Hafsia Herzi : « La réalité marseillaise est universelle »
« La réalité marseillaise est universelle : c’est celle de la pauvreté en France. »
La réalisatrice de Bonne Mère, Hafsia Herzi, évoque son choix de tourner à Marseille, dans l’une des cités les plus dangereuses d’Europe, et sa volonté de montrer au cinéma une population dans l’angle mort de la société française.
Révélée en 2007 dans La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche, l’actrice Hafsia Herzi est devenue un visage familier du cinéma d’auteur hexagonal.
Tout en poursuivant sa carrière de comédienne, l’artiste de 35 ans est depuis passée à la réalisation avec Tu mérites un amour en 2019, puis Bonne Mère en 2021, chronique sur le parcours sacrificiel d’une femme dans les quartiers nord de Marseille (les deux longs métrages ont été présentés au Festival de Cannes). Posant sa caméra dans les zones populaires de la Ville Lumière ou de la Cité phocéenne, Hafsia Herzi développe une œuvre naturaliste sur la vie urbaine entre âpreté, humanisme et romantisme.
Pourquoi avoir choisi de réaliser Bonne Mère à Marseille, dans le quartier où vous avez grandi ?
Je suis originaire de Marseille et j’ai voulu filmer la cité de mon enfance, qui se situe dans les quartiers nord. J’y ai habité jusqu’à mes 17 ans. Il s’agit de la cité des Oliviers, dans le 13e arrondissement.
Plus précisément les Oliviers E, car il y a aussi les Oliviers A, B, C et D. J’ai tenu à l’immortaliser avant qu’un jour tout ne soit détruit, mais aussi montrer ses habitants en faisant tourner des vraies gens du quartier. Le casting est composé à 98 % de comédiens non professionnels. Je voulais pour mon histoire quelque chose de très réaliste. Et comme ce genre d’endroit fait souvent la une des faits divers, j’avais envie d’apporter quelque chose de positif dans le regard qu’on porte sur cette vie-là. Il y a des visages magnifiques, des corps superbes, des gens qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma. Et il y a des belles valeurs : l’amitié, la fraternité, la solidarité. Les voisins nous ont aidés sur le film, on a pu tourner dans un appartement vide qui devait être ensuite détruit, ils nous ont apporté des éléments de décoration. C’était important pour moi de faire participer tout le monde.
Quel type d’image vouliez-vous capter ?
Lorsque j’ai écrit le film, j’ai décrit exactement les bâtiments, leur architecture et tous les lieux autour. Mais j’ai réalisé que l’endroit avait changé : certains lieux se sont dégradés, d’autres ont été refaits. À chacun de mes passages, je faisais un tour, je marchais, pour faire des repérages, encore et encore.
Avez-vous parlé avec les habitants qui participent au film de la vie dans le quartier et de son évolution ?
Oui, surtout que j’y ai toujours des amis d’enfance. J’ai aussi parlé aux personnes qui travaillent dans des associations. Le constat est que les choses se sont dégradées au fil des années. Beaucoup de mes amis sont décédés dans des règlements de comptes, certains étaient là au mauvais moment au mauvais endroit… Avec les mauvaises fréquentations, la pauvreté, certains ont pris un mauvais chemin… Il y a aussi beaucoup de mères seules, beaucoup de délinquance, beaucoup de chômage. Ce sont vraiment des cités très abandonnées.