Thierry Repentin : « Concilier ambition sociale et ambition écologique »

Photo_Repentin_ crédit_Louis Garnier
Président de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (Anah).

 

Quel regard por­tez-vous sur l’agence et son rôle depuis sa créa­tion en 1971 ?

Thier­ry Repentin/ D’abord, je suis hono­ré de prendre la tête de cette grande agence dans un contexte où les attentes sont très fortes à son égard. Je connais l’engagement des femmes et des hommes, qui la font vivre au quo­ti­dien, au siège comme dans les ter­ri­toires. Comme élu local, j’ai com­men­cé à les connaître et à les appré­cier sur le ter­rain. Je sais que le loge­ment pri­vé se trouve au cœur de pro­blé­ma­tiques sociales, ter­ri­to­riales, envi­ron­ne­men­tales et éco­no­miques essen­tielles pour notre pays.

La crise sani­taire a mis en exergue la qua­li­té du loge­ment dans lequel nos conci­toyens ont été et sont de nou­veau confi­nés. La lutte contre le mal-loge­ment doit être abor­dée dans sa globalité.
C’est ce qui fait la richesse des mis­sions de l’agence à tra­vers la résorp­tion de l’habitat indigne et insa­lubre, la lutte contre la vacance et contre la pré­ca­ri­té éner­gé­tique, le trai­te­ment des copro­prié­tés fra­giles et en dif­fi­cul­té, la réponse aux besoins liés à la perte d’autonomie…

Ces pré­oc­cu­pa­tions, l’élu local que je suis les appré­hende par­fai­te­ment et se rend compte de l’importance d’un opé­ra­teur natio­nal comme l’Anah pour répondre aux grands enjeux pla­cés devant nous : la mas­si­fi­ca­tion des tra­vaux tout en garan­tis­sant la qua­li­té et un accom­pa­gne­ment per­son­na­li­sé ; les attentes des ter­ri­toires, car les poli­tiques de l’habitat ne peuvent pas se déci­der uni­for­mé­ment depuis Paris et des rela­tions sont à réin­ven­ter entre l’agence, les ser­vices décon­cen­trés et les col­lec­ti­vi­tés ; enfin, la trans­for­ma­tion digi­tale au ser­vice des usa­gers pour amé­lio­rer les pres­ta­tions et rendre l’accès aux aides plus facile.

 

Com­ment voyez-vous l’évolution des Opah ?

Thier­ry Repentin/ Avec les Opah, l’Anah a été en avance sur son temps, en anti­ci­pant des pra­tiques contrac­tuelles qui deviennent de plus en plus la règle dans les rela­tions avec les collectivités.
Les formes de contrac­tua­li­sa­tion per­mettent une réponse sur mesure, un enga­ge­ment cocons­truit avec les col­lec­ti­vi­tés, en s’appuyant géné­ra­le­ment sur un diag­nos­tic ter­ri­to­rial partagé.
Ce modèle per­met d’articuler l’intervention des dif­fé­rents acteurs pour une poli­tique de l’amélioration de l’habitat plus effi­cace. La contrac­tua­li­sa­tion per­met aus­si de limi­ter le reste à charge pour les ménages, en adap­tant l’accompagnement finan­cier à des cas de figure très différents.

Il faut pré­ser­ver ce modèle dans la lutte contre les frac­tures ter­ri­to­riales et pour accom­pa­gner les col­lec­ti­vi­tés dans leurs poli­tiques d’amélioration de l’habitat pri­vé, comme l’agence le fait avec 750 pro­grammes locaux et 523 Opah en cours. Dès qu’un diag­nos­tic conduit à iden­ti­fier le besoin d’une Opah, l’Anah conti­nue­ra à le sou­te­nir. Ce modèle s’articule très bien avec de grands pro­grammes natio­naux ter­ri­to­ria­li­sés, comme en témoignent les très bons résul­tats du plan « Ini­tia­tive Copro­prié­tés », des pro­grammes « Habi­ter Mieux » et « Action cœur de ville ». La contrac­tua­li­sa­tion mobi­lise des acteurs de ter­rain qui s’engagent sur des objec­tifs pré­dé­ter­mi­nés. Elle consti­tue un chal­lenge col­lec­tif, et je peux vous dire que loca­le­ment on apprécie.

 

Com­ment les docu­ments de pla­ni­fi­ca­tion peuvent-ils mieux prendre en compte les inter­ven­tions en direc­tion du parc privé ?

Thier­ry Repentin/ Nous dis­po­sons aujourd’hui de docu­ments de pla­ni­fi­ca­tion avec un tamis très fin, tout par­ti­cu­liè­re­ment le PLUi-HD, inté­grant l’habitat et les dépla­ce­ments. La prise en compte de l’habitat pri­vé y est de plus en plus fré­quente dans la répar­ti­tion spa­tiale et les objec­tifs de mixi­té, du moment qu’ils sont conçus avec une assis­tance à maî­trise d’ouvrage com­pé­tente. Pour ne par­ler que du Grand Cham­bé­ry, le ciblage quan­ti­ta­tif, la pla­ni­fi­ca­tion de l’habitat pri­vé et de l’habitat indi­vi­duel figurent dans le PLUi-HD. Et dans cette période de début de man­dat muni­ci­pal, l’établissement du plan plu­ri­an­nuel d’investissements, qui colle aux orien­ta­tions du PLUi-HD, dégage des lignes de finan­ce­ment pour l’accession à la pro­prié­té sociale et à la pro­prié­té abor­dable, l’accompagnement des loge­ments à forme par­ti­ci­pa­tive, le sou­tien à l’effort de réha­bi­li­ta­tion du parc pri­vé de nos conci­toyens… Ces sujets sont de plus en plus par­ta­gés dans l’ensemble des territoires.

 

La réno­va­tion éner­gé­tique des loge­ments devient le nou­vel axe fort de l’intervention de l’Anah. Sur quoi s’appuie cette intense mobilisation ?

Thier­ry Repentin/ Des actes forts ont été posés à l’échelle inter­na­tio­nale qui inter­pellent les consciences ; je pense aux accords de Paris, lors de la COP21. Il y a un mou­ve­ment pro­fond des popu­la­tions, notam­ment des géné­ra­tions mon­tantes, de prise de conscience de l’urgence cli­ma­tique et éco­lo­gique. La réponse à l’urgence cli­ma­tique néces­site un urba­nisme lut­tant contre l’artificialisation des sols, la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre (GES), l’objectif 2050 de « zéro car­bone » … Elle impose une accé­lé­ra­tion de la réno­va­tion éner­gé­tique du parc de bâti­ments exis­tants, qui est le deuxième sec­teur émet­teur de GES après les transports.

La réus­site de ce chan­tier passe par la conci­lia­tion de deux ambi­tions qu’il ne faut pas oppo­ser : l’ambition sociale et l’ambition éco­lo­gique. L’ambition sociale implique d’accompagner ceux qui en ont le plus besoin. L’élargissement des aides de l’agence ne se fait pas au détri­ment des plus modestes ; ce qui signi­fie un accom­pa­gne­ment neutre et de qua­li­té de tous les ménages, avec une atten­tion par­ti­cu­lière pour les ménages âgés, pré­caires, qui sont bien moins à l’aise avec les outils digi­taux et sont les plus éloi­gnés de l’information sur des dis­po­si­tifs aux­quels ils ont droit. L’ambition de la réno­va­tion du parc loca­tif pri­vé est essen­tielle dans la lutte contre la pré­ca­ri­té qui touche presque 4 mil­lions de locataires.

Un pont doit se faire avec l’ambition éco­lo­gique : mas­si­fier la réno­va­tion éner­gé­tique (d’où l’objectif de plus de 600 000 loge­ments réno­vés pour 2021), éra­di­quer les pas­soires ther­miques, réno­ver en qua­li­té, évi­ter les phé­no­mènes de fraude.
Une condi­tion essen­tielle pour sa réus­site est un éco­sys­tème ver­tueux. Nous béné­fi­cions déjà de l’action du réseau FAIRE, le ser­vice public de la réno­va­tion éner­gé­tique, qui conseille et aide les ménages. Ensuite, il existe des opé­ra­teurs-conseils, comme Soli­ha ou Urba­nis, qui apportent un accom­pa­gne­ment tech­nique, social, finan­cier auprès des ménages les plus modestes. Puis il faut la mobi­li­sa­tion des col­lec­ti­vi­tés, qui délivrent une infor­ma­tion plus écou­tée de nos conci­toyens, car elles incarnent la proxi­mi­té, à tra­vers des élus connus de tous, des liens phy­siques et humains, une connais­sance des besoins ; elles sont bien posi­tion­nées pour déter­mi­ner le niveau d’aide requis par leur popu­la­tion. Enfin, les acteurs pri­vés doivent acqué­rir la culture de l’intervention sur le bâti exis­tant, lut­ter contre la fraude : d’où l’enjeu de la label­li­sa­tion. Ce sont les syner­gies entre tous ces acteurs qui met­tront en place un véri­table éco­sys­tème de la réhabilitation.

 

Com­ment favo­ri­ser une meilleure com­pré­hen­sion de l’action de l’Anah ?

Thier­ry Repentin/ Depuis 1971, l’Anah a pour mis­sion d’améliorer le parc de l’habitat pri­vé en France et je pense que cette marque est actée. L’objectif est bien connu et recon­nu par nos conci­toyens et les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales. Pour déployer son action, l’Anah s’appuie sur son réseau qui est mul­tiple : ser­vices décon­cen­trés de l’État, col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales délé­ga­taires de com­pé­tences, opé­ra­teurs conseils et agences par­te­naires comme l’Anru, l’Ademe et l’ANCT. L’efficacité de son action dépend d’abord d’une bonne com­pré­hen­sion de ses outils par ce réseau. Et même si le grand public ne per­çoit pas for­cé­ment l’Anah der­rière telle ou telle aide, les opé­ra­teurs, nos par­te­naires, nous connaissent bien. Le rôle de l’agence est d’animer son réseau, de pro­duire de l’expertise et des syner­gies entre tous les acteurs qui le composent.

 

Un reproche adres­sé sou­vent à l’Anah est l’empilement de ses dis­po­si­tifs. Com­ment amé­lio­rer leur efficacité ?

Thier­ry Repentin/ C’est la ran­çon d’un cer­tain suc­cès et d’une démul­ti­pli­ca­tion de l’Anah sur de mul­tiples champs. En cin­quante ans d’existence, l’Anah a su enri­chir ses mis­sions et ses outils pour répondre aux attentes de la socié­té fran­çaise. Elle s’est ouverte aux pro­prié­taires occu­pants et copro­prié­taires, après avoir été cen­trée sur les pro­prié­taires bailleurs. Elle a su s’adapter aux évo­lu­tions des ter­ri­toires, autour des enjeux de l’intervention en centre ancien, en quar­tier pavillon­naire, sur les mai­sons indi­vi­duelles, sur les copro­prié­tés, en zone urbaine comme en zone rurale, dans leur diversité.

L’agence dis­pose d’un très large panel d’outils et elle a com­men­cé à sim­pli­fier ses dis­po­si­tifs, notam­ment depuis trois ans, autour d’une sta­bi­li­té double : sta­bi­li­té régle­men­taire qui per­met aux ter­ri­toires d’inscrire leurs actions dans la conti­nui­té ; sta­bi­li­té bud­gé­taire – avec même une crois­sance – qui donne de la visi­bi­li­té aux ter­ri­toires pour pilo­ter leurs poli­tiques de l’habitat dans la durée et atteindre leurs objectifs.

À cela s’est ajou­té, depuis 2016, le vaste chan­tier de la déma­té­ria­li­sa­tion avec une grande réus­site : 90 % des dos­siers sont dépo­sés de façon tota­le­ment déma­té­ria­li­sée. C’est un défi pour les col­lec­ti­vi­tés locales, qui doivent s’assurer qu’il n’y a pas de frac­ture ter­ri­to­riale en la matière. Il y a eu aus­si un gros tra­vail en interne de sim­pli­fi­ca­tion des pro­cess : le délai d’instruction des dos­siers et de paie­ment a été divi­sé par deux.

Les résul­tats sont là. Depuis 2017, on observe un fort dyna­misme de tous les pro­grammes sur l’ensemble des ter­ri­toires. En 2019, sous la pré­si­dence de mon pré­dé­ces­seur, Natha­lie Appé­ré, maire de Rennes – une ville exem­plaire depuis long­temps pour ses poli­tiques de l’habitat – l’Anah a atteint et même dépas­sé ses objec­tifs. Et mal­gré le contexte sani­taire, l’année 2020 connaît la même dyna­mique. Et ce sera encore plus vrai en 2021 avec l’élargissement de « MaPri­me­Ré­nov » à tous les ménages.

Antoine Lou­bière et Jean-Michel Mestres

Thier­ry Repen­tin, ancien ministre, maire de Cham­bé­ry, vice-pré­sident en charge de l’habitat de la Com­mu­nau­té d’agglomération du Grand Cham­bé­ry, a été nom­mé pré­sident du conseil d’administration de l’Anah le 14 octobre 2020. Il a suc­cé­dé à Natha­lie Appé­ré, maire de Rennes et pré­si­dente de Rennes Métropole.

Pho­to : Thier­ry Repen­tin © Louis Garnier

 

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