en ligne.
Si ce mode privilégié par tous permet de recevoir rapidement son colis, sans intermédiaire entre le livreur et l’acheteur, il reste contraignant, car il nécessite une coordination spécifique dans l’espace et dans le temps entre ces deux acteurs. Les innovations récentes autour des outils numériques et, notamment, le suivi GPS des colis permettent d’assurer la traçabilité des colis et visent à limiter les risques d’échec de livraison, ce qui n’est pas toujours possible. Aussi, de nombreuses alternatives à la livraison à domicile en main propre se développent autour de services (points relais, conciergeries spécialisées, récupération en magasin), de pratiques (livraison sur le lieu de travail) ou de nouveaux dispositifs technologiques (consignes automatiques).
Chacune de ces modalités repose sur une étape intermédiaire entre la livraison du dernier kilomètre et la réception du colis par le client final : l’étape des « derniers mètres ».
POINTS RELAIS VS. DOORMEN À NEW YORK
La récupération de colis en point relais (magasins, boutiques, entrepôts d’enseignes), qui se pose en intermédiaire entre l’acheteur et le livreur, conduit à confier à l’e‑consommateur la prise en charge des « derniers mètres ». Un cinquième des Parisiens (21 %) a choisi le point relais pour récupérer son dernier achat contre moins de 1 % des New-Yorkais. À cela s’ajoute la récupération à la Poste (5 %) et dans les magasins d’enseigne (4 %). En France, les points relais n’ont eu de cesse de se multiplier depuis les années 1980 et ils sont désormais solidement ancrés dans le paysage parisien. Leur maillage très dense observé à Paris – environ 650 points relais recensés dans la capitale par l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) – permet une desserte fine de l’ensemble de la population parisienne. La proximité du point relais au domicile et les amplitudes horaires proposées semblent être des facteurs déterminants pour privilégier ce moyen. Ce mode de livraison présente plusieurs avantages par rapport à la livraison à domicile : un avantage financier (frais de livraison souvent inclus pour le client) et un avantage en termes de flexibilité (on récupère son colis où on veut et « presque » quand on veut). Ce qui se joue ici pour les acteurs du commerce et de la logistique, c’est bien d’optimiser l’accessibilité de l’offre en la rapprochant spatialement des espaces de la demande.
Maillage des points relais à Paris
En revanche, les New-Yorkais, qui ne bénéficient pas d’un réseau de points relais aussi dense, sont deux fois plus nombreux que les Parisiens à avoir réceptionné leur dernier achat via leur concierge (doorman). Une étude réalisée à ce sujet en 2016 montrait que le service de conciergerie d’un grand immeuble résidentiel (800 résidents) de la banlieue de New York pouvait recevoir jusqu’à 24 000 colis par an, soit 454 livraisons par semaine ou 65 par jour. Le doorman apparaît de plus en plus comme un intermédiaire à part entière de la chaîne logistique.
SE DÉPLACER À PARIS, PAYER À NEW YORK
Au-delà des formes existantes de récupération des colis, l’offre logistique s’enrichit de services de livraison de plus en plus rapides réduisant grandement le temps d’attente entre l’achat et la réception des marchandises. La livraison ou récupération rapide (dans la journée même de la commande), voire « instantanée » lorsqu’elle a lieu en moins de deux heures, répond à cette demande du e‑consommateur. Un quart des Parisiens et un peu plus d’un tiers des New-Yorkais ont déjà eu recours à cette pratique. Par ailleurs, 14 % des New-Yorkais et 9 % des Parisiens ont recours à la livraison ou à la récupération en moins de deux heures de leurs achats en ligne. Dans ce contexte, les Parisiens se démarquent en ayant plus souvent recours au retrait en point relais alors que les New-Yorkais préfèrent la livraison à domicile instantanée. Les motivations du recours à la livraison rapide permettent de distinguer deux profils. Les Parisiens apparaissent comme des e‑consommateurs prêts à se déplacer pour récupérer rapidement leurs commandes dans un point relais (grâce à l’importance du réseau), en magasin ou dans des consignes (28 % des Parisiens contre 16 % des New-Yorkais). Les New-Yorkais sont quant à eux des e‑consommateurs prêts à payer plus cher pour se faire livrer rapidement et ne pas avoir à se déplacer en magasin (36 % des New-Yorkais contre 23 % des Parisiens).
Des différences culturelles pourraient expliquer ces différences de comportement : les Américains ont plus souvent l’habitude d’un prix annoncé hors taxes et autres frais supplémentaires alors que les Français formulent leurs décisions d’achat le plus souvent à partir de prix final TTC et sont alors plus réticents à ajouter des options payantes de livraison. Ainsi, la préférence pour la rapidité dans la récupération des achats en ligne apparaît commune aux e‑consommateurs des deux villes étudiées, mais elle se traduit en choix de modes de récupération différents, ceux-ci étant fortement conditionnés par le contexte territorial et l’organisation du système logistique local.
VERS UNE CONSIGNE AUTOMATIQUE À DOMICILE ?
La réduction attendue du délai de livraison rendra d’autant plus cruciale l’organisation de la livraison des « derniers mètres ». En France se pose en arrière-plan la question de l’avenir du point relais : va-t-on assister à une mutation profonde des points relais ou à leur disparition dans ce contexte de livraison instantanée ?
On peut imaginer que l’augmentation attendue des volumes de livraison pourrait modifier radicalement les stratégies des commerçants offrant des services de récupération de colis dans le sens d’une spécialisation. Cette activité d’intermédiation pourrait devenir leur activité principale. Cependant, la tendance – déjà observable – à l’extension des horaires de livraison à domicile (jusqu’à 23 heures parfois) peut rendre de moins en moins pertinent le recours au point relais et conduire à leur disparition progressive. En parallèle, la consigne automatique, souvent présentée comme l’avenir de la logistique urbaine, est encore un mode de récupération de niche qui peine à convaincre.
Cette alternative connaît de nombreuses limites (sécurité des colis, adaptation des casiers aux différents volumes des colis, empreinte spatiale) qui posent la question de son adéquation avec les exigences des e‑consommateurs.
En revanche, l’automatisation des points de retrait peut trouver sa place au sein des résidences en réponse à l’augmentation des volumes de livraison auxquels font face les doormen. Il n’est plus rare à New York de voir se développer des package centers dans les espaces collectifs des résidences new-yorkaises, permettant une livraison à domicile sans intervention de ces derniers via des consignes automatiques. Ces nouveaux dispositifs permettent à la fois de répondre à l’augmentation des volumes de colis à réceptionner, de s’affranchir des contraintes temporelles de la livraison en main propre et de se rapprocher au plus près du domicile de l’e‑consommateur. Pour autant, ces dispositifs ne sont pas directement transposables à tous les contextes territoriaux. Leur déploiement est conditionné par les capacités d’accueil des immeubles, en particulier des espaces collectifs. Paris diffère grandement de New York sur ce point : l’intégration dans les parties communes d’espaces dédiés aux services de conciergerie y est actuellement moins répandue. Cependant, ne peut-on pas imaginer que les réflexions sur l’intégration de ces consignes automatiques à domicile rejoignent bientôt celles sur le devenir des parkings d’immeubles parisiens qui se désemplissent à mesure que leurs habitants se démotorisent ?
Par Alia Verloes, cheffe de projet, François Adoue, chef de projet, Alina Bekka, chargée d’études,et Nicolas Louvet, directeur et fondateur (6t-bureau de recherche)
Photo : © François Lafite/Divergence