Ce dossier sur les « territoires oubliés » ne manquera pas de susciter des débats vigoureux comme il y en a eu au sein du Club Ville Aménagement, porteur de la réflexion sur ces territoires ainsi désignés. Je m’en réjouis par avance, car c’est bien la vocation d’Urbanisme d’être un lieu d’échanges de points de vue contrastés, de ménager une place à la controverse dans un domaine devenu – de l’avis général – très consensuel.
Il faut dire qu’en première analyse, l’adjectif « oublié » heurte, tant il évoque un regard germanopratin sur la France dite « d’en bas », un brin condescendant à l’image de ce maire de Paris en campagne présidentielle qui ponctuait chaque arrêt dans une ferme d’un : « C’est loin, mais c’est beau. »
C’est pourtant à partir de ce « loin » que le concept se laisse apprivoiser.
Car si ces territoires sont loin en distance, loin des métropoles, loin des grands axes, ils sont surtout loin dans les mémoires, comme s’il fallait y revenir pour se souvenir de leurs nombreux atours.
Pour les habitants de ces territoires, car c’est bien d’eux dont il est question, être loin en distance n’a jamais été, au fond, un handicap structurel. Notez à ce sujet que le bon adjectif applicable à la perte de lien du fait de l’éloignement est « perdu », et non « oublié » ; et il n’y a pas de territoire perdu en France, en tout cas selon cette définition, qu’il convient de ne pas confondre avec l’autre (qui veut dire « condamné »), injustement appliqué aux banlieues dans un ouvrage polémique.
Mais si ces habitants ne se sentent presque jamais perdus ou enclavés, ils se considèrent parfois injustement incompris et négligés. Eux, les dépositaires d’une forme de mémoire, ou – osons le terme – d’identité structurante, ont l’impression d’avoir été exclus du récit national à mesure que leurs modes de vie, leurs régionalismes, leurs accents, considérés comme symptomatiques de la France du passé – vaincue, réactionnaire –, étaient ringardisés.
Pendant des années ne semblaient parvenir de la France de l’intérieur, dite profonde, que des images surannées, impressions mélancoliques et personnages spectraux, comme dans les livres de Patrick Modiano, et tout particulièrement Du plus loin de l’oubli (1995).
Pourtant, jamais résignés localement et toujours soutenus par l’État et par l’Europe, ces territoires suscitent depuis un certain nombre d’années un nouvel intérêt auprès des masses métropolitaines qui viennent abonder ou stimuler les initiatives locales.
À la recherche d’authenticité, d’ancrage, au bénéfice d’intentions et circonstances diverses, les urbains les ont (re)découverts avant de les (ré)investir en un mouvement pionnier qui apparaît aujourd’hui riche de promesses.
Des images plus nettes, colorées, parviennent désormais de ces territoires, qui paraissent soudain moins éloignés, plus proches, plus contemporains, réintégrant l’imaginaire collectif dont ils vont jusqu’à parfois constituer un horizon idéalisé, celui de terres de projets.
Ces signaux pas si faibles peuvent-ils intégrer l’économie de l’aménagement ? Comment l’évolution des politiques publiques pourrait-elle amplifier le phénomène ?
À ces deux questions fondamentales, et à bien d’autres, ce dossier propose des réponses.
Photo Thizy Les Bourgs © Communauté de l’Ouest rhodanien
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