Raymond Depardon
À l’occasion de la sortie du livre Communes et des 10 ans du film Journal de France, le photographe et réalisateur Raymond Depardon revient sur sa longue et opiniâtre exploration des territoires français.
C’est dans un pavillon de la banlieue sud de Paris, qui abrite sa société de production, que nous reçoit Raymond Depardon, légende française de la photographie et du documentaire.
Dans un atelier tapissé d’archives de ses reportages réalisés dans le monde entier depuis un demi-siècle, l’artiste répond à nos questions aux côtés de Claudine Nougaret, productrice et coréalisatrice de Journal de France, et de leur fils Charles-Antoine Depardon, aujourd’hui urbaniste pour la ville de Paris, la pomme ne tombant jamais loin de l’arbre…
Votre film Journal de France, coréalisé avec Claudine Nougaret, a 10 ans. Vous étiez à l’époque partis en camping-car sillonner les routes de France et prendre en photo des petites villes.
Qu’espériez-vous rapporter de ce voyage ?
Raymond Depardon : Le voyage dans Journal de France est inspiré d’un projet que j’avais proposé à la Délégation aux arts plastiques (DAP) sur un coup de bluff : une « mission France » qui consistait à photographier le pays, ses boutiques, ses centres-villes, car je trouvais que tout était en train de se transformer très vite. Par exemple, je viens d’une région où il y avait beaucoup de cafés ; la route nationale de Villefranche-sur-Saône en comptait une cinquantaine dans les années 1950. Et la dernière fois que j’y étais retourné, il n’y en avait plus qu’une vingtaine… De plus, cette « mission France » faisait écho à un travail que j’avais terminé avec Claudine Nougaret : Profils paysans [série documentaire en trois volets réalisés entre 2001 et 2008, NDLR]. J’avais à cette occasion traversé des petits villages et des centres-villes, cherchant des hôtels et des restaurants en attendant de prendre rendez-vous avec des agriculteurs. Inconsciemment, je m’étais dit qu’il fallait y revenir pour photographier non plus les paysans, mais ces petites villes. Et pour cela, proposer un seul regard, car, ayant fondé l’agence Gamma et travaillé en collectif, je savais que ce genre de projet était mené d’ordinaire par des groupes de photographes, ce qui est une vraie tarte à la crème esthétisante ; au final, on ne reconnaît plus l’Est du Sud et le littoral de l’intérieur des terres.
Je ne connaissais pas bien la France et j’ai découvert avec ce voyage certaines régions, dont deux m’ont paru très proches l’une de l’autre, comme un binôme : le Nord-Est et le Sud-Ouest. Je ne m’attendais pas à trouver des contextes aussi semblables, parallèles, communs : une même tristesse, une même désespérance. À l’époque, je me souviens avoir dit à un ami journaliste : « Ça va très mal, la France va mal ! », il m’a répondu de manière péremptoire : « Mais non, on le saurait. » J’ai alors constaté quelque chose de profondément sérieux, en même temps que le fait que cela ne préoccupait personne ! On était sous le gouvernement Jospin, vu de Paris tout allait bien et on sentait que les problématiques de ces territoires n’étaient pas du tout un sujet de préoccupation.
Claudine Nougaret : En 2004, Raymond a décidé d’acheter une fourgonnette aménagée pour faire le tour de France avec une aide de la DAP. Finalement, cette « mission France », qu’il s’était mis en tête de faire tout seul, lui a pris quatre ans, et je voulais en laisser une trace. C’est cela que je voulais restituer dans le film Journal de France. Et c’est justice, car on ne regarde plus les petites villes de la même façon quand on a vu les photos de Raymond. C’est même devenu un style, une marque.
Par Julien Meyrignac et Rodolphe Casso
Autoportrait Raymond Depardon – Magnum Photos