La révolution de la finitude
Ancient theater of Megalopolis (4th BC), the largest in Greece with a 20000 spectator capacity. Lignite fired power plants in the background produces electricity for southern Greece and the islands

Paris versus Province, urbain versus rural, métropole versus reste du territoire… L’urbaniste Jean Guiony nous conte ici une brève histoire du débat entre centres et périphéries, où tout est question de rapports, de (dés)équilibres, de cycles… voire de révolutions.

 

Un brû­lant après-midi de prin­temps 2022, c’est l’appétit et le hasard (« Hasard, dit-on, mais le hasard nous res­semble », cor­rige mali­cieu­se­ment Ber­na­nos) qui nous font quit­ter l’autoroute tra­ver­sant les val­lées d’Arcadie, en plein Pélo­pon­nèse. En pre­nant cette sor­tie ano­nyme, nous ne sou­hai­tons pas nous éloi­gner long­temps d’un tra­jet qui vise Kala­ma­ta, depuis Nau­plie. Nous nous conten­tons de la pre­mière bour­gade repé­rée sur la carte pour y déjeu­ner. En péné­trant dans la ville, par les longs tra­cés rec­ti­lignes des plans hip­po­da­miens, se suc­cèdent les petites construc­tions pri­vées, entre R0 et R+2, qu’on devine le fruit d’une auto­pro­mo­tion qui règne ici. Plu­sieurs sont inachevées.

Fina­le­ment, appa­raissent les com­merces ali­gnés sur la par­tie cen­trale de l’artère prin­ci­pale comme dans un vil­lage rue. Cer­tains d’entre eux sont vacants, aucun n’est notable. Pas de signe de patri­moine bâti dans le cœur de ville. Un théâtre antique au nord-ouest, bien moins remar­quable que ses nom­breux rivaux de la pénin­sule. Le bourg n’est pas grand, 5 000 habi­tants tout au plus, il est calme et peu acha­lan­dé. Les regards accrochent sur notre dos lorsque nous pas­sons : nous ne sommes pas dans le réseau de ces sites tra­ver­sés par des flux de tou­ristes, habi­tués aux langues étran­gères, et l’anonymat de la grande ville n’a pas sa place ici non plus. La ville, pauvre, sur­vit grâce à une mine de lignite à ciel ouvert qui pol­lue sa mythique rivière. Quelle est donc cette petite bour­gade ano­nyme, éloi­gnée du lit­to­ral, sus­pen­due entre indus­trie pol­luante et dévi­ta­li­sa­tion ? C’est Megalopolis.

La ville de Mega­lo­po­lis. C’est donc ce lieu, c’est cette petite péri­phé­rie, dont le nom lui-même ren­voie à l’extension extra­or­di­naire de la cité, qui a don­né plus tard son topo­nyme à la déme­sure des grands réseaux de métro­poles mil­lion­naires amé­ri­caines décrites par Jean Gott­man (1), en 1961 et, jusqu’aujourd’hui, aux dys­to­pies urbaines gran­di­lo­quentes de Fran­cis Ford Cop­po­la. La ren­contre contem­po­raine avec « la » Mega­lo­po­lis – qui était siège et donc centre de la Ligue arca­dienne contre Sparte – est, par excel­lence, une invi­ta­tion à la médi­ta­tion sur la per­ma­nence des pros­pé­ri­tés et sur les lieux du pou­voir. Toute méga­lo­pole, toute méga­pole, toute métro­pole et, peut-être, toute ville devrait pen­ser à Méga­lo­po­lis. Une cen­tra­li­té est un objet de révo­lu­tion. Révo­lu­tions scien­ti­fiques, à l’instar de celle, coper­ni­cienne, qui sub­sti­tue le Soleil à la Terre avec l’héliocentrisme. Révo­lu­tions poli­tiques, qui sub­sti­tuent un pou­voir à un autre et son fon­de­ment à un autre : les cas­trums déser­tés de la féo­da­li­té après la cen­tra­li­sa­tion de la Renais­sance et de la période moderne en témoignent. Révo­lu­tions cli­ma­tiques ou éner­gé­tiques, aujourd’hui et demain. L’analyse des rap­ports actuels entre centres et péri­phé­ries doit s’inscrire dans la conscience de ces révo­lu­tions à l’œuvre. Quels sont ces rap­ports et par quels dés­équi­libres sont-ils marqués ?

Paris, Lyon, Mar­seille… et le désert français ?

Dans nos contrées, le pre­mier rap­port cen­tra­li­té-péri­phé­rie est celui entre grandes métro­poles et le reste du pays. Loin du slo­gan ins­tau­ré par le titre du livre de Jean-Fran­çois Gra­vier, en 1947, la France n’en demeure pas moins mar­quée par une ligne de frac­ture entre très grandes agglo­mé­ra­tions, Paris, Lyon, Mar­seille, Lille, Tou­louse, Nantes, Mont­pel­lier, Rennes, Bor­deaux… et le reste du ter­ri­toire. Ces grandes agglo­mé­ra­tions sont évi­dem­ment diverses entre elles, diverses en leur sein, mais elles par­tagent des dif­fé­rences avec les autres ter­ri­toires : la place qu’y occupent les trans­ports en com­mun, les modes de consom­ma­tion, de livrai­son, les socia­bi­li­tés du quo­ti­dien, pro­fon­dé­ment dif­fé­rentes, sans comp­ter une ins­crip­tion dans des flux inter­na­tio­naux incomparable.

 

Jean Guio­ny

A retrou­ver dans le n°439 « Périphéries »

1/ Jean Gott­man, Mega­lo­po­lis. The Urba­ni­zed Nor­theas­tern Sea­bord of the Uni­ted States, Cam­bridge, MIT Press, 1961.

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