L’urbaniste Aldo Bearzatto et l’organisateur de festivals Hervé Bougon ont fusionné leurs passions pour créer Close-Up, une nouvelle manifestation présentant des films consacrés à la ville, l’architecture et le paysage.
Implanté au cœur de l’écoquartier flambant neuf Clichy-Batignolles, le cinéma Les 7 Batignolles a accueilli, du 13 au 19 octobre, la première édition du Festival Close-Up, consacré à la vision urbaine sur grand écran.
Fort d’une programmation très éclectique de 50 films, dont une grande partie proposée en avant-première, l’évènement démontre que de Jacques Tati à Michael Mann et d’André Sauvage à Dominique Marchais, le septième art n’a jamais cessé de questionner la ville, ses esthétiques et ses mutations. Les cofondateurs de la manifestation, Hervé Bougon et Aldo Bearzatto, reviennent sur la genèse du projet et évoquent leur volonté de voir Close-Up infuser tout au long de l’année à travers d’autres évènements.
Comment est venue l’idée de créer ce festival ?
Aldo Bearzatto : Il y a une dizaine d’années, nous avons allié nos deux passions, en se disant qu’il serait intéressant d’explorer les représentations de la ville au cinéma. Nous avons tout d’abord créé un cycle pour évoquer le cinéma de Jacques Tati en invitant des critiques comme Thierry Jousse et Stéphane Goudet, ou le philosophe Thierry Paquot. Un an plus tard, nous avons monté notre premier festival, qui s’appelait Ville et Cinéma, au cinéma nantais Le Katorza.
Après quelques saisons, nous avons monté trois éditions à la Maison de l’architecture de Paris, avec aussi des passages à la Maison d’architecture de Lorraine et au CUB de Lausanne.
Hervé Bougon : Il s’agissait ensuite de passer à la vitesse supérieure, de professionnaliser le projet avec un festival plus ambitieux et un dimensionnement plus important qu’à Nantes et Paris. On a passé du temps à trouver les partenaires, les financements et à réfléchir à la nouvelle forme qu’on voulait donner à la manifestation. C’est comme cela qu’est né Close Up, qui est le projet rêvé qu’on avait imaginé il y a dix ans, avec un nombre de films importants, des intervenants de qualité et un projet de territoire implanté dans plusieurs lieux. L’enjeu est maintenant d’installer le festival, le faire connaître et s’adresser au public le plus large possible.
Le choix du cinéma Les 7 Batignolles, situé dans le nouvel écoquartier parisien Clichy-Batignolles, est-il dû au hasard ?
Hervé Bougon : La situation de cet établissement est un enjeu pour nous car il n’est pas encore très connu et sa situation est un peu excentrée, mais il se situe aussi sur un territoire en pleine transformation, avec la création de la Cité judiciaire, du parc Martin- Luther-King et de tous ces immeubles qui ont poussé ces dernières années.
C’est un quartier qui a été rasé pour être totalement revu et repensé. Il était pertinent d’implanter notre festival là-bas.
Aldo Bearzatto : Toutes les questions que pose ce nouveau quartier se retrouvent dans la plupart des films qu’on projette : gentrification, évolution de population, nouveaux types de constructions… On les retrouve à plus grande échelle en Ile-de-France. Autant de questions que l’on souhaite débattre en invitant des spécialistes de la ville et du cinéma qui ont leur propre regard.
Si la majorité des projections se sont déroulées au 7 Batignolles, certaines ont eu lieu dans d’autres cinémas franciliens. Était-ce pour donner une dimension « Grand Paris » au festival ?
Aldo Bearzatto : L’idée était de ne pas en faire un évènement uniquement parisien, mais, au contraire, de rayonner sur la région.
On a tout intérêt à s’interroger sur les enjeux urbains avec le développement du Grand Paris, et sur ce qu’il se passe en Seine-Saint-Denis ou dans les Hauts-de-Seine, par exemple.
Hervé Bougon : Entre Le Trianon à Sceaux et l’Espace Jean-Vilar d’Arcueil, implantés dans des villes plutôt bourgeoises, et l’Étoile Cosmos à Chelles et Le Studio à Aubervilliers, cela donne à la fin une assez belle diversité de territoires qui ont adhéré au projet. Mais tous ces lieux restent essentiellement en première couronne et il va sans doute falloir qu’on aille aussi explorer l’Ile-de-France un peu plus en profondeur. [Close-Up s’est aussi déroulé à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Léonard :Paris et au Cin’Hoche de Bagnolet, NDLR.]
Comment avez-vous mis au point votre programmation de 50 films ?
Aldo Bearzatto : On a voulu diversifier les propositions avec des films qui peuvent intéresser tout le monde. Cela peut être Alis Ubbo, de Paulo Abreu, un documentaire sur un chauffeur de tuk-tuk à Lisbonne, mais aussi des films plus grand public, comme Eiffel, de Martin Bourboulon, Les Olympiades, de Jacques Audiard, ou une rétrospective consacrée à Michael Mann.
Hervé Bougon : La section principale, intitulée Panorama, a été imaginée pour ouvrir le festival à un public de non-initiés à la ville. Ça peut être une porte d’entrée, un voyage cinématographique avec des films qui viennent d’un peu partout, dont certains ont été sélectionnés au Festival de Cannes, et que nous proposons pour la plupart en avant-première afin de donner une dimension évènementielle, en plus de sa diversité et de sa connexion à l’actualité. Par ailleurs, nous avons d’autres sections plus pointues, qui resteront récurrentes, comme Architecture à l’écran et Paysage en mutation. Ces thèmes se sont imposés assez vite.
Aldo Bearzatto : Pour la section Paysage en mutation, on a reçu le documentariste Dominique Marchais qui part du rural pour arriver à l’urbain. Avec La Ligne de partage des eaux, il part des affluents de la Loire pour finir quasiment à Nantes en montrant comment un cours d’eau transforme les paysages, comment ce qu’on fait en amont à des conséquences en aval, comment le type de cultures a un impact sur l’environnement et, surtout, comment le paysage a été bouleversé en France en cinquante ans. Quant à l’autre film de Dominique Marchais présenté, Nul homme n’est une île, il aborde trois expériences européennes pour remettre de la démocratie dans la production de la ville et comprendre ce qu’est produire de l’architecture au quotidien en le faisant comprendre aux habitants.
C’est un cinéma très politique mais sans jugements qui envoie des messages d’alerte. C’est aussi le cas de Earth, de Nikolaus Geyrhalter, qui montre des images aussi extraordinaires que catastrophiques où l’on voit des paysages transformés à la dynamite afin de construire des choses énormes, monstrueuses. Le film propose des portraits de personnes qui travaillent sur ces chantiers de terrassement géants pour savoir s’ils ont pris conscience de ce qu’ils sont en train de faire.
Qu’en est-il de la section Architecture à l’écran ?
Aldo Bearzatto : À ce sujet, nous tenons à préciser que nous ne sommes pas contre les films d’architecte ou sur un architecte, mais, de ce qu’on en a vu, ce n’est pas l’angle qui nous intéresse le plus. Nous cherchons à montrer la façon dont les gens vivent une architecture, une ville, un monument.
Il y a quelques années, nous avions programmé les films d’Ila Bêka et Louise Lemoine, deux architectes passés à la réalisation, qui montrent comment, par exemple dans Gehry’s Vertigo, on vit dans une construction historique comme le Guggenheim de Bilbao. En suivant non pas son directeur, mais ceux qui nettoient les vitres en rappel et les gens en coulisses, on comprend comment ils subissent, en bien ou en mal, le bâtiment. Cette année, à Close-Up, nous avons proposé Bonne-maman et Le Corbusier, de Marjolaine Normier, qui parle de logements qui ont brûlé dans la Cité radieuse de Marseille. La réalisatrice suit sa propre grand-mère qui habite l’un des appartements sinistrés. La reconstruction de ce logement pose des questions de respect du patrimoine et de modernisation nécessaire. Il s’agit de comprendre comment on vit dans ce genre d’endroit en dehors des considérations esthétiques.
Bonne-maman et Le Corbusier, de Marjolaine Normier
Qu’est-ce qui vous a motivés à proposer une rétrospective consacrée au réalisateur américain Michael Mann, mondialement connu pour ses films noirs ?
Hervé Bougon : C’est un grand cinéaste hollywoodien, spécialiste du polar urbain, qui réalise des films très accessibles mais aussi hantés par la question de l’homme dans le monde et l’homme dans la ville. Ses personnages se trouvent enfermés dans leur environnement urbain et leur objectif, dans quasiment tous ses films, est de s’en extraire. Le personnage « mannien » est un grand professionnel chargé d’une mission qu’il doit absolument accomplir mais qui sait que s’il ne s’échappe pas, il va mourir. Michael Mann est sans doute le plus grand filmeur actuel de la ville, qui est un terrain de jeu pour lui. Sa façon d’utiliser la géométrie de la ville, la verticalité, l’horizontalité, pour raconter ses histoires est phénoménale.
Collatéral, Michael Mann
Votre volonté est de faire vivre le Festival Close-Up tout au long de l’année…
Hervé Bougon : Nous souhaitons en effet proposer, avec nos partenaires, des séances, des rencontres dans des cinémas et d’autres lieux pour faire vivre cette thématique pendant l’année. À terme, nous avons aussi pour projet d’alimenter en contenus un site Internet afin de poursuivre ce travail de réflexion et de production.
Aldo Bearzatto : Il y a aussi des choses à faire en termes d’ancrage territorial en mettant en place, dans les villes de banlieue, des ateliers, des animations, de l’éducation à l’image et, pourquoi pas, un concours de films courts sur l’urbain. Il s’agit de lancer des initiatives pour que le public s’approprie la thématique.
Aldo Bearzatto et Hervé Bougon présentant la projection d’« Études sur Paris », d’André Sauvage © Éric Facon
Le documentaire « Une nouvelle ère », de Boris Svartzman, est l’un des six films présentés dans un focus sur la Chine contemporaine.