Saskia Cousin : « Le tourisme, comme industrie, comme récit et comme pratique est une crise en soi. »

Saskia COUSIN, AnthropologueUniversité PARIS DESCARTES 6ieme

Pour l’anthropologue Sas­kia Cou­sin, l’industrie tou­ris­tique aura long­temps exercé une emprise sur notre ima­gi­naire et notre concep­tion même du voyage, entre pro­mo­tion des usages cli­ma­ti­cides et dévalorisation des vacances popu­laires. Mais la pandémie, la crise cli­ma­tique, l’hégémonie du numérique et les poli­tiques publiques incitent-elles réellement à des pra­tiques plus vertueuses ?

Dans vos écrits, vous avez affirmé que l’anthropologie du tou­risme n’existait pas ou peu. La ques­tion est-elle à ce point dans un angle mort ?

Avec cette for­mule un peu pro­vo­cante, j’écrivais que l’anthropologie du tou­risme n’existait pas en tant que champ uni­fié, ce qui n’est pas du tout la même chose ! À l’exception notable de la France, il existe une longue tra­di­tion de recherches anthro­po­lo­giques sur les phénomènes liés au tou­risme – qui sont mul­tiples et peuvent por­ter aus­si bien sur les pra­tiques des tou­ristes, sur la manière dont les sociétés locales s’en sai­sissent. Dans les Amériques, ces tra­vaux ont plus de soixante ans. En France, la recherche sur le tou­risme a long­temps été hon­nie des anthro­po­logues ou des eth­no­logues qui ne pou­vaient sup­por­ter l’idée que des tou­ristes accèdent à « leur » ter­rain. La socio­lo­gie française n’était pas beau­coup mieux lotie, même si elle pou­vait se rac­cro­cher à la socio­lo­gie des loi­sirs et du temps libre, également marginalisée. In fine, et alors que les géographes français se sont tôt sai­sis de cette ques­tion, le double inter­dit socio­lo­gique et anthro­po­lo­gique avait à voir avec l’idée qu’une recherche « noble » se devait d’examiner des cultures tra­di­tion­nelles, non « entachées » par le mar­chand ou le loi­sir. La mise en marché tou­ris­tique étant considérée comme obscène, le tou­risme était indigne d’être étudié.

À la fin des années 1990, alors que j’enquêtais sur les enjeux poli­tiques et iden­ti­taires de la mise en tou­risme du patri­moine (thèse de la plus grande bana­lité vingt ans plus tard…), on m’a reproché de rabais­ser la gran­deur, la mémoire, l’histoire, etc., quand je n’étais pas accusée d’être inféodée à l’industrie du «tou­risme de masse». On a tra­vaillé comme on a pu à légitimer ce champ, avec des numéros de revues et un séminaire plu­ri­dis­ci­pli­naire qui existe depuis 2005, intégré dans un mas­ter de l’institut Conver­gences Migra­tions et l’École doc­to­rale de Nan­terre, où je suis désormais pro­fes­seure de socio­lo­gie depuis dix ans. Les recherches se sont donc multipliées.

Qu’apporte l’approche anthro­po­lo­gique sur le tourisme ?

L’approche anthro­po­lo­gique du tou­risme telle que développée en France est centrée sur la manière dont les sociétés locales se trans­forment par ou pour le tou­risme, en par­ti­cu­lier dans des communautés non occi­den­tales. C’est fon­da­men­tal pour com­prendre qu’il est impos­sible de considérer que le tou­risme ait des effets iden­tiques par­tout. En bref, l’approche anthro­po­lo­gique du tou­risme peut être définie comme l’étude des situa­tions tou­ris­tiques impli­quant des visi­teurs et des visités, leurs sociétés res­pec­tives et une orga­ni­sa­tion tech­nique, mar­chande et poli­tique visant à pro­duire de la différence à forte plus-value. En ceci, cette approche anthro­po­lo­gique est l’héritière de Balan­dier et de sa célèbre étude de la situa­tion coloniale.

Pro­pos recueillis par Anne-Cathe­rine Otte­vaere et Rodolphe Casso 

Cré­dit Pho­to: Ber­trand de Camaret

 

Lire la suite dans le numé­ro 426

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