Cédric Carles : « Il faut penser notre monde comme un monde en maintenance »
Après un riche parcours de designer entre la Suisse et la France, Cédric Carles a fondé l’Atelier 21, un laboratoire citoyen pour faire avancer la transition énergétique. Si l’une de ses principales actions est d’exhumer, répertorier, voire redonner vie aux inventions oubliées, l’association dispense aussi des formations en entreprise, collectivité, ou encore investit des tiers-lieux. Retour vers le futur.
L’Atelier 21 a notamment pour vocation d’explorer le patrimoine historique et industriel afin d’exhumer des inventions anciennes sur l’énergie. En quoi est-ce utile ?
Ce qui est enseigné en la matière dans les écoles d’ingénieurs est loin d’être exhaustif. C’est une forme de disruption d’aller chercher des technologies qui étaient intéressantes, mais qui n’ont pas été pérennisées pour diverses raisons. Une fois le patrimoine identifié, il s’agit ensuite d’en faire comprendre la valeur. Ce peut-être, par exemple, le bélier hydraulique, qui n’est plus fabriqué que par une entreprise en France ou les maisons solaires des années 1970. Des inventions qui font partie du patrimoine de la résilience et de l’histoire technologique. La maison Feuillette à Montargis, c’est du patrimoine ! On a cent ans d’expérience sur un bâtiment en paille, en France ! Que demandent les concepteurs d’éco-architecture de l’urbanisme de demain !
En faisant la recension des très nombreuses innovations énergétiques qui n’ont jamais été exploitées à échelle industrielle, pensez vous que l’humanité soit passée à côté de la solution miracle ?
Oui, je me le dis. Léonard de Vinci voulait fondre du bronze avec l’énergie solaire dans le but de réaliser une statue équestre monumentale en hommage au père de Ludovic Sforza, duc de Milan. Toutefois, le projet est avorté : les 100 tonnes de bronze allouées au monument sont finalement utilisées pour couler des canons, afin de repousser les soldats français de Louis XII. Mais s’il y était parvenu, potentiellement, l’énergie solaire aurait pris une autre route industrielle. Il était tellement célèbre qu’il aurait ouvert une voie royale à cette technologie et ses applications multiples. Un peu comme si Elon Musk s’intéressait à l’énergie solaire au lieu de lancer des fusées. Actuellement, tout le monde regarde Elon Musk. À l’époque, tout le monde regardait Léonard de Vinci. L’impact aurait été indéniable.
Quels sont les autres exemples où vous avez eu le sentiment qu’on était passé à côté de quelque chose ?
Il y a le projet Regenbox : nous avons retrouvé un dispositif mis sur le marché dans les années 1980, et qui a disparu assez vite, permettant de recharger, par une méthode de chargement lent et micropulsé, les piles alcalines non rechargeables. L’air de rien, cela représente plus de 20 000 tonnes consommées chaque année, rien qu’en France. Imaginez un peu, en ajoutant les États- Unis, l’Afrique, l’Asie, l’Amérique du Sud… Il s’agit d’un déchet ultra-toxique qu’on ne gère pas bien. Il est « recyclé », non sans impacts, dans 50 % des cas. Et avec notre projet Regenbox, nous avons même réalisé qu’une pile sur quatre envoyées au recyclage était neuve, et deux sur quatre étaient régénérables. Une pile, c’est 25 g de matériau pour 100 g de CO2 à la fabrication. Au bout de dix piles, on a un kilo de CO2. Nos bornes de tri, en mesurant les piles avant de les jeter, permettent de favoriser leur captation dans les bacs de collecte et donc d’augmenter notre taux de recyclage, qui est bas dans le classement européen, de 50 %. C’est pourquoi nous avons prototypé à la Bibliothèque d’objets de Montreuil (BOM) un centre de reconditionnement de piles permettant le tri et la régénération. Et nous travaillons aussi avec deux magasins Boulanger à Lille et Paris, pour lesquels nous avons designé des bornes de tri. Cela permet de sensibiliser à la réduction des déchets électroniques avec un geste où le consommateur y gagne tout de suite et de revendiquer une politique encore plus respectueuse de l’environnement favorisant l’économie circulaire du « tout-recyclage ».