Dominique Bussereau : « L’ingénierie est attendue sur la performance globale des projets »
Ancien ministre, Dominique Bussereau s’est également beaucoup investi dans la vie politique locale. Député, conseiller général, puis conseiller départemental, président du département de la Charente-Maritime, maire de Saint-Georges-de-Didonne, il a présidé l’Assemblée des départements de France jusqu’en juillet 2021. Entretien.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la place du politique dans les processus d’aménagement territorial et urbain ?
Il y a eu incontestablement une rupture à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Avant la crise pétrolière, il y avait en France de nombreux maires de tous bords, visionnaires et volontaires, qui ont profondément transformé leurs villes, comme Hubert Dubedout à Grenoble ou Jean Royer à Tours, en s’appuyant sur la haute technicité des grands fonctionnaires du ministère de l’Équipement. Après la crise, et avec la décentralisation, deux mécanismes puissants sont venus contraindre la capacité à conceptualiser et à agir des maires.
D’une part, la réduction progressive, mais majeure, des moyens déconcentrés de l’État qui progressivement n’ont plus été en mesure de soutenir les initiatives locales, d’abord sur le champ de la technicité, puis – plus récemment – sur le champ procédural et administratif, ce qui est presque un comble. Et d’autre part, la montée en puissance de l’intercommunalité et les transferts de compétence aux agglomérations, qui ont bouleversé les cadres d’initiatives et tempéré certaines ardeurs communales ; à cette échelle, il faut bien le reconnaître, les projets sont nécessairement plus consensuels et moins incarnés.
Vous pensez que – presque paradoxalement – la mise en œuvre de la décentralisation a réduit les capacités d’initiatives locales ?
Ce n’est pas si simple, mais provisoirement oui. Car il y a eu un nécessaire temps d’adaptation, celui de la montée en puissance des moyens des collectivités locales, qui a compensé la baisse des moyens déconcentrés de l’État. Pendant que toutes les communes et intercommunalités s’organisaient, avec les départements et les régions comme partenaires et cofinanceurs dans leurs domaines (équipements), l’État a arrêté de planifier et mettre en œuvre le développement territorial et urbain. Il n’y a plus eu – assez soudainement au fond – d’imagination nationale mise à disposition des projets locaux. D’autant que l’État s’est replié sur les normes et le contrôle de légalité, passant dans les faits, et encore plus dans l’imaginaire local, du statut de partenaire du développement local, de ressource « facilitante », aux moyens et compétences techniques élevées, à celui d’empêcheur de tourner en rond.
Pour faire face, les structures techniques des intercommunalités se sont fantastiquement structurées ou renforcées en conséquence, rapidement et qualitativement. Elles ont réussi à recruter des ingénieurs de grandes écoles, ce que ne parvenait plus à faire l’État – les ingénieurs des Ponts et Chaussées, par exemple, optaient pour leur grande majorité pour le privé, le BTP, la promotion ou la finance – de telle sorte qu’on peut considérer qu’il y a eu un transfert de l’intelligence technique depuis l’État vers les collectivités. Ce transfert a pris du temps, et pendant ce temps, les collectivités ont pour certaines un peu perdu l’esprit d’initiative.
Photo : Dominique Bussereau © Département de la Charente-Maritime
Découvrez l’intégralité de l’interview dans le numéro 422
« Ingénierie territoriale et urbaine, la grande introspection »