« Les villes sont des accumulations, elles sont composées de couches »

LIBERATI (c) JF PAGA Large
Rencontré la veille de l’attribution du prix Renaudot à son roman Performance, Simon Liberati nous a livré sa vision des villes d’hier et d’aujourd’hui, qu’il compare à des palimpsestes, à l’image de ses propres écrits.

 

Jayne Mansfield, héroïne d’un de vos livres, est morte en 1967 ; l’assassinat de Sharon Tate, au cœur de votre roman California Girls, est survenu en 1969 ; Les Démons démarre en 1967 et, pour Performance, la descente aux enfers de Brian Jones commence en 1967 et il meurt en 1969. Que s’est-il joué lors de ces années qui sont, pour vous, manifestement décisives ?

D’abord, j’ai toujours besoin de dates précises, car elles m’évitent de partir dans tous les sens. Je fonctionne un peu comme un historien qui délimite un carré archéologique, dans lequel il fouille et fait des découvertes. Cette époque correspond aussi à un moment de ma vie personnelle, entre 7 et 9 ans, où j’ai développé mes perceptions du monde extérieur. Une période splendide de Paris : je vivais à Saint-Germain-des-Prés, il y avait sur le boulevard des voitures qui me fascinaient, le Drugstore venait d’ouvrir – que les gens du quartier appelaient « la chose » – et qui projetait le quartier dans une forme de modernité luxueuse. Je me promenais beaucoup avec mes parents, et je crois que j’éprouvais une forme de mélancolie esthétique à ressentir quels étaient mes goûts, ce qui me plaisait ou pas. Ils se sont formés avec une telle vigueur qu’ils se sont en quelque sorte arrêtés, avec quelques références majeures en termes de dates et de lieux. Ce n’est pas un hasard si j’oscille depuis toujours entre biographies et fictions.

 

Le contexte de vos romans est toujours très important, presque un personnage à part entière…

Quand je m’intéresse à un lieu, c’est totalement: son histoire, sa géographie et sa géologie même. Dans mon roman Nada Exist, j’avais trouvé chez un bouquiniste une histoire géologique de Paris et j’ai été fasciné par les stratifications et les coupes géologiques, qui deviennent des coupes historiques, celles des chartistes. Pour partir du sous-sol jusqu’au sol et leurs vestiges, puis jusqu’aux immeubles où sont nées telles ou telles personnalités, Breton, Léautaud… J’ai besoin de cette profondeur historique, de telle sorte que ce qui se passe aujourd’hui, l’état général de la ville et des lieux, n’est qu’une infime partie de ce qui m’intéresse. Même si je peux avoir un avis, et considérer que certaines choses se sont améliorées ou dégradées, ce qui est souvent à mettre au crédit ou au débit de l’époque: aujourd’hui, dans Paris, certaines rues piétonnes commerciales sont hideuses, et certains lieux ou monuments ont été magnifiés. Il y a sans doute une forme de fétichisme chez moi. Mon monument préféré, c’est la Mezquita de Cordoue qui était une mosquée puis une église, qui a été remaniée, dont on a percé la forêt de colonnes pour créer des chapelles. Il y a une sédimentation qui me fascine, particulièrement à Venise avec ce mélange des époques et des cultures, ou à Rome où jaillit, affleure partout la romanité. Les villes sont des accumulations, j’aime l’idée qu’elles sont composées de couches. Et j’aime travailler mes romans ainsi, décrire les couches et saisir des instants en faisant des carottages, en m’inspirant de Schliemann à Troie. Je ressens une excitation intellectuelle à étudier les palimpsestes, dont les villes sont une forme particulière. Il y a quelque chose de l’ordre de l’éternité : ce qui a été demeure, visible ou invisible. J’aime le terme d’invention en archéologie qui veut dire plus qu’une découverte : on creuse le sol, on découvre une statue d’Isis et on en fait une Vierge.

Lire la suite dans le numéro 429

Propos recueillis par Julien Meyrignac

 

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