Prospective, au défi des utopies et du réel

Beaucoup de bruit (mais pas) pour rien

 

Au retour d’une pause hiémale dont le prin­ci­pal bénéfice fut, sans aucun doute, la déconnexion numérique, sau­tant dans le grand bain médiatique (presse x chaînes d’information x réseaux sociaux), j’ai manqué périr tout à la fois noyé et démembré par le tsu­na­mi glauque des points de vue. Car il n’y a plus d’information désormais, il n’y a que des avis. Si le succès des réseaux sociaux tient depuis l’origine à la pos­si­bi­lité offerte à tout un cha­cun d’être un com­men­ta­teur (contemp­teur) de tout sujet aus­si sophis­tiqué ou tri­vial soit-il, si cela fait long­temps déjà que la télévision et la radio sont les empires des chro­ni­queurs, nous ne pou­vons que consta­ter qu’une presse quo­ti­dienne, en se réduisant elle-même au rôle de relais des­dites opi­nions qu’elle cap­ture, engraisse et libère dans ses pages, a renoncé à l’information. Tout du moins au sens que lui don­naient ses pères contem­po­rains, par­mi les­quels Hubert Beuve-Méry.

Cela fait long­temps que la pru­dence nous enjoint de vérifier ce qui est avancé, et nous avons pris l’habitude de vérifier qui parle. Mais il est de plus en plus dif­fi­cile de le savoir, dans la mesure où l’erreur d’analyse (inten­tion­nelle ou non) de quelqu’un n’ayant d’autre moti­va­tion que d’affermir sa pos­ture est désormais reprise en canon dans tous les canaux médiatiques. Exemples les plus connus : l’artificialisation des sols qui représenterait la sur­face d’un département français toutes les x années selon les sources et Paris qui serait la ville la plus dense du monde.

Dans le déferlement des avis, les voix des sachants (académiques ou pro­fes­sion­nels experts) sont cou­vertes par le bruit assour­dis­sant des appren­tis-sor­ciers, des grandes gueules et autres col­por­teurs en plein exer­cice de pla­ce­ment de pro­duits, qu’il s’agisse d’eux-mêmes ou d’une offre « étagère » miracle.

Mais il y a plus grave : la dif­fu­sion de la parole et des actes mili­tants non pas pour ce qu’ils sont – le plus sou­vent fondés, sinon nécessaires –, mais pour « l’objectivité » des enjeux aux­quels ils s’attachent et la « nécessité » des actions qu’ils conduisent. Jusqu’à l’étourdissement, au mirage d’une jus­tice citoyenne qui n’est pas sans rap­pe­ler de bien mau­vais sou­ve­nirs his­to­riques. Ain­si, quand un grand quo­ti­dien natio­nal sou­tient taci­te­ment les « dégonfleuses » de SUV au nom de la lutte cli­ma­tique, on ne peut s’empêcher de se deman­der quel regard il porte à cet égard sur le développement mas­sif du chauf­fage au bois par les ménages les plus fra­giles. Et sur­tout de se dire : qu’est-ce qui vient après le dégonflage ?

Du bruit, encore du bruit, tou­jours du bruit.
Le grand espace digi­tal, cette pro­messe de connais­sance uni­ver­selle et d’augmentation de l’humanité est une nou­velle tour de Babel, un endroit où règnent le bruit, la confu­sion et où les gens ne se com­prennent pas. Dans les anciennes langues sémitiques, Bāb‑Ilum désigne « la porte des dieux », mais, dans la Bible, la racine BLBL signi­fie « bre­douiller », « confondre » ; on la retrouve dans le verbe babiller qui veut dire « par­ler beau­coup », d’une manière enfantine.

Pas bien grave donc ? Si, car les approxi­ma­tions et les fake facts com­posent un maelström de biais dans lequel nous – humains – pio­chons allègrement, sans précaution ; mais pas aus­si bien que ChatGPT qui achèvera d’en faire, au gré des volumes de reprises qui fondent ses sta­tis­tiques, des vérités. Dans l’Ancien Tes­ta­ment, la tour de Babel est abandonnée par les hommes éreintés : ne serait-ce pas la plus grande uto­pie contemporaine ?

Julien Mey­ri­gnac 

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Depuis 1932, Urba­nisme est le creu­set d’une réflexion per­ma­nente et de dis­cus­sions fécondes sur les enjeux sociaux, cultu­rels, ter­ri­to­riaux de la pro­duc­tion urbaine. La revue a tra­ver­sé les époques en réaf­fir­mant constam­ment l’originalité de sa ligne édi­to­riale et la qua­li­té de ses conte­nus, par le dia­logue entre cher­cheurs, opé­ra­teurs et déci­deurs, avec des regards pluriels.


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