La smart city est partout, en tout cas dans tous les discours. La seule question qui vaille est celle de sa gouvernance. D’aucuns agitent déjà le spectre d’un urbanisme directement piloté par Alphabet, la holding de Google et l’ubérisation menace désormais tous les services urbains de nos villes.
La ville intelligente repose d’abord sur des données et leur exploitation. Ce n’est pas un hasard si le think tank d’EDF « Énergie et Territoires » a consacré son cycle 2016–2017 au sujet du Big Data et de l’énergie. Lors d’une restitution de la synthèse de ses travaux, Philippe Labro, son secrétaire général, n’a pas caché que trois métropoles régionales en pointe sur le sujet (Lyon, Rennes et Toulouse) commençaient à « dealer » avec les GAFA, notamment autour de la fourniture de leurs données. Enjeu considérable qui relève « de l’optimisation fonctionnelle de la ville gouvernée » dans la remarquable synthèse proposée par François Ménard en ouverture de notre dossier. Le Plan urbanisme construction architecture (PUCA) a d’ailleurs relancé en 2017 un séminaire « Ville intelligente » en association avec le LATTS pour poser des questions plus « politiques », notamment celles liées à la régulation et à la gouvernance. Différentes contributions de ce dossier (celles d’Antoine Courmont, de Nicolas Rio, Isabelle Baraud-Serfaty et Clément Fourchy, de Jean Daniélou et Christopher Billey) donnent un aperçu des réflexions en cours.
Mais une grande partie de notre dossier est tournée vers les pays du Sud, notamment grâce à une vaste étude comparative menée à l’initiative de l’ONG Urbanistes du Monde en 2016. Six enquêtes nous mènent à Casablanca, Douala, Hanoi, Le Cap, Medellín et Rio. Comme l’écrivent dans leur introduction Hind Khedira et Jérémie Molho, « la révolution numérique implique de nouvelles formes de participation, de circulation de savoirs et de pratiques entre villes. Ces citoyens connectés, ces villes connectées redéfinissent les modalités de l’élaboration des politiques urbaines ». Malgré des contextes contraignants, tant en termes socio-économiques que politiques, des habitants-citoyens se saisissent de la révolution numérique pour affirmer leurs aspirations à une ville plus inclusive et plus durable. C’est d’une certaine façon l’orientation de l’Agence française de développement (AFD) qui cherche à aider les pouvoirs locaux des pays du Sud à renforcer leurs capacités pour affronter les défis du numérique. Pierre-Arnaud Barthel et Gautier Kolher explicitent la démarche de l’AFD en s’appuyant notamment sur l’exemple de l’Inde.
Les villes des pays de Sud peuvent être tentées de voir dans la smart city la solution magique pour rattraper leurs retards, soulignait Marcel Belliot en février 2015. Mais, à lire certaines plaquettes de nos villes et métropoles, on mesure que l’illusion est aussi partagée « au Nord». Pour savoir qui gouverne la smart city, il faut d’abord la penser. C’est l’ambition de ce dossier que d’y contribuer.
Photo : ©Docside/Rare Media