La planification, un outil puissant à réinventer
La loi SRU fête ses 25 ans. Alors que des voix s’élèvent¹ pour dénoncer le peu d’ambition des SCoT et PLUi en termes d’adaptation au dérèglement climatique et d’anticipation de la sobriété foncière, interrogeons-nous sur l’efficacité et les limites des documents d’urbanisme visant à répondre aux enjeux de notre siècle.
Pourquoi la réforme des documents de planification nous paraît-elle indispensable ? Cette question peut sembler incongrue, tant les lois Grenelle 1 et 2, Alur, Notre – qui a créé les Sraddet (schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) – et celles pour la restauration de la biodiversité, Elan, climat et résilience – qui a institué le ZAN (« zéro artificialisation nette ») – sont venues régulièrement corriger et compléter le cadre réglementaire des SCoT (schémas de cohérence territoriale) et PLU (plans locaux d’urbanisme), notamment en matière de protection de l’environnement. Mais force est de constater qu’en dépit de ces évolutions, les documents de planification ont perdu en efficience.
Quatre raisons pourraient être avancées pour réformer le Code de l’urbanisme et, à travers lui, les documents de planification. Premièrement, le temps d’élaboration n’est plus en adéquation avec l’urgence d’adaptation et de sobriété foncière. Les documents d’urbanisme se sont largement alourdis et sont, de fait, de plus en plus longs à faire aboutir sans qu’ils se soient beaucoup améliorés sur le fond. Aujourd’hui, les collectivités qui s’engagent dans l’élaboration ou la révision générale de leur PLUi (PLU intercommunal) partent pour quatre à six ans de procédure, ce qui équivaut peu ou prou à la durée d’un mandat municipal.
Comment répondre à une urgence d’inflexion de la consommation d’espaces ou d’adaptation quand il faut six ans pour élaborer un document et près de dix ans pour commencer à en voir les effets ? Les PLUi sont devenus d’énormes machines, difficiles à mener au bout (un certain nombre de territoires ruraux jettent l’éponge avant l’approbation) et de plus en plus délicates à justifier du fait d’injonctions contradictoires.
Prenons l’exemple du ZAN. L’application de la règle de ‑50 % de consommation d’espaces concomitamment à celle de la garantie rurale devient un véritable casse-tête : ces deux règles, qui sont inscrites dans la loi, sont, pour bon nombre de territoires, incompatibles. Nous pouvons appliquer la garantie rurale sans atteindre l’objectif de ‑50 %. Les documents d’urbanisme concernés sont ainsi largement fragilisés juridiquement.
Cette réalité vient également du fait que les PLU/PLUi et les SCoT sont plus souvent attaqués qu’auparavant et certains d’entre eux ont été remis en cause (annulation partielle ou totale), entraînant un retour en arrière (application du document antérieur) ; ce qui pose un problème fort d’efficacité de l’action publique au vu des frais d’études engagés par la collectivité. Par ailleurs, la généralisation des PLUi, qui a pour objectif de venir répondre à un enjeu de cohérence territoriale et de réduction des effets de concurrence entre communes, a parfois été déployée pour de mauvaises raisons.
Le budget alloué à ces documents a quelques fois été un élément déclencheur permettant aux collectivités d’envisager une division par 5 à 10 de la somme des coûts totaux d’un PLU par commune. N’étant donc pas toujours porté politiquement et plus éloigné des élus locaux– malgré de réels efforts par les EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) et les bureaux d’études pour associer largement toutes les communes –, le passage au PLUi a pu entraîner des documents plus formels, homogénéisés et parfois moins ambitieux.
Deuxièmement, la planification des territoires est encore trop pensée en silos via la multiplication des plans et programmes – Sraddet, SCoT, PLU, PLH (programme local de l’habitat), PCAET (plan climat-air-énergie-territorial), PAT (projet alimentaire territorial), PLM (plan local de mobilité), CRTE (contrat pour la réussite de la transition écologique), etc. –, dont la hiérarchie des normes est à questionner. Alors que les documents d’urbanisme viennent définir la manière dont les territoires vont se développer pour répondre aux enjeux de qualité de vie à l’horizon dix ou vingt ans, nécessitant une vision pleinement transversale, il existe pléthore de plans et programmes qui se juxtaposent sur des temporalités différentes, dans une cohérence relative.
Les diagnostics territoriaux, par exemple, sont réalisés à chaque nouvelle étude, se démultipliant ainsi avec des approches pas toujours comparables. De même, les stratégies territoriales et les projets de territoires s’empilent sans avoir toujours une approche pleinement cohérente entre les démarches et sans évaluer leur efficacité dans le temps. Cohérence difficile à trouver au regard d’une organisation des collectivités et de leur gouvernance également silotées avec des délégations thématiques et des postes reliés à chaque document (chargé de mission SCoT, chargé de mission PLH ou PCAET).
Enfin, certains documents ont une portée faible. Les Sraddet, créés par la loi Notre, ont un rapport de prise en compte avec les SCoT et les PLUi. C’est le niveau le plus faible juridiquement en deçà de la compatibilité et de la conformité. Alors que la territorialisation du ZAN s’appuie principalement sur les Sraddet, le rapport de prise en compte rend cette réalité relativement peu impactante. Il y aurait ainsi de possibles gains financiers (les documents d’urbanisme ont un coût important et mobilisent du temps aux élus et techniciens) et d’efficacité à réformer les documents de planification pour aboutir à un seul document-cadre transversal qui puisse donner la vision du territoire de six à dix ans, ce qui, en période de recherche d’économies, devrait être un argument de poids.
Troisièmement, les documents de planification ne sont pas des programmes, ils sont rarement financés. Avez-vous déjà participé à un débat sur le PADD (projet d’aménagement et de développement durable, pièce du PLU) ou le PAS (projet d’aménagement stratégique, pièce du SCoT) ? Difficile de ne pas être d’accord avec les grandes orientations d’un PADD ou d’un PAS dont les obligations de contenu, fixées par le Code de l’urbanisme ou de l’environnement, peuvent donner l’impression d’une liste de bonnes intentions…
Les PADD/PAS sont globalement tous ambitieux, mais pourquoi ne le seraient-ils pas alors même qu’ils n’engagent en rien sur le plan financier ou en termes de calendrier ? Par ailleurs, les PADD concernent bien souvent toutes les politiques publiques, alors que la traduction réglementaire n’est possible que sur les secteurs en extension urbaine ou sur le domaine privé, ce qui le rend tout à fait inopérant pour tout un pan du projet débattu.
De fait, au moment de l’évaluation des PLUi, nous nous rendons compte que 20 à 40 % seulement du projet sont finalement réalisés créant, par là même, doutes et déceptions auprès de la population. Le fait de disposer d’un programme d’actions financé, partenarial et d’un calendrier opérationnel permettrait ainsi une plus grande efficacité pour répondre globalement aux enjeux des territoires et assurer leur traduction dans des projets concrets.
Quatrièmement, la finalité du PLUi est d’encadrer le droit du sol ; or, l’adaptation au dérèglement climatique ne concerne pas que la constructibilité du domaine privé, mais touche plus largement les politiques publiques. Le PLUi est pointé du doigt, car jugé insuffisamment ambitieux sur le volet adaptation au dérèglement climatique. Il semble néanmoins important de rappeler que « l’adaptation » doit être pensée sur tous les espaces (publics et privés) d’une ville ou d’un territoire.
Un grand nombre de projets, tels que la végétalisation de l’espace public, la réouverture et la renaturation des cours d’eau, le renforcement des aménagements pour les mobilités douces, sont portés par les collectivités, mais ne sont pas ou peu identifiés au sein du PLUi, qui n’est pas contraignant en la matière : en effet, ce dernier s’applique aux autorisations d’urbanisme (permis d’aménager, de construire, de démolir, déclaration préalable) et non aux projets susnommés. Il est, de fait, limité dans son volet réglementaire pour répondre globalement à ces enjeux.
Timothée Hubscher
Lire la suite de cet article dans le numéro 442 « Planifier versus réglementer » en version papier ou en version numérique
Photo de couverture : Panneau portant un PLU imaginaire dans la nature. Crédit : Francesco Scatena
1/ Lire notre entretien dans ce numéro avec Philippe Schmit, le président de la mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) d’Ile-de-France, p. 14–16.
Crédit photo : Shutterstock/Matchou
Un commentaire
BOIS
17 avril 2025 à 14h27
Effectivement l’empilement des différents textes qui encadrent la constructibilite et le volet environnemental des collectivités locales sont complexes à intégrer dans les processus d’aménagement et de planification. Et le séquençage des acteurs alourdi les procédures d’autorisation et les rend souvent insécurisées.
A mon sens les délais d’élaboration de ces documents ne sont pas le principal handicap ; il s’agit plutôt de les pérenniser pour dépasser les enjeux et échéances électorales. Enrichir et élargir le champ des PLU ou PLUI me semble indispensable mais comment porter cette refonte pour intégrer la variété et le nombre de règlements à regrouper ?
Par ailleurs les champs d’application territoriaux et temporels et les caractères de leurs portées sont parfois incompatibles . Les com com sont aussi des usines à Élus difficiles à manager ; j’observe aussi que tous les regroupements réalisés y compris les grandes régions n’ont fait qu’éloigner les acteurs locaux les uns des autres et ont conduit à des lourdeurs et des coûts bien supérieurs aux entités initiales.