Nos vies à loger
Nous avons toutes et tous un rapport au logement — en général, et au notre en particulier — intime et puissant, ancré dans notre histoire, dans nos expériences à travers les époques et les lieux de nos vies. Il y a cette chambre d’enfant, toute à soi ou partagée, qui est un premier territoire dans un appartement où une maison qui est un monde dans le monde. Il y a les déménagements familiaux, le plus souvent pour vivre mieux selon la conception des parents, et l’expérience d’un nouveau lieu en même temps que d’une nouvelle vie. Puis le premier « chez-soi », si inconfortable et pourtant formidable. Et le premier « chez nous » du couple, dans lequel il faut inventer de nouveaux codes et qu’il faut quitter au gré des changements d’emplois ; adapter ou quitter lorsqu’un enfant naît.
Il y a ce logement qu’on achète l’esprit joyeux et le regard fier, la boule au ventre aussi ; et que l’on revend parce les histoires d’amour durent souvent moins longtemps que les crédits. Le repli piteux dans un logement parfois de moindre qualité, provisoirement parce que nous sommes une famille recomposée maintenant. Et que nous avons encore une fois déménagé. A peine le temps de nous installer, que les enfants ont déjà décohabité, et ce logement se révèle bien grand… pas tout le temps, parce que parfois ou souvent la tribu s’y retrouve. Mais un jour il faut bien se résoudre à en changer encore, parce qu’on est âgé désormais, et parfois — hélas — tout seul à nouveau. Jusqu’à retrouver une chambre, qui est un monde dans le monde, dans une maison de retraite cette fois.
Quand on évoque le logement, c’est de nos vies dont il est question.
Et c’est probablement pour cela que nous faisons preuve d’une incroyable indulgence à l’égard de celui que nous occupons : car si les chiffres du mal-logement sont sans appel, si les études qualitatives ne manquent pas de mettre en évidence ses lacunes (manque d’espace, de confort, de sobriété…), nous sommes près de trois sur quatre à nous déclarer satisfait par notre lieu de vie.
Si nous sommes enfermés dans des schémas archétypiques (la maison individuelle, être propriétaire etc) c’est aussi parce qu’il semble être le dernier « refuge » sociétal, que rien plus que le logement ne paraît pouvoir mieux nous ancrer dans le réel et le temps. L’épreuve des confinements a été, de ce point de vue, parfaitement édifiante : plutôt que de révéler les lacunes de nos logements, il a mis à jour les dysfonctionnements et fragilités de nos grandes villes et les revers inégalitaires de nos sociétés.
Si le logement est de toute évidence la pierre angulaire des réponses aux défis environnementaux, et un matériau potentiellement grand ouvert à l’innovation, il ne sera en mesure de tenir ces promesses qu’à la condition de demeurer ce qu’il représente fondamentalement pour chacune et chacun : un abri existentiel.
Julien Meyrignac